Éduquer à l’égalité, au genre et à la sexualité n’est pas une option facultative, mais une mission de l’école inscrite dans la loi. Pour autant, on peut se sentir démuni.es face à ces questions, illégitimes à les aborder, perdu.es face à l’ampleur de la tâche et à l’éclatement des supports et ressources. En rassemblant et organisant dans un même guide, ACCOMPAGNER la construction sexuelle et de genre chez les ados, définitions et lexique, textes officiels, éléments de réflexion, ressources pédagogiques, documentaires, audio et visuelles, immédiatement accessibles par des codes QR, Vincent Patigniez, professeur documentaliste dans l’académie d’Orléans-Tours, formateur « Egalité filles-garçons » et membre de l’Observatoire académique de prévention et de lutte contre les LGBT+phobies, permet à chacun.e, formateur.trice, enseignant.e et autre personnel, de s’appuyer sur un cadre de référence clair, d’interroger ses pratiques et d’agir « pour faire égalité ». Entretien avec l’auteur de cet ouvrage de partage, conçu comme un véritable « couteau suisse ».
Vous commencez votre guide en proposant d’établir une terminologie commune, y compris avec les élèves, et évoquez pour ce faire plusieurs jeux à mener avec des classes. Pourquoi est-ce si important de « nommer » ? Pourriez-vous nous donner un exemple d’activité possible afin d’illustrer cette démarche ?
Les diversités des genres et des sexualités ont toujours existé. Mais ces questions sont aujourd’hui davantage médiatisées et expliquées, ce qui favorise les identifications, les possibilités de « nommer pour faire exister », et les visibilités. L’acronyme LGBTQIA+, témoin des pluralités et des diversités des sexes, genres et sexualités, offre ainsi un panel ouvert au service des possibilités d’être soi. Néanmoins les confusions étant nombreuses, préciser ce que sont les sexes, les genres et les sexualités est essentiel.
Lors des formations et des séances avec les élèves, je propose notamment l’activité « Décortiquons les genres », une animation proposée dans le kit [Dé]Genrer la ville : Espace public, genre et masculinités proposé par Cultures&Santé. Les participant·e·s sont invité·e·s à noter sur des post-it d’une couleur « un comportement et/ou une caractéristique et/ou une valeur que l’on attribue généralement aux hommes » et sur des post-it d’une autre couleur ce qu’on attribue aux femmes. Les post-it, affichés de manière binaire, représentent des boîtes. La phase questionnement invite à interroger cette bicatégorisation sociale en se posant notamment les questions suivantes : « Que se passe-t-il pour les femmes et les hommes qui sortent de cette boîte ? Doivent-iels faire face aux mêmes obstacles pour en sortir ? Que se passe-t-il pour les personnes qui ne s’identifient à aucune des boîtes ? ». L’activité permet un retour lexical (relatif aux sexes, aux genres et aux sexualités), afin de différencier le biologique du social ; elle s’adapte à tous les niveaux et permet une déconstruction certaine des conceptions binaires, confirmée par l’éclatement des boîtes.
Vous interrogez d’ailleurs très vite l’expression « Egalité filles garçons » : pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?
Effectivement, l’expression consacrée « officielle » est « égalité filles-garçons », mais, dans une démarche de renforcement de la maîtrise du vocabulaire, nous ne l’utiliserons pas. Nous nous plaçons ici dans une approche « critique » de débinarisation / décatégorisation. Utiliser le terme binaire « garçons-filles » renforce le système normatif de genre, mais également ce que Réjane Sénac nomme « l’égalité sous conditions » de performances, de résultats, qui détermine les rôles de genre, les effets d’attente, les gestes professionnels. Ainsi, l’élève est considéré·e, socialisé·e, évalué·e, essentialisé·e en tant que garçon, en tant que fille, et non en tant que personne. L’égalité des genres invite à dépasser les rôles, les positionnements, rappels ou habitudes de genre, vers une multiplicité des trajectoires au profit d’un spectre plus inclusif de la dignité humaine.
Les enseignant.es freinent parfois à mettre en place des projets d’éducation à l’égalité et à la construction affective et sexuelle, se demandant si cette éducation relève bien de leurs missions et craignant les réactions des familles ou des élèves. Comment lever ces réticences et répondre à ces inquiétudes ?
L’appui des textes réglementaires permet de répondre aux craintes qui se cristallisent autour de cette question : ces sujets sont politiques, peut-on vraiment les aborder ? Quelles peuvent être les réactions des élèves, des parents, des directions ? Est-du militantisme ? Sur ces questions le cadre législatif et les références précises qui s’inscrivent dans les programmes sont claires : l’éducation à la sexualité est une obligation inscrite dans le Code de l’éducation (articles L. 121-1 et L. 312-16) depuis la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001*.
Pourtant aujourd’hui, selon le mouvement Cas d’école « 67 % des jeunes de 15 à 24 ans déclarent ne pas avoir bénéficié des 3 séances annuelles d’éducation à la sexualité », et ce malgré les besoins des ados, l’augmentation du sexisme, des violences sexuelles ou encore des LGBT+phobies. Souvent incomprise, cette « éducation à la sexualité », encadrée par la loi, favorise pourtant le développement des compétences au regard des champs psycho-émotionnel, biologique, juridique et social. Le droit à l’information et l’éducation à la citoyenneté sexuelle ne sont ni du militantisme, ni du prosélytisme, ni de la propagande, ni du lobbying. Simplement du bon sens et une volonté de veiller à la santé (mentale, sociale…) des jeunes.
Rappelons également le référentiel des compétences des métiers du professorat et de l’éducation qui s’inscrit bien évidemment au sein de la culture de l’égalité : faire partager les valeurs de la République ; prendre en compte la diversité des élèves ; agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques ; etc. Le rôle que nous avons choisi et accepté incarne des principes et des valeurs. Le rappeler est nécessaire car les personnels n’échappent pas aux préjugés et, souvent de manière involontaire, exercent des pratiques pédagogiques inégalitaires.
L’école a donc bien pour mission de lutter contre les discriminations et d’éduquer à l’égalité. Mais pourtant elle participe elle aussi à une « mise en genre », et à une « mise en orientation sexuelle ». Vous proposez d’interroger ces mécanismes avec les élèves, et suggérez plusieurs pistes pour les mettre à jour et les combattre. Pourriez-vous par exemple nous présenter l’activité « Redéfinissons les règles de genre ! » que l’on peut exploiter dès la classe de 6ème ?
Je précise que j’emprunte ces expressions à Gabrielle Richard, sociologue du genre, avec qui j’ai la chance de travailler.
« Redéfinissons les règles du genre ! », est une activité pour les 6e ; par groupes de quatre ou cinq, les élèves réfléchissent collectivement, puis proposent trois mots en réponse à la question suivante : que représente pour vous l’égalité des genres à l’école ? Etape suivante : nous interrogeons les élèves sur la question des stéréotypes sexistes/de genre. Nous utilisons les affiches « Les filles/les garçons peuvent… », dans lesquelles l’autrice Élise Gravel renverse les stéréotypes initialement associés aux catégories binaires, pour prévenir le sexisme. Les ados comprennent rapidement la démarche de l’autrice.
Troisième étape : débat mouvant. En nous appuyant sur le Guide de l’Union européenne contre les stéréotypes sexistes, nous proposons une suite d’affirmations aux élèves : « Tous les garçons aiment jouer dehors », « Les filles aiment porter des robes », « Tous les enfants aiment dessiner ». Nous interrogeons les généralisations (abusives) / les raccourcis cognitifs, pour construire collectivement la définition du stéréotype de genre et ses conséquences. Nous sensibilisons également à la différence entre savoir, opinion et croyance.
Quatrième étape : activité en groupes. Les élèves disposent d’une proposition de cliché par table : « Les garçons ont le sens de l’orientation », « Les filles sont vulnérables », intitulés empruntés aux affiches « Attention cliché ! » du Réseau Canopé. Chacun·e réagit aux affirmations proposées, argumente. Puis, collectivement, les élèves déconstruisent ces formulations abusives et nous leur proposons de rayer symboliquement l’affirmation stéréotypée et d’inscrire : les émotions, les sentiments, les qualités, les défauts… n’ont pas de genre ! « C’est nous qui genrons, c’est vous qui genrez », ont conclu les élèves.
Etapes cinq et six : les élèves disposent, par groupe, d’une série de six métiers présentés de manière inclusive. La consigne est la suivante : « Pour être… il faut ? ». Iels listent une suite de compétences, de qualités. L’objectif est de parvenir à la conclusion suivante : tous les métiers sont mixtes ! Et on termine par : c’est quoi une fille, c’est quoi un garçon ? Individuellement, chaque élève colle son post-it sur le tableau sur lequel nous disposons deux silhouettes « femme/homme », téléchargeables sur le site du CRIPS Ile-de-France. Nous précisons dans la consigne que le positionnement est libre et ne donnons aucune qualification/catégorisation des silhouettes ! Cela nous permet de vérifier si la question de la binarité perdure. Spontanément, les élèves positionnent les post-it en dehors des silhouettes, de manière centrée, en écrivant : « C’est quelqu’un de libre », « C’est deux êtres humains égaux », « Cela dépend si on parle de ressenti ou de biologie, car en ressenti on peut être homme, femme, non binaire… »…
L’identité de chaque personne ne se résume pas à une bicatégorisation et n’est pas toujours de fait en adéquation avec l’assignation de naissance. La pluralité des genres et la diversité affective/sexuelle sont des données fluides. Respecter l’autodétermination des personnes est essentiel.
Ce même paradoxe traverse la question des violences sexistes et sexuelles puisque l’école s’efforce de les prévenir tout en constituant un milieu fertile à leur développement. Sur celles-ci la situation est alarmante, notamment en ce qui touche les LGBT+. Comment l’école pourrait-elle jouer davantage son rôle de prévention ?
Rappelons que la prévention des violences sexistes et sexuelles s’inscrit dans l’axe 4 de la Convention interministérielle pour l’égalité filles-garçons, femmes-hommes dans le système éducatif 2019 – 2024*. À l’école, nous ne devons rien banaliser / invisibiliser : à la lumière du mouvement #MeToo soulignant les violences sexistes et sexuelles systémiques, les propos, les actes, le sexisme ordinaire, les gestes non consentis doivent absolument cesser… C’est à cette condition que nous pourrons faire changer les choses durablement.
Il faut donc éduquer à l’égalité, au genre et à la sexualité, bien entendu ! La prévention des violences sexistes et sexuelles, des violences de genre est essentielle, afin de co-penser un monde plus égalitaire et plus inclusif. Des masculinités / masculinismes au double standard, en passant par le (non)consentement, la notion d’emprise (dans les relations amoureuses, amicales), l’amour, le dialogue, la question du plaisir, de la contraception ou encore la prévention des IST… les thématiques à aborder lors des ateliers « vie affective, relationnelle, émotionnelle et sexuelle » ne peuvent être optionnelles. Ces séances ne sont pas d’ailleurs pas réservées aux infirmiers/ères et aux collègues de SVT.
Déconstruire les stéréotypes de genre favorise également la réduction des situations de harcèlement LGBT+phobe liées à l’expression de genre. Les préjugés envers les personnes LGBT+ sont pluriels et alimentent les violences de genre. Interroger, conscientiser les stéréotypes de genre/sexistes qui légitiment les rôles catégorisés et sociaux de genre (c’est quoi un garçon, une fille, le masculin, le féminin ?) doit irriguer les enseignements. Comment ces stéréotypes sont-ils entretenus ? La responsabilité incombe-t-elle aux médias ou avons-nous une part de responsabilité ? Comment les médias d’information, les livres, la télévision le cinéma ou encore la radio entretiennent-ils ou maltraitent-ils les représentations des genres et des sexualités ? Quid de l’hypersexualisation des femmes et des récentes émissions, « à la limite de la pornographie », de téléréalité comme « Frenchie Shore » ?
Enfin, pour « sortir de l’impasse », il faut penser la « pédagogie critique des normes » comme incontournable, pour citer Gabrielle Richard. L’école ne se positionne pas de manière égalitaire, ce qui ne permet pas aux élèves LGBTQI d’être traité·e·s de manière égalitaire. Il faut penser l’inclusivité. La Circulaire de rentrée 2023* rappelle la nécessité de veiller à l’émancipation et la protection de toustes, mais actuellement, les besoins de l’ensemble des élèves ne sont pas assurés. Les séances d’éducation à la sexualité non organisées ou le manque de modèles identificatoires/positifs dans les supports pédagogiques en témoignent. De manière systémique, on retrouve cette question de la représentation permanente des modèles hétérosexuels et cisgenres, qui ne font pas exister la pluralité des genres et la diversité sexuelle. Vous pensez certainement à la problématique des manuels scolaires, normatifs, et vous avez raison. Les femmes (notamment) ne sont pas suffisamment représentées. Interrogeons-les. Veillons à nos affichages également : sont-ils inclusifs ?
Les ateliers de vie affective, relationnelle et sexuelle participent ainsi à la mise en place d’une pédagogie égalitaire et soulignent le droit à l’information pour toustes. A cela s’ajoutent les interventions d’associations qui permettent d’ouvrir à l’inclusion LGBTI+. Celles-ci sont efficaces (y compris sur le long terme) et doivent se poursuivre, pour accompagner les ados, collectivement et individuellement. N’oublions pas notre objectif : lutter contre le sexisme, les violences et les discriminations, qui gangrènent le « vivre ensemble » et que l’on doit contrer à tout prix.
Vous évoquez plus particulièrement, à ce sujet, la question des injures LGBT+phobes, auxquelles « On ne s’habitue jamais » écrit Edouard Louis, cité en exergue, et que pourtant, très souvent, on banalise et minimise : pourquoi est-il important de s’y opposer et comment y parvenir ?
Insultes, messages dégradants, moqueries, intimidation, harcèlements, pornodivulgation, doxxing… les formes sont pléthoriques et augmentées par le numérique. Et le milieu scolaire est un « terreau fertile pour ces violences LGBTIphobes ».
Pourquoi ne pas banaliser l’injure ? L’injure, performative, infériorise et identifie l’individu ciblé·e comme un problème. Sur ce sujet les mots de Didier Eribon sont éclairants et permettent une prise de conscience certaine : c’est par l’injure « que les [homosexuels] prennent conscience de ce qu’ils sont, et que ce qu’ils sont est précisément ce qu’il ne faut pas être. La conscience de l’injure est constitutive de la personnalité et de la subjectivité des gays et des lesbiennes ». Par ailleurs, la question des insultes et des violences LGBT+phobes touche également les élèves qui vivent dans des familles qui s’inscrivent en dehors du prisme hétérosexuel et des normes de genre : familles homoparentales, parentalités trans… L’injure est inscrite au sein d’une logique systémique. Sa prévention est protéiforme. Ne rien banaliser, jamais.
Il est donc essentiel pour les enseignant.es de mieux comprendre tous ces mécanismes inconscients d’adhésion aux normes qui influencent leurs gestes professionnels afin de les combattre. Pourriez-vous ainsi nous expliquer comment agissent « l’effet Golem », « l’effet Pygmalion » ou encore comment on peut combattre « la menace du stéréotype » ?
Les travaux de recherche en sociologie et en sciences de l’éducation constatent que les gestes professionnels ne sont pas systématiquement égalitaires, mais influencés par des biais sociaux, de genre, des effets d’attente, au regard des catégories sociales présumées. L’objectif est de former les personnels à « contrer les effets des croyances aux différences hiérarchisées [entre les sexes/genres] dans les pratiques de classe », explique Nicole Mosconi.
L’idée qu’ils et elles se font des élèves produit un « effet Golem » ou un « effet Pygmalion ». L’effet Golem correspond aux attentes négatives des enseignant·e·s qui induisent une baisse notamment des performances, de la confiance en soi au sein de diverses situations d’apprentissage. L’effet Pygmalion renvoie aux attentes positives qui induisent un cercle vertueux. En effet, une attente positive renforce les progrès des élèves : nos comportements (biais) influencent les comportements des élèves.
« L’existence d’un stéréotype (ex infériorité en termes d’intelligence, de performances sportives, etc.) constitue une menace pour les individus des groupes qui en sont la cible. » explique Steele. Dans le cadre scolaire, cette « menace » a notamment été observée au prisme des mathématiques pour les « filles »* et de la lecture pour les « garçons », c’est-à-dire envers le groupe social ciblé par le stéréotype négatif. En effet, « le fait de se savoir la cible d’un stéréotype peut avoir un effet sur nos performances et notamment nos performances intellectuelles ». Cette menace entrave la liberté de nos comportements et impacte la motivation, par anticipation : désengagement, pensées limitantes… La connaitre permet de repenser ses interactions, ses pratiques pédagogiques, son évaluation, la gestion de la prise de parole et des rôles sociaux. Ne pas la connaître biaise la réalité des performances et des compétences des élèves.
Il est également important d’identifier nos effets d’attente, vertueux ou problématiques, dans notre enseignement : pour cela, il faut observer et analyser ses pratiques pédagogiques. Il est aussi utile de conscientiser ses préjugés à l’égard d’un groupe social et toujours essayer de développer les compétences psychosociales (cognitives, sociales et émotionnelles) des élèves : estime de soi, conscience/connaissance de soi, confiance en soi versus croyances limitantes ; prise de décision, expression et affirmation de son opinion, sans crainte du potentiel coût social en cas d’intervention ou d’opposition au conformisme/rôle attendu.
Cette prise de conscience est aussi incontournable si l’on veut introduire davantage d’égalité et de mixité dans l’orientation scolaire. Quels principaux leviers conseillerez-vous de privilégier pour lutter contre la « ségrégation genrée » qui perdure dans de nombreuses voies et freine les filles, mais aussi, même si on le dit moins, certains garçons, eux aussi soumis à des normes sociales dans leurs choix ?
Le vocabulaire utilisé a un réel impact sur la construction des ados. La question de la ségrégation genrée des métiers en est en partie issue. Historiquement, le masculin l’a « emporté » sur le féminin, en raison d’un système patriarcal, inscrivant la langue dans une démarche politique, et les résistances de l’Académie française renforcent cette démarche patriarcale de maintien de l’androcentrisme par le langage. L’objectif est maintenant de s’interroger sur le sexisme de la langue, et de reféminiser celle-ci ou, comme le préconise Eliane Viennot (historienne de la littérature), de la démasculiniser.
La Convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif 2019-2024* rappelle la nécessité de favoriser une politique d’orientation en faveur d’une plus grande mixité des filières et métiers (axe 5) et ainsi la nécessité d’offrir à l’ensemble des élèves une liberté dans leur choix d’orientation. Le rapport de la DEPP* (2023) confirme qu’« en France, les filles s’orientent davantage en voie générale et technologique que les garçons, plus nombreux en voie professionnelle, en particulier en apprentissage ». Constat confirmé par les données académiques et nationales concernant les choix de voies de formation, où perdure encore une ségrégation genrée, au regard des « normes de virilité et de féminité ». Nous assistons donc à une « défaillance de la mixité », explique Nicole Mosconi.
Chaque situation pédagogique peut donner lieu à travailler la mixité des métiers. Par le vocabulaire inclusif, on peut faire exister mentalement les métiers, les reféminiser. Par les exemples pédagogiques choisis, non stéréotypés, on peut contrer la non ou la sous-représentation des femmes dans des postes à (hautes) responsabilités. Pour cela, on peut par exemple systématiser la création de « fiches métiers » inclusives (à l’image de celles proposées par l’ONISEP), centrées sur les compétences et ne genrant pas les présentations, analyser des offres d’emploi … Il y a une promotion ciblée et forte à mener, aussi, sur l’orientation pour les filles vers des métiers scientifiques, du numérique ou de l’informatique* ! Ajoutons également que la recherche est claire sur ce point : il n’y a aucune justification biologique à une répartition genrée des métiers et des compétences qui ne repose que sur une construction culturelle et sociale. Il faut donc se battre bec et ongles contre ces contraintes normatives, en permettant à toustes de s’orienter vers des métiers où l’on prend soin des autres, en luttant contre l’autocensure et la menace du stéréotype, en laissant rêver les élèves et en présentant des « rôles modèles » qui contredisent les clichés !
Le dernier chapitre de votre guide évoque « le rôle essentiel de l’éducation aux medias et à l’information » ; souvent résumée à la lutte contre les infox, celle-ci peut pourtant aussi participer à l’éducation sexuelle et affective des adolescent.es : de quelle manière par exemple ?
L’EMI fait référence à un certain nombre de champs de compétences : informationnel, médiatique, numérique, visuel, algorithmique… qui irriguent les enseignements de la maternelle au lycée. Pour les établissements du second degré, les professeurs·e·s documentalistes, expert·e·s en Sciences de l’information et de la communication, sont des acteurices privilégié·e·s au service de « l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias ». Mais de nouveau, la démarche est collective et systémique.
(Cyber)misogynie, discours masculinistes, raids numériques ou encore toute action relative aux sexismes en ligne, le champ d’intervention et de prévention s’inscrit comme une urgence. Apprendre aux élèves à signaler les contenus violents, sexistes, LGBT+phobes… est une nécessité. À l’heure d’une majorité numérique fixée à 15 ans (loi du 7 juillet 2023), en France, l’accompagnement des jeunes sur les pratiques numériques et informationnelles est un enjeu citoyen primordial à partager.
Dans le cadre d’une société fortement productrice et consommatrice d’information et de communication, un certain nombre de problématiques / de paniques morales relatives aux questions d’égalité et de sexualité voient le jour : stéréotypes réducteurs et normatifs, préjugés, violences de genre en ligne, propos et discours anti-queer, désinformation, informations pseudo-scientifiques, etc. Une nouvelle enquête menée notamment par Amnesty International États-Unis souligne l’« augmentation des discours violents et haineux à l’encontre de la communauté LGBTQIA+ sur Twitter depuis le rachat par Elon Musk ». Prévenir la haine en ligne, identifier les biais/maltraitances médiatiques, déconstruire les stéréotypes de genre/sexistes dans les médias, distinguer faits/opinions/croyances, analyser les représentations médiatiques binaires des genres et des sexualités ou encore débunker les productions (articles, vidéos…) de désinformation s’inscrivent dans nos missions.
De plus, l’esprit critique (enseignement partagé) invite notamment à prévenir les biais de genres et à lutter contre l’avarice cognitive et à ouvrir son cadre d’interprétation : se remettre en question ! Vous pouvez inviter à l’échange, au regard d’idées reçues à interroger. Par exemple : « La transidentité, c’est un effet de mode ou c’est une pression des pairs » ; « On choisit son orientation sexuelle/son identité de genre » ; « L’homosexualité féminine est la preuve d’une insatisfaction sexuelle/affective avec les hommes » ; « L’hétérosexualité, c’est naturel » ; « Le sexe biologique détermine l’identité de genre » ; « Les personnes LGBT+ sont trop visibles dans les médias »….
Les cultures numériques, médiatiques et informationnelles évoluent rapidement et il est parfois possible de se sentir déstabilisé·e. Lors de séances pédagogiques, il faut s’appuyer sur les références des élèves ; c’est un levier certain pour co-construire des connaissances.
Votre livre a été violemment décrié ; comment analysez-vous le déchaînement de haine qu’il a suscité alors qu’il s’efforce tout simplement de proposer des ressources documentées et des pistes concrètes pour rendre l’école plus égalitaire ?
Les propos ou discours réactionnaires ne sont hélas pas nouveaux. Je m’y attendais. Au sein des discours de haine en ligne ou d’ouvrages aux titres anxiogènes (homophobes, transphobes…), les différents procédés de manipulation (biais, sophismes, contre-vérités), aux relents conspirationnistes / en dialogue avec les « rumeurs sur fond de théorie du complot », pour reprendre l’expression de Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, s’orientent très souvent vers la « protection de l’enfance ». Les élèves seraient ainsi en danger lors des séances d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. C’est absurde, puisque l’objectif s’inscrit dans le cadre notamment de la prévention des violences et des discriminations.
Dans un contexte où les mouvements les plus réactionnaires tentent de faire pression sur l’école – rappelons par exemple que le collectif « Parents vigilants » (mouvement venant de Reconquête, le parti d’Éric Zemmour) avait annoncé souhaiter investir un grand nombre de sièges aux élections des parents d’élèves – l’école et l’éducation sont également visées via des expressions comme « propagande LGBT », « lobby LGBT », « idéologie du genre », « nouvel ordre mondial sexuel »… Aujourd’hui, la Circulaire de 2021, « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire », est de nouveau dans le viseur d’associations conservatrices, même si la demande d’annulation de la Circulaire de deux associations vient heureusement d’être rejetée par le Conseil d’État fin décembre 2023.
Souhaitons-nous la mise en danger de cette éducation à l’égalité, à l’unité, à la sexualité et au genre ? Permettre à chaque jeune d’être soi et de vivre sereinement n’est pas un sujet de débat.
Propos recueillis par Clare Berest
Egalité filles-garçons – Education à la vie affective et sexuelle : textes institutionnels *
Hétéro, l’école ?, Gabrielle Richard : « Combattre enfin l’homophobie scolaire » sur le site du Café pédagogique.
« Enseigner l’égalité filles-garçons », entretien avec Fanny Gallot sur le site du Café pédagogique.