La démission surprise de Christophe Kerrero, recteur de Paris, affaiblit la ministre de l’éducation nationale, déjà fortement fragilisée par les affaires à rebondissement et son style inimitable. D’autant que l’ancien recteur frappe là où la ministre est attaquée : sur la mixité sociale à Paris. Après avoirs mis les enseignants dans la rue, Amélie Oudéa-Castéra s’avère incapable de contrôler le haut encadrement de l’Education nationale. Et la critique portée contre la ministre vient de la droite, la cible courtisée par l’Elysée.
La lettre de C. Kerrero
« Je quitte aujourd’hui mes fonctions de recteur quand notre Ecole est en proie au doute… Je reste plus que jamais attaché au service public d’éducation ». Dans un message adressé le 2 février aux chefs d’établissement, Christophe Kerrero annonce sa démission du poste, si envié, de recteur de Paris. Il l’occupait depuis 2020, après avoir été directeur du cabinet de JM. Blanquer.
L’ancien recteur justifie sa démission par le refus de la ministre de l’éducation nationale de fermer trois classes préparatoires pour ouvrir des classes préparatoires au professorat des écoles (PPPE), ouvertes aux bacheliers professionnels. C. Kerrero lie la décision de la ministre à son programme en faveur de la mixité sociale mené à Paris depuis 2020 par la réforme de l’affectation en seconde. « Vous le savez, la reproduction sociale caractérise encore beaucoup trop notre système éducatif. Paris en est un exemple… Toute mon action aura été de vouloir inverser cette tendance… En un peu plus de 3 ans, nous avons pu inverser les courbes… Grâce à votre action… Nous avons pu contrer l’assignation à résidence entre lycées« . Ainsi c’est parce qu’il est attaché à la mixité sociale que C. Kerrero aurait été amené à démissionner. Mais qu’en est-il vraiment ?
Un recteur attaché à la mixité sociale ?
Le programme parisien d’affectation en seconde Affelnet, modifié par C Kerrero, suivi par Pauline Charousset et Julien Grenet (PSE),a effectivement amélioré la mixité sociale et scolaire dans les lycées parisiens. « Des établissements réputés comme Chaptal, Charlemagne ou Condorcet ont vu leur composition sociale et scolaire se rapprocher sensiblement de la moyenne, tandis qu’à l’inverse, des lycées historiquement moins cotés comme Henri Bergson, Edgard Quinet ou Voltaire ont connu une augmentation spectaculaire de leur IPS moyen et du niveau scolaire des admis« , écrivent-ils en bilan de cette action. Globalement l’indice de mixité sociale s’est amélioré dans les lycées publics.
Mais ce programme connait aussi ses limites. Cette réforme d’Affelnet ne touche ni les formations élitistes (sections internationales, parcours artistiques etc.), ni les lycées publics les plus ségrégués ni les établissements privés. La ségrégation sociale et scolaire avait même augmenté en 2022 dans les lycées des beaux quartiers comme J de Sailly, Buffon, JB Say ou J de la Fontaine. Et puis il y a le privé. « Le fait que les lycées privés ne soient pas intégrés à la procédure Affelnet constitue sans doute l’obstacle le plus sérieux au renforcement de la mixité sociale et scolaire dans les lycées de la capitale« , écrivent Pauline Charousset et Julien Grenet. « Alors que les lycées publics accueillaient en moyenne 50% d’élèves de catégories sociales très favorisées à la rentrée 2022, cette proportion atteignait 78% dans les lycées privés« . Ainsi la réforme d’Affelnet a amélioré la mixité de la plupart des lycéens du public parisien. Mais elle a préservé le séparatisme social des plus privilégiés qui se replient dans des établissements cotés ou dans le privé.
Les PPPE, programme social ou de prolétarisation des enseignants ?
Quant à l’ouverture des classes de PPPE elle suit des directives fixées sous JM Blanquer et prolongées par la suite. Dans ces classes, l’Education nationale pèse sur la formation des futurs enseignants en s’imposant à l’université. Sous prétexte d’ouverture sociale, il s’agit surtout d’avoir des enseignants formés aux devoirs des fonctionnaires davantage qu’aux libertés universitaires.
Un recteur au passé chargé
En mettant en avant cette dimension sociale, C. Kerrero alimente son image et son destin. Il a d’autant plus besoin de le faire que ses liens avec la droite la plus traditionaliste sont connus. Membre du « conseil scientifique » de l’IFRAP, un groupe de pression ultra conservateur, proche de SOS Education, il a dirigé durant trois ans le cabinet de JM Blanquer. Il y a violemment combattu les syndicats, les enseignants grévistes et a pris part aux croisades menées par JM Blanquer. Il avait aussi été membre du cabinet de Luc Chatel.
En 2016, C Kerrero dénonçait « la décomposition pédagogiste » de l’École. Dans son ouvrage publié en 2017, Ecole, démocratie et société, C. Kerrero défend une École traditionnelle. Il dénonce « un certain pédagogisme qui privilégie des techniques d’enseignement formelles plutôt que le fond… Cela revient à saper l’autorité légitime du maitre… Le temps de l’éducation, et l’on entend par là celui qui correspond aujourd’hui à la scolarité obligatoire, doit donc être sanctuarisé« . Dans cet ouvrage il n’est pas question de mixité sociale mais de faire nation.
Une démission qui tape où ça fait mal
Reste que la démission de Christophe Kerrero frappe la ministre là où cela fait mal. Empêtrée dans l’affaire de Stanislas et son soutien à une école privée hors contrat élitiste, Amélie Oudéa-Castéra est attaquée pour une décision où elle défend des classes préparatoires que l’on sait socialement favorisées contre des classes accueillant des bacheliers professionnels. C Kerrero sous-entend qu’elle serait hostile à ses efforts en faveur de la mixité sociale. Il insiste sur « le doute » bien réel que ressentent les enseignants envers une ministre qui semble très éloignée de leurs valeurs.
La ministre a aussitôt réagi à la lettre de C. Kerrero. Elle dit vouloir « poursuivre sans délai la mise en place de ce plan tout en conservant ces trois classes préparatoires qui accueillent notamment des boursiers. Il s’agit d’un moratoire sur les fermetures (des trois prépas NDLR) pour se donner le temps d’analyser. Cela n’a aucun impact sur la mise en œuvre du plan qui sera bien financé. La question de la mixité sociale, notamment dans les classes préparatoires, fait partie des priorités de la Ministre et l’action du rectorat de Paris en la matière sera poursuivie« .
Une ministre qui ne tient pas sa maison
Après une journée de grève largement suivie par les enseignants le 1er février, A Oudéa-Castéra a tenté le 2 février, sur TF1, de les convaincre qu’elle veut « se mobiliser pour l’ensemble des métiers qui font le service public de l’éducation« . Quant aux groupes de niveau, accusés de créer des collèges à plusieurs vitesses, selon elle, ils « procèdent d’une volonté : remettre de l’exigence à tous les étages. Cette ambition est portée par le chef de l’État et le gouvernement. On va les mettre en place à la rentrée prochaine en sixième et en cinquième pour en faire un outil de l’égalité des chances« . » Je me suis excusée. Je me suis expliquée. Maintenant, avançons », concluait-elle son intervention.
La démission de C. Kerrero est une attaque frontale à plusieurs niveaux. Elle remet en avant les choix de la ministre en faveur du séparatisme social. Plus inquiétant pour la ministre, cette démission montre que la ministre ne tient pas le haut encadrement. Jusqu’à JM Blanquer, celui-ci jouissait d’un droit de critique interne qui était aussi un devoir de conseil du ministre. Un ministre qui savait aussi s’opposer aux foucades présidentielles. On l’a souvent vu sous N. Sarkozy et L. Chatel par exemple. Le couple E. Macron et JM. Blanquer a mis fin à cette tradition républicaine. Depuis 2017, le haut encadrement écoute et se tait.
Christophe Kerrero, qui n’y est pourtant pas pour rien, est le premier depuis 2017 à ruer dans les brancards. Sa démission matérialise la faiblesse d’une ministre qui ne convainc pas, ni en haut, ni en bas de la hiérarchie. Elle permet aussi à C. Kerrero de se positionner pour la suite de sa carrière…
François Jarraud