Les jeunes français manqueraient de culture historique selon un sondage paru dans la Tribune du dimanche. L’occasion pour l’historien Claude Lelièvre de montrer que le choix de l’enseignement des dates emblématiques de notre Histoire est plus souvent lié à une tendance politique qu’à un patrimoine historique à préserver et valoriser.
Dans une tribune parue dans le Café Pédagogique du 19 janvier dernier , Joëlle Alazard, présidente de l’Association des professeurs d’histoire -géographie, a affirmé à juste titre qu’il ne convenait pas de « nourrir la psychose décliniste sur l’enseignement de l’histoire » tout en indiquant que « les programmes sont denses, les élèves connaissent peut-être moins bien certains repères qu’auparavant (les dates de construction ou de la chute du mur de Berlin, pour reprendre le sondage Opinion way) et nous devons nous battre pour que les grands repères chronologiques soient bien acquis… ce qui a toujours été le cas, d’ailleurs ! »
Effectivement un sondage OpinionWay auprès de jeunes Français âgés de 16 à 24 ans paru le 7 janvier dernier dans « La Tribune du dimanche » montre que nombre d’entre eux ne connaissent pas certaines dates historiques qui peuvent pourtant être considérées comme emblématiques de notre histoire ancienne ou relativement récente.
Par exemple, près de la moitié (46%) des sondés ne sait pas que la Révolution française a débuté en 1789, et près de sept jeunes sur dix (69%) sont incapables de situer quand les femmes ont obtenu le droit de vote en France. Il peut en être de même pour des dates importantes ayant trait à notre histoire européenne : six jeunes sur dix (60%) ne savent pas dater la chute du mur de Berlin en 1989 et près des deux tiers (63%) ignorent qu’Hitler est arrivé au pouvoir en Allemagne en 1933 .
Pour la plupart, ces jeunes ont été en classe de cours moyen durant la période où les programmes d’histoire décidés en 2008 sous le ministère de Xavier Darcos pour l’enseignement primaire devaient être appliqués. Les dates historiques sélectionnées pour ces programmes peuvent être considérées comme basiques de l’enseignement historique qu’ils ont reçu.
52 avant Jésus-Christ (« Alésia ») ; 496 (baptême de Clovis) ; 800 (couronnement de Charlemagne) ; 987 (Hugues Capet, roi de France) ; 1492 (Christophe Colomb en Amérique) ; 1789 (14 juillet, prise de la Bastille, et 26 août, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) ; 22 septembre 1792 (proclamation de la République) ; 1804 (Napoléon I, empereur des Français) ; 1848 (le suffrage universel masculin et l’abolition de l’esclavage) ; 1882 (école gratuite, laïque et obligatoire avec Jules Ferry) : 1905 (loi de Séparation des Églises et de l’État) ; 1916 (bataille de Verdun) ; 11 novembre 1918 (l’armistice de la Grande Guerre) ; 18 juin 1940 (l’appel du général de Gaulle) ; 8 mai 1945 (fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe) ; 1945 (droit de vote des femmes en France) ; 1957 (traité de Rome) ; 1989 (chute du mur de Berlin) ; 1958 (Charles de Gaulle et la fondation de la Ve République) ; 2002 (l’Euro, monnaie européenne).
On le voit trois des quatre dates incriminées ont dû être enseignées aux jeunes qui ont été sondés dès la fin de leur scolarité élémentaire.
La question des dates basiques à enseigner, en particulier à l’école primaire, est une question récurrente. Elle a été reposée récemment dans un cadre quelque peu inhabituel par la proposition de loi déposée le 21 décembre dernier à l’Assemblée nationale par le parlementaire ‘’Rassemblement National » » Sébastien Chenu, et contresignée par quelque 90 parlementaires de sa mouvance politique. Elle « vise à rendre obligatoire l’affichage d’une carte de France et d’une frise chronologique dans chaque classe : il est capital d’apprendre aux élèves la façon dont la France s’est construite dans le temps et dans l’espace ».
Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, le consensus est loin de pouvoir s’établir facilement au sujet du choix des dates historiques basiques si l’on en juge par celles qui ont été mises successivement au programmes d’histoire de l’école primaire en 1995 (ministère Bayrou), en 2002 (ministère Lang) et en 2008 (ministère Darcos) Et pourtant ces trois ministres de l’Éducation nationale n’étaient pas politiquement très différents.
Seulement sept dates communes aux trois listes – sur 33 différentes…En 1995, 2002 et 2008 : 52 avant Jésus-Christ (« Alésia ») ; 800 (couronnement de Charlemagne) ; 987 (Hugues Capet, roi de France) ; 1492 (Christophe Colomb en Amérique) ; 1789 (14 juillet, prise de la Bastille, pour l’un ; 1789, début de la Révolution française et Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pour l’autre ; 14 juillet, prise de la Bastille, et 26 août, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pour le dernier) ; 1848 (le suffrage universel pour le premier ; ou le suffrage universel masculin et l’abolition de l’esclavage, pour les deux autres) ; 1882 (école gratuite, laïque et obligatoire ; avec Jules Ferry en sus pour le dernier)
Six dates sont communes aux programmes de 1995 (Bayrou) et 2008 (Darcos) : 496 (baptême de Clovis) ; 22 septembre 1792 (proclamation de la République) ; 1804 (Napoléon I, empereur des Français) ; 11 novembre 1918 (l’armistice de la Grande Guerre) ; 18 juin 1940 (l’appel du général de Gaulle) ; 8 mai 1945 (fin de la Seconde Guerre mondiale pour l’un, en Europe pour l’autre).
Deux dates sont communes aux programmes de 1995 (Bayrou) et 2002 (Lang) : 1914-1918 (la France dans les deux guerres mondiales, pour l’un ; la première guerre mondiale, pour l’autre) ; 1959-1945 (l’occupation et la libération de la France, pour l’un ; la seconde guerre mondiale, pour l’autre).
Deux dates sont communes aux programmes de 2002 (Lang) et 2008 (Darcos) : 1945 (droit de vote des femmes en France) ; 1958 (Ve République, pour l’un ; Charles de Gaulle et la fondation de la Ve République, pour l’autre).
Cinq dates ne figurent que dans les programmes de 1995 (Bayrou) : 1431 (mort de Jeanne d’Arc) ; 1515 (Marignan) ; 1643-1715 (Louis XIV et la monarchie absolue) ; 1841 (loi interdisant le travail des enfants de moins de 8 ans) ; 1889 (Exposition universelle et tour Eiffel).
Six dates ne figurent que dans les programmes de 2002 (Lang) : -6 ou -4 (naissance de Jésus-Christ qui meurt autour de 30 ans) ; 476 (fin de l’empire romain d’Occident) ; 1453 (le Polonais Copernic affirme que la Terre tourne autour du soleil) ; 1661 (début du règne personnel de Louis XIV) ; 1815 (chute de Napoléon) ; 1875 (Troisième République).
Cinq dates ne figurent que dans les programmes de 2008 (Darcos) : 1905 (loi de Séparation des Églises et de l’État) ; 1916 (bataille de Verdun) ; 1957 (traité de Rome) ; 1989 (chute du mur de Berlin), 2002 (l’Euro, monnaie européenne).
Finalement, sur l’ensemble de la période, 33 dates différentes ont été retenues, et seules 7 d’entre elles ont été communes lors des trois moments de décision (1995, 2002 et 2008). En revanche, la moitié d’entre elles (16 exactement) n’ont été retenues que lors d’un seul des moments de décision (en 1995, ou en 2002, ou en 2008).
Le plus évident c’est que la sélection des dates « historiques » à enseigner ne semble guère aller de soi. Mais personne ne parait douter qu’il faut en enseigner (de l’ordre d’une vingtaine) dans l’enseignement primaire.
Claude Lelièvre