Amélie Oudéa-Castéra sera restée 29 jours. Le plus court passage au ministère de l’Éducation nationale de la cinquième république. Un passage court, mais qui marquera durablement les esprits. Empêtrée dans les polémiques dès le premier jour, l’ex-ministre n’aura pas su s’imposer au sein du très technique ministère de l’Éducation nationale. Nicole Belloubet, nouvelle ministre, a l’avantage de connaitre la maison, ce qui rassure une bonne partie des organisations syndicales qui votaient hier à la quasi-unanimité (une abstention du côté des organisations lycéennes) contre le « choc des savoirs » au conseil supérieur de l’éducation. Pour autant, aucun syndicat – d’enseignants et de cadres, n’est dupe : la marge de manœuvre qu’aura la nouvelle locataire de la rue de Grenelle semble inexistante.
« C’est la cinquième ministre en deux ans », s’agace Sophie Vénétitay du Snes-FSU. « Il va falloir un peu de sérieux. Il faut arrêter les diversions, les gadgets et traiter enfin réellement l’Éducation nationale ». Si la responsable syndicale salue le départ d’Amélie Oudéa-Castéra, elle fustige Emmanuel Macron qui « a mis du temps à prendre la mesure de la crise, à nous écouter ». Le passage d’Amélie Oudéa-Castéra à la rue de Grenelle aura « durablement abimé l’Éducation nationale ».
Rassurés par le départ d’Amélie d’Oudéa-Castéra mais loin d’être dupes
Quant à la nomination de Nicole Belloubet, Sophie Vénétitay reconnait sa connaissance du monde de l’éducation, pour autant, elle s’interroge sur la ministre que sera la nouvelle locataire de la rue de Grenelle. « Sera-t-elle l’ancienne rectrice capable de démissionner, car en désaccord avec la politique menée ? La juriste qui ironisait sur l’uniforme et l’autorité ? Ou une ministre collaboratrice ? ». « C’est en tout cas, une ministre au pied du mur », poursuit-elle. « Elle arrive dans un moment de crise. Elle doit en prendre la mesure. On veut la rencontrer en urgence sur les salaires et le choc des savoirs ». « Si sa première décision est de publier les textes choc des savoirs, ça sera une grande provocation », prévient la secrétaire générale du premier syndicat des enseignants du second degré.
« Tout ça pour ça », s’exaspère Guislaine David, porte-parole de la SFU-SNUipp, syndicat des enseignants du premier degré. « Quatre semaines de mépris et de mensonges pour arriver à ce changement de ministre. On a alerté dès le début, on demandait un ministère de plein exercice. C’était évident qu’on en avait besoin. On a un ministère en crise ». Si la secrétaire générale voit d’un bon œil le départ d’Amélie Oudéa-Castéra, elle doute toutefois de la possibilité pour la nouvelle ministre de bouger les lignes. « C’est Attal et Macron qui mènent la danse. Si elle a une marge de manœuvre, ça se verra rapidement et on pourra discuter… Mais j’ai peu d’espoir. Nous ne sommes pas dupes, Bayrou n’a-t-il pas expliqué refuser le poste, car on ne lui laissait pas les coudées franches ? ». « De toute façon, il faudra qu’elle entende la colère qui s’exprime – dans les manifestations, dans les grèves, dans les mobilisations contre les fermetures de classe…, il y a une opposition ferme de la profession. Les enseignants demandent des moyens pour faire fonctionner l’école. Et Nicole Belloubet sait ce que c’est d’avoir besoin de moyens » avertit-elle.
Au SE-Unsa aussi, on explique aussi ne pas être dupe. « Si le SE-Unsa ne se fait pas d’illusion sur la continuité de la feuille de route macronienne, il demande solennellement à Madame Belloubet d’abandonner le projet du « choc des savoirs ». En effet, ce projet, qui n’a jamais répondu aux difficultés que rencontre l’École, ne gagnera pas en légitimité malgré la nomination d’une énième ministre ». « Le pilotage de l’École a besoin de stabilité, les enjeux sont d’ampleur pour toute la jeunesse et l’avenir d’un pays. Il ne s’agit pas seulement de nommer un VRP de la politique éducative arrêtée par le président de la République ou le Premier ministre. Or ces dernières années, le changement perpétuel de pilotage renvoie une image de grande fragilité qui nuit à l’École, ses élèves et ses personnels », écrit le syndicat.
Chez SUD éducation, on se dit soulagé par le « départ, attendu et réclamé par des centaines de milliers de grévistes », « un soulagement pour toutes celles et ceux qui croient en l’école publique ». « Mais sa disgrâce n’apaisera pas les personnels, qui se battent contre une politique éducative de tri social. La quasi-unanimité exprimée encore aujourd’hui en Conseil supérieur de l’éducation contre les mesures du “choc des savoirs”, dont la mise en place de groupes de niveau en collège, est révélatrice de l’opposition massive aux réformes passéistes imposées de manière autoritaire » écrit le syndicat qui indique sur son compte X (Twitter) maintenir la pression et « exiger une politique de défense de l’école publique, des élèves et des personnels ».
« Malgré les rumeurs depuis quelques jours », Catherine Nave-Bekhti du Sgen-Cfdt nous dit être « un peu de surprise » tant Nicole Belloubet a eu par « le passé des positions en matière éducative qui ne vont pas dans le sens de la politique souhaitée par le président de la République et le Premier ministre ». « Soit elle a des marges de manœuvre, soit le désaccord en matière de politique éducative va demeurer », ajoute la secrétaire générale. « Il est temps que nous ayons un ministère qui fonctionne, où le dialogue reprend sur les dossiers en suspens depuis un mois. Nous considérons qu’il faut revoir le calendrier sur la formation initiale. Nos urgences sont les conditions de travail, la rémunération, les conditions de l’école inclusive et la mixité sociale ».
Chez les cadres aussi, peu d’espoir de changement
Du côté des syndicats de l’encadrement – inspecteurs et chefs d’établissement, si l’on se satisfait du départ d’Amélie Oudéa-Castéra, on attend surtout des actes de la nouvelle ministre.
« Il va falloir reconstruire la crédibilité de la parole politique et renouer la confiance », prévient Igor Garncarzyk, secrétaire général du snU.pden-FSU. « Le changement de ministre n’augure hélas pas d’un changement de politique bien que ce soit de cela dont l’Éducation nationale a grand besoin. Nathalie Belloubet connaît bien notre institution. Elle sait l’incohérence et les dangers des réformes annoncées. Espérons qu’elle aura le courage et les opportunités de redonner espoir et objectifs positifs à l’éducation nationale : croire en la possibilité de faire réussir tous les élèves et pour cela, nécessite d’une représentation positive des mixités sociales et scolaires et la lutte contre les déterminismes ».
Audrey Chanonat, du SNPDEN, salue l’expertise de la nouvelle locataire de la rue de Grenelle, « c’est une bonne chose d’avoir une interlocutrice qui connait le fonctionnement du ministère ». « Cependant la tâche va être difficile, car les dossiers à venir sont épineux », observe-t-elle.
« Faut-il que tout change pour que rien ne change ? », ironise Agnès Andersen d’ID-FO. « Ce qui importe c’est la feuille de route et donc la politique menée. Nous attendons un changement de gouvernance. Notre boussole, ce sont nos revendications en matière de rémunération, de conditions de travail et de moyens pour préparer la rentrée ».
Voie professionnelle : le syndicat demande l’abrogation de la réforme
Quant au professionnel qui perd son « ministère » puisque la ministre Carole Grandjean n’est pas remplacée, le Snuep-FSU prévient « les deux premières exigences que le SNUEP-FSU portera auprès de la nouvelle ministre sont d’une part qu’elle abroge la réforme des lycées pros et, d’autre part, que la voie professionnelle publique et laïque sorte des griffes du ministère du Travail et retrouve sa place pleine et entière dans l’Éducation nationale ». Le syndicat n’hésite pas à alpaguer la ministre sortante, dont il salue le « courage » . « Après avoir scrupuleusement organisé le démantèlement de nos lycées pro, mis en péril l’avenir des jeunes et dégradé les conditions de travail de tous les personnels, se dérobe de ses responsabilités en fuyant furtivement « le service après-vente » de sa réforme qui s’annonce explosif dans nos établissements. Elle désobéit donc à son Premier ministre qui avait pourtant insisté sur la formule « tu casses, tu répares » dans son discours de politique générale ! » tacle le syndicat du lycée professionnel.
Lilia Ben Hamouda