Depuis 2017, le site « Cartographies numériques », créé et animé par Sylvain Genevois, est devenu incontournable pour tous ceux qui s’intéressent aux cartes et à leur utilisation pour l’enseignement ou l’information grand public. Maitre de conférences à ICARE (Université de La Réunion), Sylvain Genevois anime ce site qui se localise exactement à la rencontre de la géographie, de la didactique et de l’éducation à la citoyenneté. Un sacré challenge…
Depuis 2017, près d’un millier d’articles ont été publiés sur Cartographies numériques. Pratiquement chaque jour ouvrable, Sylvain Genevois diffuse une nouvelle analyse, toujours excellemment informée et sourcée. Le champ de publication est très large. Si l’on prend les derniers articles : la cartographie sur le conflit Israël – Hamas, les migrants en mer Egée, l’Europe, l’Essequibo revendiqué par le Venezuela, les inégalités en France, les migrations dans le monde. Autant de sujets qui concernent à la fois le citoyen et l’enseignant. Ils sont toujours traités de façon scientifique, en accordant toute leurs place aux sources.
« En 2017 cela faisait longtemps que je réfléchissais à un site contributif qui référence des ressources cartographiques dans une perspective critique« , nous confie Sylvain Genevois. « Les cartes sont des objets de discussion et de prises de position qui circulent beaucoup dans les médias. Il est important de les regarder avec un œil critique et d’éduquer les élèves et les citoyens à ce regard ».
Abolir l’idée qu’il y a des spécialistes et des profanes
Aussi, le site « cartographies numériques« , n’est pas un site qui propose des cartes pour l’enseignement, comme par exemple cartolycée. « C’est un site ouvert pour les élèves, les étudiants, les formateurs, les chercheurs et le grand public« , nous dit S. Genevois. « Il est ouvert aux questions épistémologiques, politiques et didactiques liées aux cartes et aux données« . Pour lui, « tout le monde a quelque chose à dire » en cartographie. « J’essaie d’abolir l’idée qu’il y a des spécialistes et des profanes ». Avec 50 000 pages vues par mois, le site Cartographies numériques a trouvé son public. Beaucoup plus divers qu’on pourrait l’attendre.
Mais comment tenir ce rythme et cette qualité de publication ? « J’ai un gros défaut« , avoue S. Genevois. « Depuis le début d’Internet je classe et je répertorie beaucoup de ressources. J’ai constitué un énorme corpus de données sur une grande variété de sujets. En constituant ce corpus j’arrive à mettre en perspective des ressources« .
Derrière cette pratique il y a toute une réflexion sur la cartographie. « Le numérique a modifié la façon d’approcher les ressources. Beaucoup d’articles inventorient les ressources existantes et y donnent accès et ensuite j’y ajoute des points de vue de chercheurs sans le dire« .
L’exemple des IPS
Ainsi, quand le Café pédagogique a relayé la carte sur les IPS (indice de positionnement social des établissements scolaires), cela a été à l’origine d’un débat. « Le monde de l’éducation a besoin d ‘avoir ses outils et ses propres analyses« , explique S. Genevois. « En partant des données mises en open data, j’ai fait un travail de mise en carte relayé par le Café pédagogique. Beaucoup d’acteurs de l’Ecole ont regardé ces cartes. Cela a rendu visibles les inégalités scolaires et a fait débat. Aujourd’hui j’essaie de développer cette géographie dans l’Atlas des territoires scolaires. On a peu d’occasions de montrer le fonctionnement des territoires scolaires« .
Les cartes sur les conflits font aussi débat. « Elles posent problème car elles virtualisent la guerre. Elles portent de la connaissance mais aussi invisibilisent la réalité vécue sur le terrain. On travaille ainsi sur les représentations : quelle image de la guerre a-t-on avec ces outils ? Des billets sur le site abordent ces questions. Par exemple, à propos des cartes sur le partage de la Palestine, on s’aperçoit qu’elles donnent des visions politiques et véhiculent des messages. Il faut donc toujours rendre visibles ces interprétations. Il n’y a pas de neutralité possible« .
Reconnecter la géographie aux pratiques sociales
S. Genevois accorde toujours beaucoup d’importance aux sources des cartes et au travail fait sur les données numériques pour arriver à une représentation cartographique. Ce travail sur les compétences liées à la cartographie numérique n’est pas pour rien dans le succès du site.
Ce travail critique est d’autant plus indispensable que la cartographie a régressé dans l’enseignement. « On trouve de belles doubles pages dans les manuels avec beaucoup de cartes. Mais il y a peu d’activité d’apprentissage. Il y a une focalisation sur le croquis. Mais aujourd’hui les cartes se font sur ordinateur« , nous dit S. Genevois. « Aujourd’hui on a accès à beaucoup de données en open data. Ce qui n’a pas suivi c’est la réflexion critique et les usages didactiques. L’analyse et le traitement de ces data échappe aujourd’hui aux géographes. Ce sont les économistes ou d’autres disciplines qui s’en emparent. On devrait mener une réflexion sur les données et leu surveillance pour faire une géographie citoyenne. Mais on continue à enseigner une géographie déconnectée du monde actuel et des pratiques sociales« .
L’avenir du site se joue dans cette perspective. « J’espère pouvoir continuer à alimenter le site. Mais il a besoin de contributeurs« , explique S. Genevois. « On pourrait développer des rubriques plus ciblées avec par exemple un travail par niveau et par thème et donc des dossiers pédagogiques« . Pour cela il faut de nouveaux contributeurs. C’est dit !
Propos recueillis par François Jarraud
IPS : le regard du cartographe
