En 2021, sur les 2 420 lycées publics du territoire français, 1 532 ont accueilli des lycéens professionnels (en lycées professionnels ou dans des lycées polyvalent publics) afin de préparer un C.A.P en deux ans, un Bac professionnel en trois années ou un Brevet des Métiers d’art (BMA) ( chiffres clés du système éducatif). Les filières de l’enseignement professionnel réparties en quatorze famille de métiers sont très diversifiées. Quelques-unes captent plus de 10 % des effectifs, comme « la filière agroalimentaire, alimentation cuisine » qui attire 13,2% des élèves de CAP, ou la filière « commerce-vente » qui capte 17,2% des élèves de CAP et 22,9% des lycéens professionnels inscrits dans un établissement public. On trouve aussi des filières moins présentes sur le territoire et pourtant très demandées par les élèves comme la filière de la Communication Visuelle du Pluri Média, présente dans les métiers du graphisme. Elle n’appartient pas à une famille de métiers. Rencontre avec Marion Dupré, initiatrice de la section et Olivier Salerno, deux enseignants en communication visuelle au lycée professionnel Pasteur de Nice qui nous présentent une section assez exigeante.
Marion et Olivier ont tous deux la qualité de professeur d’Arts appliqués, discipline enseignée une heure par semaine à tous les lycéens professionnels quels que soient la filière et le niveau. Mais ils sont nommés sur des postes spécifiques dans la filière Communication Visuelle Pluri Média. Après un bac général scientifique, Marion s’est tournée vers des études universitaires et a validé un DEUG d’arts plastiques. Puis elle s’est tournée vers une formation professionnalisante en BTS Communication Visuelle pour ensuite revenir à la fac, en licence et maîtrise en arts appliqués. Après un bac F12, Olivier a très vite validé un BTS Communication Visuelle à l’ENSAAMA Olivier De Serres puis a exercé quelques années comme graphiste dans une société de design et de communication parisienne. Après une expérience professionnelle dans les métiers des arts graphiques, tous deux se sont engagés dans une carrière d’enseignant après avoir réussis les concours de recrutement.
Le bac pro de Communication Visuelle Pluri Média (CVPM) est un bac pro Artisanat et Métiers d’Art (AMA) et mène aux métiers du graphisme et particulièrement à la conception de supports de communication, soit imprimés, soit diffusés de façon numérique via internet. Il n’ y a pas de conception 3D, ni d’animation ce qui attire parfois faussement les élèves. Dans ce bac pro, « on leur apprend les bases de l’image , à les décoder, les comprendre, créer des images et des supports visuels (associant image et texte), des bases de la typographie. On va leur permettre de produire des flyers, des cartes de visite, des affiches et parfois amener à réaliser des travaux plus complexes ou volumineux comme des catalogues, des fanzines ou des fascicules », explique Marion Dupré.
Dans les métiers de la chaîne graphique, il existe un bac pro dont les compétences sont proches, mais plutôt associées à la production dans l’industrie graphique La différence entre les deux formation est assez subtile. « Pour les inspecteurs, les deux formations industrie graphique et communication visuelle se ressemblent tellement sur beaucoup d’aspects, qu’ils ont créé une épreuve ponctuelle d’histoire de l’art au bac CVPM pour les différencier. Il n’y a pas d’épreuve de ce genre en industrie graphique », précise Olivier Salerno. La moitié des enseignements concerne des disciplines enseignées dans tous les autres bac pro – lettres-histoire, Maths-Science, Prévention Santé Environnement, EPS et éco gestion. L’autre moitié des heures concernent des enseignements spécifiques, comme la démarche de projet, durant laquelle les élèves font preuve d’une démarche créative ; l’expression plastique qui concerne l’exploration de moyens graphiques et techniques de matériaux et la rencontre avec des artistes locaux. Des heures d’enseignement spécifique sont aussi dédiées à l’apprentissage de la Publication Assistée par Ordinateur (PAO) et la maitrise des logiciels comme Illustrator, Photoshop et In Design, afin d’approfondir la retouche d’image, le dessin vectoriel ou la mise en page. Marion explique aussi que les programmes comportent deux grandes thématiques en culture des arts visuels qui sont l’histoire de la lettre et du signe, depuis la naissance de l’écriture jusqu’à l’invention de l’imprimerie typographique de Gutenberg. « Puis de La Renaissance jusqu’au XXème siècle , on étudie les arts visuels, le design de communication et on élargit jusqu’aux différents champs du design. C’est assez copieux », précise-t-elle. Olivier enseigne aussi la technologie de l’impression graphique. « Même si on ne le pratique pas, il faut savoir comment les choses s’impriment. C’est comme si un architecte ne comprenait pas la résistance des matériaux, il ferait n’importe quoi ».
Pour ces deux enseignants les référentiels sont considérés comme « un gros sommaire », un guide des notions à traiter et des compétences à acquérir. Il n’y a pas de manuels particuliers mais plutôt la création de blogs d’enseignants, comme celui du lycée Pasteur de Nice, celui de la section CVPM du lycée Gutenberg de Strasbourg, ou celui de Jean-Christophe Da Veiga enseignant en CVPM et aujourd’hui inspecteur en Design & Métiers d’Art. Les référentiels, suffisamment ouverts permettent donc la création de cours très différents d’une année sur l’autre.
Une filière attractive
Cette latitude dans les programmes permet aussi de mieux s’adapter à des profils d’élèves très hétérogènes. Chaque année, le lycée accueille 12 élèves en seconde sur les 80 à 150 demandes formulées sur affelnet. Marion explique : « On reçoit les élèves lors de portes ouvertes et en mini stage, mais aucune action n’est possible sur le choix des élèves. Ce sont des élèves pour qui le collège fut compliqué : décrochage scolaire, troubles dys mal diagnostiqués, situations sociales familiales compliquées ou harcèlement… .Ce sont pour beaucoup des élèves pour qui le collège ne s’est pas bien passé. Ils viennent trouver un second souffle en LP. Les enseignements sont organisés en petits groupes. On connait très bien nos élèves. Certains sont très volontaires mais avec des difficultés, des troubles dys ou avec un spectre autistique. Même motivé, on va parfois avoir du mal à atteindre les exigence du bac. Même si c’est rare, certains élèves ULIS vont valider des compétences, mais ne passeront pas le diplôme ».
Pour Olivier la filière est attractive car « on est sur des métiers qui attirent . On ne va pas à l’usine. La réalité du stage se passe souvent derrière un ordinateur. Ce n’est pas le chantier ou la chaine de production, mais un petit atelier ou un studio de création ». Marion confirme aussi que pour elle il y a quelque chose de « très esthétique dans l’image du métier, qui attire. Il n’y a pas de machines dangereuses. On a de la découpe, des cutters mais un élève dyspraxique par exemple sera moins exposé au danger. Ces élèves cherchent aussi dans la création visuelle un moyen d’expression qu’ils n’ont pas réussi à développer avec des outils plus classiques ».
Le supérieur, un parcours peu évident
Ce baccalauréat professionnel offre des poursuites d’études assez diverses, mais qui là aussi sont affectées par la TVP, réforme mise en place en 2019. Pour Marion , les bacheliers « vont sortir avec des compétences techniques, la maitrise des outils de base, ainsi que des compétences en démarche créative qui pourront être réinvesties dans d’autres champs. Par la maitrise des outils graphiques, les élèves peuvent poursuivre dans cette voie, dans les domaines des médias imprimés, dans le secteur de l’édition, en illustration ou dans les médias numériques avec du Motion Design. Ils peuvent se tourner vers le Diplôme National des Métiers d’Arts et du Design (DN MADE), proposé par le lycée Goscinny de Drap, proche de Nice qui propose les options média numérique ou média imprimé. Mais les élèves peuvent aussi se tourner vers d’autres secteurs de la création, comme ceux proposés par les écoles supérieures d’arts de la Villa Arson à Nice ou du Pavillon Bosio à Monaco, même si la marche est difficile à sauter après un bac pro. En théorie, si ils peuvent rejoindre ces formations avec leur bac pro, une année de prépa leur sera souvent nécessaire ».
Olivier souligne alors que le DN MADE mène ensuite à un master et est surtout privilégié par les bacheliers technologiques provenant d’une STD2A (Sciences et Technologies du Design et des Arts Appliqués). Pourtant, il y a cinq ans le DN MADE correspondait au BTS Design graphique. « Nos élèves sont des bac pro classiques. La marche vers les études supérieures n’est pas forcément évidente. Quand le DN MADE était encore un BTS , des élèves arrivaient à intégrer ce BTS. Aujourd’hui, beaucoup de nos élève n’arrivent pas jusqu’au bout car le cursus est plus théorique ». En fait l’intégration vers le DN MADE dépend beaucoup des années. « Il y a des promos très « numérique », cela ne leur parle pas. Quand on leur demande si ils veulent faire des études d’art , ils ne sont pas dedans. Et il y a des promos qui sont très dessins, et qui n’aiment pas trop l’ordinateur. L’année dernière deux élèves sont passés par l’école municipale de Nice , La Villa Thiole, pour faire une année de prépa. C’était une année de maturité supplémentaire, qui manque souvent pour aller dans d’autres écoles d’art. L’ un a intégré la Villa Arson et l’autre l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs à Paris ». Mais l’intégration des Bac pro dans les écoles nationales supérieures d’art reste rare. Pour Olivier, « nos élèves avaient un bagage technique à jouer. Maintenant il n ‘y a plus de cet équilibre . Et les élèves qui réussissent dans les études supérieures intègrent plutôt des BTS dans les industries graphiques que dans des DN MADE devenus trop théoriques.».
Pour Marion, cette inégale intégration est d’abord liée à la finalité plus théorique du DN MADE, qui demande une certaine conceptualisation des compétences acquises. « Dans les BTS d’industrie graphique, on demande avant tout une certaine maitrise d’outils techniques de production qui sont en constante évolution ». Olivier voit aussi une distinction historique dans les métiers de la communication visuelle : « dans les imprimeries, il est important que le technicien prépresse puisse vérifier ce que les designers graphiques ont fait, si leurs fichiers sont bons, et pouvoir faire le lien avec l’imprimeur. Le technicien qui est au milieu a un bagage plus technique qu’artistique. Il fait peu de création. Si tu lui donnes un faire-part de naissance, un menu de pizzeria, il peut le faire sans problème. Mais il a un profil plus technique ».
Pour les deux enseignants, la réforme qui a supprimé les BTS de communication visuelle en deux ans pour des Diplômes Nationaux des Métiers d’Art en trois années propose moins de paliers dans les apprentissages, ce qui peut décourager les étudiants.
Caroline Renson