La Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale organisait ce 7 février une Table ronde sur le thème « École et intelligence artificielle ». Alors qu’on espérait y voir plus clair, et mieux comprendre les questionnements essentiels, nous n’avons pas eu les éclairages précis et suffisants des experts invités. De plus, les questions posées par les élus, membres de cette commission, ont été l’occasion de prendre conscience des limites actuelles de nos élus face à des enjeux aussi importants que ceux proposés dans cette table ronde. L’exercice imposé est toujours frustrant d’autant plus que les approfondissements nécessaires n’ont pas leur place dans ce genre de dispositif.
Définir de quoi l’on pare : c’est quoi l’IA ?
Il aura fallu attendre les deux tiers de la séance (après 1h39 d’échanges) pour entendre, enfin, la présidente de la séance poser la questions essentielle : que désigne-t-on par Intelligence Artificielle ? Quel sens faut-il lui donner ? Dans le même ordre d’idée, les participants, experts compris, ont semblé tétanisés par « l’IA générationnelle ou conversationnelle », allusion faite à ChatGpt. Heureusement, ont pu se glisser ça et là des éléments d’explication plus précis mais insuffisamment développés. Ainsi a-t-on pu faire la distinction entre l’Intelligence artificielle et une IA – qui est une mise en application sous la forme logicielle basée sur certains algorithmes qui vont reproduire des aspects des comportements humains en visant à répondre à des questions humaines. Daniel Andler a tenté de promouvoir son appellation de système artificiel intelligent pour remplacer l’idée « d’une IA ». Cet éclaircissement a été le bienvenu, mais il a été trop tardif car cela a aussi mis de côté des questions complémentaires qui auraient mérité des explications plus approfondies. En particulier nous n’avons pas pu entrer davantage dans les sous bassements techniques des algorithmes…
Enseignement adaptatif
C’est en particulier le cas de la question des « logiciels adaptatifs » – dont les algorithmes puissants intégrés dans des approches d’enseignement adaptatif, individualisé ou personnalisé – qui n’a pas été clairement présentée et approfondie. Ni les experts, ni les élus présents ne sont parvenus à approfondir ces éléments, malgré les promesses des propos liminaires…(F Biot sur individualisation personnalisation)
IA, retour au bon vieux temps ?
Le sentiment qui prévaut à l’issue de cette table ronde de deux heures est d’abord que l’on tient aujourd’hui, à propos de l’IA, les mêmes analyses, questions, affirmations que lors de l’arrivée de l’informatique éducative, il y a plus de quarante ans. D’ailleurs dans certains cas, on a pu avoir l’impression que numérique et IA étaient confondus et que l’EAO des années 1980 était de retour, mais amélioré par l’IA. André Tricot a bien fait de rappeler que l’IA a une histoire longue et qu’elle est parallèle au développement de l’informatique en éducation. Mais il a aussi rappelé l’exigence scolaire comme une construction sociale visant à éviter les approximations d’une absence de système éducatif. Même si sa vision est très restrictive et presque même réactionnaire, elle a le mérite de poser les questions de lieu, de temps, de contenus et de situations d’apprentissages. Mais ce propos a été dominé par l’ensemble des questions plus générales sur l’intégration de l’IA dans le système scolaire. Les annonces du ministère à propos de MIA ont été questionnées, aussi bien quand à leur pertinence, qu’aux cadres sécuritaires et éthiques associés.
Mais où sont passés les élèves ?
La liste impressionnante de questions posées a dû laisser les élus sur leur faim, tant les réponses n’ont pas été, en général suffisamment précises. La tendance générale a été de rappeler les questions des inégalités, des besoins particuliers de certains élèves, mais aussi le lien entre les jeunes, la société et l’École. On est cependant étonné de la confusion générale évoquée plus haut. On repose avec l’IA les mêmes questions qu’à chaque époque de l’arrivée d’un saut technologique : informatique, EAO, multimédia, Internet, moteurs de recherche, smartphone et maintenant IA. Autrement dit, la fameuse acculturation évoquée par certain·es devrait d’abord concerner les élus eux-mêmes… Il faut qu’ils sortent de leurs représentations pour aller vers des connaissances qu’ils peuvent acquérir avant de participer à ce genre d’assemblée, à moins que la fonction de celle-ci ne soit de les former eux-mêmes.
Une DNE à la traine ?
Signalons ici deux éléments qui concernent le pilotage du Numérique Éducatif. La DNE – Direction du numérique éducatif – a évoqué la sortie d’un guide des usages pédagogiques du numérique au printemps, proposition reprise en écho par la première élue ayant pris la parole (Mme Melchior). On attend d’en savoir plus, ce document aurait dû déjà être présenté avant la fin 2023…(cf la stratégie). La conclusion faite par Mme Florence Biot, sous-directrice de la transformation numérique à la direction du numérique pour l’éducation, a été en forme de cocorico en direction du gouvernement. À propos de la formation des enseignants, elle glorifie le gouvernement pour les moyens mis par celui-ci… Ce propos étant davantage fait en direction du pouvoir politique que des participants à cette table ronde… Une forme de prétention sous-jacente à ses prises de parole ne laisse pas augurer de véritables avancées dans le domaine éducatif… et en particulier à propos de l’IA pour l’éducation.
Bruno Devauchelle