Si la France est à la traine en matière d’apprentissage de la lecture, c’est la faute des professeurs des écoles. C’est ce que suggère le rapport des députés Annie Genevard (Les Républicains) et Fabrice Le Vigoureux (Renaissance). Pour eux, « la pédagogie peut l’emporter sur la sociologie » à condition de suivre la méthode 100% syllabique dans des manuels labellisés, sous la houlette d’inspecteurs éclairés par les évaluations nationales. En appui des orientations gouvernementales, ce rapport montre que la droite et le parti présidentiel peuvent construire une majorité pour changer l’Ecole.
» La pédagogie peut battre en brèche les inégalités sociales »
» En matière d’apprentissage de la lecture, il apparaît clairement que certaines méthodes sont plus efficaces que d’autres », affirment Annie Genevard et Fabrice Le Vigoureux dans leur rapport . « Elles sont, en particulier, plus profitables pour les élèves les plus en difficulté et ceux dont le capital culturel de départ est le moins fourni. L’école est donc en mesure de casser les déterminismes – ce qu’elle était capable de faire par le passé. Lui permettre de le faire de nouveau est une question de volonté politique et pédagogique, dont la mise en oeuvre doit se traduire dans l’évolution de la formation des enseignants, leur accompagnement, la labellisation des manuels ou encore la réhabilitation de l’objet « livre ». »
Reprenant une formule de Gabriel Attal, les rapporteurs estiment que » la pédagogie peut battre en brèche les inégalités sociales ». L’enquête PISA montre d’ailleurs qu’il est possible de lutter contre le déterminisme social, car certains pays réussissent mieux que le nôtre dans ce domaine. Jérôme Deauvieau le soulignait en 2013 : « Un enseignement efficace ne supprime pas l’impact des inégalités culturelles, mais le réduit sensiblement » ».
Un diagnostic exact sur les politiques menées depuis 2017
Parce que les auteurs sont sans illusions sur l’impact des politiques menées depuis 2017. » La France fait partie des pays où la relation entre la performance en compréhension de l’écrit et l’origine socio-économique et culturelle est la plus forte », écrivent-ils. Et ils rappellent les résultats des enquêtes internationales PIRLS et PISA. » Les résultats aux évaluations PIRLS de 2021 – concernant donc des enfants ayant fait leur CP en 2017 – témoignaient également d’un niveau des élèves français bien inférieur à la moyenne de l’OCDE dans le domaine de la compréhension écrite », notent-ils. Les évaluations nationales montrent aussi l’échec de la politique menée depuis 2017. » Le rebond attendu a bel et bien eu lieu en 2021, mais, contre toute attente, il a été suivi d’un nouveau décrochage, ou dans le meilleur des cas d’une stagnation par rapport à 2019. La médiocrité des compétences de lecture à voix haute, testées depuis 2022, est particulièrement alarmante ». Quant au dédoublement en Rep et Rep+, il » présente un bilan mitigé ».
Mais, malgré cet échec coûteux de la politique éducative d’E Macron, les auteurs préconisent de continuer sur cette voie et même d’aller plus loin. Cela pour deux raisons.
Un rapport qui ressuscite la querelle globale – syllabique
La première c’est que tous deux sont restés dans la querelle des méthodes. Alors que les travaux de Roland Goigoux ont largement dépassé l’opposition des méthodes, les auteurs continuent à opposer la méthode syllabique à la méthode globale. Pour Annie Genevard, interrogée par le Café pédagogique, un tiers des enseignants de CP utilisent la méthode globale. Car, pour elle, toute utilisation de mots outils relève de la globale et donc est à proscrire.
» Si 68,1 % des enseignants utilisent une méthode reposant sur des textes déchiffrables bien qu’intégrant l’utilisation de mots-outils, 31,9 % utilisent encore une méthode prévoyant la mémorisation globale de mots non déchiffrables ou reposant sur une dimension idéovisuelle forte. Les méthodes mixtes sont pourtant peu efficaces ». Finalement seuls 6% des enseignants n’utilisent aucun mot outil et trouvent grâce aux yeux des auteurs. De même ils relèvent que seuls 3% des enseignants utilisent des textes 100% déchiffrables, les seuls qui, selon les auteurs, devraient être utilisés.
Séparer décodage et compréhension
On trouve là une seconde conception pédagogique qui reprend les idées du Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN) créé par JM Blanquer et que l’on retrouve dans les préconisations des rapporteurs. Les élèves doivent apprendre à lire des textes limités au vocabulaire et aux graphèmes qu’ils maitrisent. Tant pis si ces textes n’ont absolument aucun intérêt. Si les auteurs estiment qu’il faut apprendre la compréhension de l’écrit, il faut totalement séparer décodage et compréhension. » Bien que les rapporteurs perçoivent la nécessité de poursuivre des objectifs de compréhension et de plaisir à la lecture de textes, il leur semble qu’il y a là une erreur d’approche méthodologique : le décodage est, en effet, le préalable indispensable à l’accès aux textes stimulants qui ne peut se faire qu’une fois que celui-ci est maîtrisé ». Allez donc apprendre à lire des textes sans aucun intérêt à des élèves à qui on ne lit rien chez eux !
Le rapport en profite pour dénoncer la mauvaise influence des syndicats qui recommandent d’apprendre à lire des textes porteurs de sens, voire qui croient que les enseignants sont légitimes à choisir leur pédagogie. » un certain nombre d’enseignants, ou de formateurs d’enseignants, s’en remettent à la légitimité de la pratique ou de l’expérience, qu’ils estiment supérieure à la légitimité scientifique ou à l’autorité de « l’Institution » », s’indignent les auteurs.
Piloter par les résultats
Annie Genevard et Fabrice Le Vigoureux sont là pour remettre de l’ordre dans tout ça et imposer « la » bonne méthode d’apprentissage de la lecture.
S’agissant des enseignants, ils recommandent de les recruter au niveau licence avec une formation professionnelle de deux ans. Il faut ensuite que les inspecteurs les accompagnent mieux. Il sont un outil pour cela. » Les évaluations nationales doivent devenir un véritable instrument de pilotage », écrivent les rapporteurs. » Ces évaluations devraient également pouvoir être utilisées pour identifier non pas uniquement les élèves, mais également les classes ou les établissements plus en difficulté « . On retrouve là l’objectif d’origine des évaluations nationales. Si elles ont lieu dans toutes les classes c’est autant pour évaluer les enseignants que les élèves. C’est ce que Sarkozy a voulu dès le départ comme l’a établi une étude dela Depp en 2015.
La formation des enseignants est au coeur des préconisations du rapport. La formation initiale doit être dirigée par le ministère et échapper aux universitaires. La formation continue, comme le plan français, doit être suivie de plus près par les inspecteurs.
Renforcer les fondamentaux
Selon les auteurs il faut aussi revoir les enseignements de l’école primaire. » La maternelle ne doit pas constituer un cycle clos, mais bien être une propédeutique de l’école primaire, dont la vocation principale doit être de préparer l’entrée en CP », écrivent les rapporteurs. La grande section devrait être rattachée au premier cycle de l’école élémentaire. Dans cette école il faut encore renforcer les fondamentaux. » Il convient par ailleurs, pour accorder à l’enseignement fondamental de la lecture le temps qui lui est nécessaire, de réduire, durant le cycle 2, ou à tout le moins en classe de CP et de CE1, celui consacré aux « enseignements à » ». Alors que la France est déjà championne des fondamentaux à l’école, le rapport oppose les fondamentaux aux autres apprentissages dans la vision très mécanique qui est la sienne.
Hold up sur les manuels
Enfin une partie importante du rapport vise à justifier la labellisation des manuels scolaires que le gouvernement prépare. S’appuyant sur le CSEN et les travaux de Jérôme Deauvieau, les rapporteurs estiment que » les manuels entièrement syllabiques (présentant plus de 95 % de déchiffrabilité et ne supposant l’apprentissage d’aucun mot-outil) ne représentent que 5 % de l’ensemble de ceux qui sont utilisés par les enseignants ». Ces manuels, les auteurs appellent à les faire acheter avec le soutien de l’Etat, plan déjà annoncé par G Attal. On devrait assister à un véritable holdup : les manuels les plus utilisés aujourd’hui vont être balayés par le (ou les ?) manuel des proches du ministère. Un marché qui se chiffre en dizaines de millions. Pour justifier l’opération, les auteurs préconisent de » sensibiliser les enseignants à l’importance, pour la réussite des élèves, d’utiliser ces manuels labellisés »…
Les professeurs responsables…
« On peut combattre les inégalités sociales par la pédagogie », nous a dit Annie Genevard. Elle estime que la dimension sociale est bien présente dans son rapport à travers des préconisations en faveur des bibliothèques et du dispositif « ouvrir l’école aux parents ». « Il faut convaincre les parents qu’ils ont un rôle déterminant ». Une expérimentation menée par Carlo Barone autour de prêts de livres aux familles montre pourtant qu’on peut réduire les inégalités scolaires par une politique sociale pour un faible coût.
Pourquoi s’entêter à poursuivre les politiques menées depuis 2017 qui n’ont pas donné les fruits attendus ? « Une partie du chemin seulement a été fait », nous a dit Annie Genevard. « Des difficultés perdurent, malgré le discours scientifique du CSEN, car la formation initiale des enseignants doit progresser. Les IEN sont un maillon essentiel pour améliorer l’adéquation entre les évaluations et les pratiques pédagogiques ». Pour elle ce ne sont pas les orientations qui sont erronées mais « la mise en oeuvre qui n’est pas satisfaisante ».
Alors que Les Républicains vont prochainement présenter à l’Assemblée une loi sur l’Ecole déjà adoptée au Sénat, l’Ecole reste le laboratoire de la construction d’une nouvelle majorité. Pour la droite comme pour le parti présidentiel, l’avenir de l’Ecole c’est la mise au pas des enseignants qui empêchent la pleine réussite du plan gouvernemental.
François Jarraud