A l’occasion de la semaine franco-allemande célébrée cette semaine, nous avons rencontré Grit Hermann, une professeure de français en Allemagne. Elle revient sur son expérience, sa vision du métier et livre ses analyses sur l’état de l’enseignement du français en net recul en Allemagne, comme celui de l’Allemand en France. Pour Grit, comme pour de nombreux enseignants de français en Allemagne et de nombreux enseignants d’allemand en France, la semaine de l’amitié franco-allemande n’est cependant pas placée sous le signe la fête.
Grit Hermann, enseignante de français en Allemagne dans une Realschule
A 58 ans, Grit a 35 années d’expérience. Elle a enseigné à Berlin dans un lycée général [Gymasium]. Elle enseigne aujourd’hui le français et l’anglais – en Allemagne, les professeurs sont tous bivalents- dans une Realschule à Kehl am Rhein, une petite ville allemande frontalière de la France. Grit parle également le russe. Ses autres collègues de français, enseignent la musique ou les maths, les sciences ou l’allemand tout est possible. Dans le système éducatif allemand, les élèves sont orientés à la fin de l’école élémentaire entre deux ou trois types d’écoles selon les Länder. Grit souligne et regrette que «La Tulla ne soit plus très mixte socialement, elle accueille des élèves de pleins de pays différents, qui savent s’entendre merveilleusement bien. Il n’y a pas de mixité sociale car presque tous les élèves viennent de familles dont les parents n’ont pas fait d’études, des métiers éreintants et durs, ils n’ont pas beaucoup de temps prour les enfants. »
Auparavant, l’école était plus mixte socialement, mais la réforme de 2016 en fusionnant deux types d’école a fait disparaitre les enfants « d’une petite bourgeoisie, des parents petits commerçants, auto-entrepreneurs qui avaient leur enfant à la Realschule avant ». Ces familles ont craint la baisse du niveau et ont fui la Realschule, explique Grit.
La difficulté d’enseigner le français et de moins en moins d’élèves
Même près de la frontière, le déclin de l’apprentissage du français en Allemagne est notable. Pour Grit, « de moins en moins d’élèves se décident pour le français. Je crois que c’est un phénomène de société. Tout le monde voit l’utilité de l’anglais. Et les élèves ont l’impression de progresser vite et sans effort en regardant des vidéos, sans l’aide des professeurs. C’est vrai que c’est très facile car ils entretiennent la langue comme ça, avec internet. Ils ont l’impression de devoir fournir beaucoup plus d’efforts pour apprendre le français». Grit souligne que, d’une séance à l’autre, les élèves ne cherchent pas le contact avec la langue française, malgré la proximité géographique. L’apprentissage avance doucement, dit-elle. Elle évoque sa frustration et convoque le souvenir de son plaisir à apprendre les langues étrangères. Le français était d’ailleurs sa troisième langue étrangère. Malgré son amour pour la langue française, Grit avoue préférer enseigner l’anglais « car c’est trop pénible d’enseigner le français ».
Selon elle, les élèves n’ont pas l’appétence d’apprendre. Aujourd’hui, ses classes comptent entre 12 et 15 élèves qui ont deux séances de 70 minutes par semaine. Dans son enseignement, Grit passe beaucoup par les dialogues, par l’oral. Elle explique que «ce qui est important, c’est de parler du pays, de leur donner envie de connaître le pays à côté.»
Les élèves qui se décident pour le français sont des élèves qui ont de la famille en France ou un parent francophone, qui en ont donc une utilité. Grit observe cependant que «même les francophones optent pour la techno car ils constatent en CM2 et 6e que s’ils ne font pas d’effort pour l’écrit, ils ne réussiront pas facilement, et ils pensent que ce sera plus facile dans d’autres matières. Ils préfèrent rester analphabètes dans la langue parlée à la maison.»
Les élèves apprennent l’anglais mais une seconde langue n’est pas obligatoire dans les Realschulen : l’apprentissage du français est «en concurrence» avec des matières plus concrètes qui sont le cœur de la Realschule qui propose plus d’enseignements de pratique (coudre et faire à manger pour AES et bricoler pour la technologie).
Les échanges et les rencontres franco-allemandes au cœur de la motivation
« L’évidence qu’on apprend une langue pour pouvoir s’exprimer, n’est pas assez présente pour les élèves qui doivent comprendre que ne pas avoir fait ses devoirs par exemple, empêche de s’exprimer, et côté motivation ils doivent l’avoir en tête. Les mettre en pratique, ça compte vraiment. Sinon pour eux, cela n’a pas de sens.»
Grit relate alors les préparatifs de l’accueil de leur classe partenaire de Strasbourg pour lundi 22 janvier, journée de l’amitié franco-allemande, qui célèbre la signature du Traité de l’Élysée en 1963 entre le Président de Gaulle et le chancelier Adenauer. Les élèves savent qu’ils doivent être prêt pour leurs correspondants, qu’ils devront être capables de présenter leur travail et projet. Cette perspective de rencontre suscite un intérêt particulier et «tout à coup, ça devient important».
Grit a également une classe partenaire à Paris où elle organise un voyage en septembre dans un collège. A Paris, elle passe la journée avec le collège partenaire, entre observation de séances pour comparer les systèmes éducatifs et fonctionnements. Les élèves français et allemands ont des temps d’échanges et une sortie commune pour se rencontrer et faire des activités ensemble. Comme tous ses collègues, au nombre de 4, Grit a des partenariats avec la France, souvent à Strasbourg qui se situe seulement à 10 minutes. Ils organisent des rencontres en établissement ou des sorties, des rallyes «ce qui est lourd et demande beaucoup d’organisation.»
Des enseignants fatigués et une impuissance face au déclin du français
Pour autant, malgré cet investissement pour le français, Grit organise un voyage à Londres tout en disant avoir besoin de mettre plus de « distance entre sa profession et le reste de sa vie. Pour se préserver pour les 10 ans à venir ».
Elle évoque la situation des professeurs d’allemand en France qui, souvent, doivent faire la promotion de l’allemand dans les écoles en CM2 et exprime son soulagement de ne pas avoir besoin de le faire: «le français est obligatoire dans les Grundschulen [école primaire] dans le Bade-Wurtemberg. On n’a pas besoin de les motiver ou de leur faire découvrir le français.» Le revers de la médaille, néanmoins, est que « les élèves après la Grundschule avec le français ont une super motivation d’apprendre l’ anglais. Pourquoi ? C’est une nouvelle chance, un nouveau début et en plus, ils savent que dans le reste de l’Allemagne les élèves l’ont déjà appris. Je ne veux pas leur enlever cette motivation du tout. Je trouve bien qu’ils commencent avec la langue la plus difficile des deux. Mais bien sûr, les premières frustrations avec l’apprentissage apparaissent également, il faut apprendre, apprendre, écrire, écrire… Pas facile pour les élèves pas très scolaires comme on les a souvent. Oui, il faut motiver les élèves, leur montrer que les langues c’est chouette, que c’est utile, que ça ouvre l’esprit, que ça fait réfléchir. Mais je ne vois pas comment motiver ceux qui veulent pas fournir un effort pour mémoriser ou écrire. »
Une des raisons du déclin de l’apprentissage du français est également la perte de mixité sociale depuis 2016, qui est allée de pair avec la baisse des effectifs d’élèves qui choisissent le français.
Le changement que Grit observe après 35 années d’enseignement, « c’est une grande carapace contre les réformes et les fausses bonnes idées pour l’enseignement». Elle poursuit: «Je sais ce qui marche pour moi et ce qui ne marche pas, c’est tout, et avec une grande ignorance sur les fausses bonnes idées d’une ministre», glisse-t-elle, en faisant un clin d’œil malicieux à l’actualité française.
Djéhanne Gani