Mardi 6 février, enseignants et enseignantes étaient appelés à manifester contre le « choc des savoirs » pour la deuxième fois en quelques jours. Si le 1er février, les syndicats avaient réussi à mobiliser plus de 40% des professeur·es des écoles et 47% des professeur·es du second degré, cette journée a été plutôt suivie par les professeur·es de collège – premiers concerné·es par la réforme du collège. Pour autant, professeur·es en lycée, professeur·es des écoles, chef·fes d’établissement… étaient aussi du cortège parisien. Pour les syndicats, l’objectif de cette grève était de maintenir la pression sur la rue de Grenelle, pari réussi.
À l’appel du Snes-FSU, principal syndicat des enseignants du second degré, de la CGT et de SUD éducation, de nombreux enseignants ont cessé le travail. Si la manifestation parisienne était moins fournie que celle du 1er février, les manifestants étaient aussi en colère que jeudi dernier. « Le choc des savoirs n’est qu’un des éléments de la casse du service public d’éducation », s’exaspère Marie-Lise, professeure de SES dans un lycée parisien. « La réforme du lycée, nous la subissons au quotidien. On ne nous laisse plus faire notre travail, j’ai la sensation de maltraiter mes élèves avec le rythme que je leur impose pour boucler le programme. Alors dès que je peux dire Stop, pour eux et pour nous, je le fais ! ».
« La mort du collège, c’est la mort de l’ascenseur social »
Mohamed et Alain sont venus manifester ensemble. Les deux directeurs d’école ne sont « pas faciles à mobiliser » selon leurs termes. « Mais là c’est trop », explique Mohamed. « On est vraiment à un point de bascule. Je suis un enfant du nord. Mon père était ouvrier, autant vous dire que la misère, j’ai connu. L’école, ça n’a pas été facile, mais j’y suis arrivé. Avec ce nouveau collège qui se dessine, aucune chance d’avoir la carrière que j’ai. Aucune chance que moi, le petit immigré pauvre puisse devenir un jour professeur puis directeur. Ce n’était déjà pas facile à mon époque, avec pourtant le collège unique, je n’imagine même pas les conséquences si on trie nos élèves dès 11 ans… On dit qu’aujourd’hui l’ascenseur social est en panne, demain, il n’y en aura plus du tout…»
Linda est professeure de mathématiques en Seine-Saint-Denis. Une toute jeune professeure, elle est contractuelle et a commencé à enseigner il y a quelques mois. « Je viens du milieu de la finance. Un monde de requins qui m’a fait perdre foi en l’humanité. Enseigner, pour moi, c’est reprendre les bases, c’est être au contact de jeunes qui façonneront le monde de demain. En laissant s’installer les groupes de niveau, on envoie le message à une bonne partie de mes élèves qu’ils ne valent rien. Comment espérer un monde meilleur demain si on ne crée pas du commun aujourd’hui ? ». Sa collègue Mounia, professeure en SEGPA, est épatée par le « courage » de Linda, « c’est rare de voir des contractuels prendre le risque de manifester » . « Ça dit quelque chose de l’importance de ce qui se joue aujourd’hui », ajoute l’enseignante militante chez SUD éducation.
« Une colère bien ancrée face au choc des savoirs »
« 40% des enseignants et enseignantes en collège sont en grève aujourd’hui », nous dit Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. « C’est dire la colère des collègues qui accumulent deux journées de grèves à quelques jours d’intervalle. Cela montre une colère bien ancrée face au choc des savoirs ». La responsable syndicale prévient déjà le ou la prochaine ministre – « si remaniement il y a », « il ou elle devra entendre très vite que l’annulation du choc de savoirs est une mesure qui devra très rapidement être prise ». Si la colère gronde, c’est aussi pour les salaires, nous dit Sophie Vénétitay. « Le ou la successeur d’Amélie Oudéa-Castéra devra nous donner une réponse sur ces sujets dans les jours qui viennent ». Une position portée par l’intersyndicale éducation qui prévenait le 4 février, « une journée de grève ne suffira pas pour gagner » écrivait -elle dans un communiqué. « Nous sommes à un point de bascule pour l’École publique. Cela appelle une réponse forte qui passe par une action dans la durée… Pour défendre l’École publique, exiger l’ouverture de discussions immédiates sur les salaires ainsi que l’abandon des mesures chocs des savoirs, pour des mesures qui améliorent nos conditions de travail (notamment par l’annulation des suppressions de postes et la création des postes nécessaires), nos organisations FSU, UNSA Éducation, SGEN-CFDT, CGT Educ’action et Sud Éducation décident de s’inscrire dans un plan d’action dans la durée ».
Quel que soit le futur ou la future ministre, si Amélie Oudéa-Castéra est remerciée comme beaucoup le pronostiquent, les syndicats lancent un avertissement fort : l’abandon du « choc des savoirs » ou une crise qui s’inscrit dans la durée. Mais avec les vacances scolaires qui débutent dans deux jours pour une zone, auront-ils les moyens de maintenir la pression ?
Lilia Ben Hamouda