Pourquoi ce cri, ce souhait, cet espoir pour notre école à toutes et tous ? L’entrée au collège cristallise les attentions parentales, et orientent les stratégies … Des collèges sont fuis, parfois, à cause d’une réputation, par peur du niveau, peur des «mauvaises» rencontres et influences, pour amour de leur enfant. Des collèges peuvent être proches mais très distincts dans leur composition sociale. Si le quartier est mixte, l’évitement et le séparatisme social et scolaire ne fait pas vivre la mixité dans les collèges.
Dans mon quartier, entre parents, depuis la maternelle, j’entends ce questionnement, et les dilemmes parfois entre conscience morale et volonté du meilleur pour son enfant, qui ne doit pas être sacrifié sur l’autel de conviction… alors, quel collège ? privé ? de secteur, du quartier, public? Comment faire coïncider l’École que nous voulons pour nos enfants avec un modèle d’École et de société que nous désirons. Car finalement, il y a bien là une contradiction entre intérêt individuel et intérêt collectif, souci du commun et de sa progéniture. Mais finalement n’est-ce pas le rôle du politique de nous libérer de ce dilemme? Nous, parents, professeurs, élèves, citoyens, ne pouvons-nous pas attendre des politiques publiques de réguler ce «marché éducatif», en redonnant une priorité à l’école publique, en mettant fin au séparatisme social, en demandant par exemple aux écoles privées sous contrat des conditions de mixité quand cela est possible?
De l’argent public qui profite au séparatisme social
Rappelons, si cela est encore nécessaire, que les établissements privés sous contrat, sont subventionnés à 73% par l’argent public. Et que leur sociologie, souvent favorisée, atteste d’un choix, souvent, motivé par un environnement social. L’État finance ainsi le séparatisme social, organisant l’École des classes. Car si cet entre-soi est «choisi» par certains, au détriment du collectif et des valeurs républicaines et humanistes, de la fraternité et de l’égalité, il génère un entre-soi «subi» par d’autres enfants de la République. Bien sûr, il ne faut pas réduire la question de la ségrégation au domaine scolaire, car elle est liée à la question du logement, de la ségrégation urbaine. Mais dans les agglomérations, il est possible d’agir, comme l’ont fait des collectivités à Paris, ou Toulouse dans des expérimentations qui ont fait leur preuve. Il s’agirait donc de multiplier ces bonnes pratiques: il n’y a pas de fatalisme. Exigeons des politiques publiques au service des services publics.
Malgré nous, nous, citoyens attachés et usagers des services publics, nous co-finançons les établissements privés sous contrat : majoritairement, puisque nous sommes majoritairement parents d’enfants scolarisés dans une École publique, laïque et gratuite, celle de toutes et tous, celle qui ne sélectionne pas. C’est la double-peine pour les «pratiquants» et défenseurs du service public d’éducation de plus en plus privé de mixité sociale et scolaire. Pourquoi co-financer cette ségrégation sans aucune condition de critère de mixité ou de carte scolaire alors que le choix du privé prive l’école publique de mixité, et l’affaiblit, en participant à la ghettoïsation des collèges publics? L’accepter, n’est-ce pas accepter que les inégalités et leur reproduction soit l’ «ordre des choses», entériner que la place de chacun est déterminée avec une vision d’une société des maîtres et des serviteurs aux droits distincts.
La ségrégation au détriment de la cohésion sociale et nationale
Parce que l’École est de plus en plus inégalitaire et ségréguée, il est urgent d’agir : les données ministérielles montrent l’écart immense de composition sociale entre les établissements publics et privés, permettant d’objectiver l’absence de mixité sociale et donc de porter au débat public la ségrégation sociale de notre système scolaire. Si les collèges publics ont près de 20% d’élèves issus d’un milieu très favorisé et plus de 42% de issus d’un milieu défavorisé, le privé sous contrat, quant à lui, accueille deux fois plus d’élèves socialement très favorisés que les établissements publics et deux fois moins d’élèves défavorisés. C’est donc l’exact inverse : le privé concentre les familles très favorisées et les écarts se creusent.
S’il est une guerre scolaire, n’est-elle pas celle de la sécession scolaire et si nous voulons «réarmer» l’école, ne suffirait-il pas, pour réarmer l’école publique, de cesser d’armer le séparatisme social qui mine la cohésion nationale et la démocratie ? Un rapport de 1995 comparait «la ségrégation sociale avec une bombe à bombardement pour la société française»… 20 ans après, les effets dévastateurs psycho-sociaux du séparatisme social et scolaire ne doivent pas être niés, l’École française fabrique de la défiance et de la perte de confiance dans l’institution mais au-delà, dans l’État, notamment pour la jeunesse populaire. Favoriser la mixité sociale et scolaire, comme l’inclusion d’ailleurs, relève dès lors d’enjeux démocratiques et politiques et contribuerait certainement à construire une société plus apaisée, et à une perception de soi comme de la société plus positive.
Vive la mixité
Pourquoi ne pas appréhender l’altérité sous le signe de la richesse, de l’enrichissement, de la confiance? L’enjeu démocratique de la mixité se mêle à sa visée éducative. La mixité sociale, scolaire, culturelle est un vecteur d’éducation, d’éducation par ses pairs, par l’autre. Elle est ouverture sur l’altérité, qui permet de développer d’autres compétences que les savoirs académiques. L’école ne doit pas séparer mais elle contribue à faire grandir, à émanciper. Par le savoir, par la réflexion, par la découverte de soi, (par) des autres. Pourquoi enfermer nos enfants? Pourquoi verrouiller leur monde? Pourquoi verrouiller nos enfants dans notre monde ?
Si le réarmement civique est à l’ordre du jours, alors osons la mixité durant la scolarité, et non durant 15 jours de SNU. Pour faire une société des liens, des communs, du partage, commençons par rendre l’École plus fraternelle et inclusive, dans laquelle, dans sa diversité, chacun aurait toute sa place.
Nous sommes nombreux, à faire le choix de l’école publique, le collège du quartier. Nous sommes nombreux, nous sommes finalement majoritaires. Sommes-nous de mauvais parents? Inconscients et irresponsables de faire le choix du commun, de l’altérité sociale, culturelle, économique, de faire des choix guidés par l’intérêt général comme de nos enfants? Dans l’intérêt de nos enfants, nous pouvons faire le choix de la mixité, le choix d’inscrire nos enfants dans le collègue du quartier car nos enfants doivent vivre dans le monde, réel, pas le monde fantasmé de nos peurs, de nos ambitions, de la course à la compétition. Nous pouvons faire le choix de la confiance et non de la peur, convaincu que nos enfants seront riches des rencontres, des échanges avec leurs camarades, riches des discussions et interrogations que la confrontation à d’autres «règles» que celles de la maison.
Pour la démocratie, (que) vive l’école publique. Pour l’école publique, (que) vive la mixité. Ayons le courage d’agir pour la majorité des enfants. Car il ne doit pas y avoir d’École au-dessus des lois, il ne doit pas y avoir d’élèves de seconde zone.
Djéhanne Gani