Claire Lommé, professeure de mathématiques en collège jusqu’en juillet dernier, est aujourd’hui coordinatrice ULIS. Elle partage son expérience avec les lecteurs et lectrices du Café pédagogique. Dans cette chronique, elle évoque l’impact de sa formation au certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive sur son enseignement, sur sa difficulté « à réussir à déployer un enseignement structuré, malgré les coupures ». Classe investigation est un des outils utilisé par l’enseignante pour donner du sens et de la continuité aux apprentissages de ses élèves. Elle raconte.
Me voilà de retour en formation pour préparer le CAPEI et le master 1 besoins éducatifs particuliers. Cette période est la plus courte pour moi en classe, sur l’année : je ne suis restée que 3 semaines devant élèves. Si cela demeure compliqué, car j’ai toujours une partie de mon cerveau et de mon cœur tourné vers la classe au collège, j’ai pris le rythme. Je retourne en formation joyeusement, tout en sachant que je suis de nouveau remplacée. A la rentrée des prochaines vacances, il me restera seulement deux semaines de formation. Autrement dit, je serai en classe pour la quasi-totalité du restant de l’année, qui se clora par le passage, et j’espère la réussite du CAPPEI.
Ce qui est vraiment compliqué, dans ce principe d’alternance, c’est de réussir à déployer un enseignement structuré, malgré les coupures. J’essaie de faire tenir sur ces courtes périodes des enseignements qui prennent du sens les uns avec les autres, qui permettent une évaluation pertinente, qui respectent une vraie progression. Mais la moindre anicroche devient un gros obstacle : il y a un peu plus d’une semaine, il a neigé. Nous avons globalement perdu deux jours de cours, même si j’en ai profité pour faire travailler de façon individualisée la seule élève parvenue jusqu’à ma classe. Et non seulement cela risque de générer une perte de sens pour les élèves, de compliquer ma programmation générale, de gêner la transmission des savoirs solides et pérennes, mais en plus je risque de manquer du matériau dont j’ai besoin pour les écrits dans le but de décrocher mon diplôme…
Comme ces anicroches-obstacles se produisent de façon inopinée depuis le mois de septembre, j’avais anticipé. J’ai trois semaines devant moi ? Ok. Mode urgence activé. Dès le premier jour j’ai dégoupillé LE projet que je voulais mener à son étape 3 : Classe Investigation. J’ai bien fait : nous sommes arrivés à ladite étape lundi dernier. Mais Classe Investigation, qu’est-ce donc ? C’est un outil vraiment formidable.
Classe investigation est un jeu d’Éducation aux médias et à l’information et se présente sous la forme d’“une enquête journalistique immersive”. Les élèves sont amenés à travailler l’oral, l’écrit, l’esprit crique (un de mes thèmes de l’année), et confrontent leurs idées et leur compréhension. Je l’intègre dans le pan EMI (éducation aux médias et à l’information) de mon projet Esprit critique. Je me suis inscrite à une formation en ligne, indispensable et obligatoire pour pouvoir recevoir l’outil, numériquement. Le but de Classe investigation, c’est de produire un contenu journalistique à partir de la consultation et de l’étude de différentes ressources. L’activité elle-même dure environ deux heures si on se place au niveau annoncé. Pour ma part, j’avais choisi le niveau junior pour être sûre d’enrôler tout le monde, et parce que le débit de parole et le vocabulaire sont adaptés, ce qui est parfait pour les élèves auxquels j’enseigne. Nous en avons eu pour moins longtemps, mais sans compter le travail de réécriture, d’enrichissement du texte et d’enregistrement.
Par groupe (en principe de deux, mais comme pour à peu près tout j’ai adapté aux besoins particuliers de mes élèves), les apprentis journalistes doivent dans un premier temps retranscrire les informations qu’ils découvrent via texte, audio et vidéo, et dans un deuxième temps utiliser leurs notes pour produire un contenu journalistique structuré et objectif. A l’issue du jeu, ils peuvent comparer leur travail avec celui de journalistes professionnels, et aussi savoir ce qu’il en est quant à l’épilogue de l’histoire qu’ils ont suivie : il y a un vrai suspense, croyez-moi ! Un plus très important, c’est la gamme d’adaptations déjà prévues pour la phase de prise de notes : trois niveaux sont mis en œuvre pour proposer des différenciations, avec un guidage plus ou moins fort. Avec en plus des versions numériques que j’avais préparées en pdf modifiable pour les non scripteurs, c’était impeccable. J’ai pu proposer un niveau supérieur quand j’observais une réussite juste avant, mais aussi proposer la version à cocher quand des élèves fatiguaient de tant produire d’écrit.
Le bilan est très positif : tous les élèves ont produit un contenu, beaucoup ont atteint un niveau de difficulté plus élevé que celui que je m’étais donné comme minimum pour eux, et chacun s’est lancé dans la réécriture ensuite sans rechigner. Le plus impressionnant c’est la concentration des élèves sur les deux séances consécutives : j’avais prévu une pause, mais nous ne l’avons pas prise, tant les élèves étaient investis. Les élèves ont lu, écouté, analysé, cherché des informations, les ont réorganisées et hiérarchisées. Ils ont conçu leur contenu, l’ont écrit ou dicté. Ils se sont posé des questions tout du long, ont fait preuve d’esprit critique, justement.
Je compte proposer, en fin d’année, une autre enquête de Classe Investigation aux élèves, en montant de niveau. Parmi les adaptations nouvelles que je déploierai, il y a le fait de mettre à disposition le verbatim des interviews à au moins un élève, pour qui il est difficile de un oral si dense et court en continu, et de mémoriser les informations. En revanche, si je lui fournis le document écrit, il pourra surligner les informations importantes pour déjà effectuer un premier tri, et ensuite restructurer tout cela à sa façon. J’aimerais aussi trouver un moyen de faire collaborer un des élèves avec les autres ; pour lui, je n’ai pas réussi au premier essai.
Mais l’expérience est tellement enrichissante pour les élèves (et pour moi) que je ne vais pas m’arrêter là… Il me reste ensuite à trouver un ou une journaliste qui veuille bien venir en classe pour parler de son métier avec nous !
Claire Lommé