Elise Raybaud et Elise Tapsoba, « les deux Elise » sont enseignantes à l’école Gustave Rouanet, REP+, dans le célèbre quartier de Montmartre à Paris. Toutes deux, l’une est enseignante, l’autre directrice, ont initié un projet autour de la classe dehors auquel adhère aujourd’hui l’ensemble de la communauté éducative, sur et hors temps scolaire. « Faire classe dehors ce n’est pas reproduire c’est faire un pas de côté » expliquent-elles. « Notamment pour ces élèves en difficulté dont le travail de l’enseignant est de les aider à construire leur confiance en soi et leur estime de soi ».
Avant de rejoindre l’école maternelle Gustave Rouanet où elles travaillent ensemble actuellement, Elise Tapsoba a été enseignante en Ulis et dans des quartiers prioritaires de villes du nord de la France. Elise Raybaud, aujourd’hui directrice de l’école, a quant à elle travaillé en lycée professionnel puis au sein d’un RASED (maître E et ensuite maître G) avant d’être directrice de deux centres d’adaptation psycho-pédagogique (CAPP) à Paris.
Lors de leurs différentes expériences professionnelles dans les premier et second degré, en éducation prioritaire renforcée comme dans l’enseignement spécialisé, elles ont mis en place des pédagogies innovantes avec comme objectif principal le bien-être et l’épanouissement des élèves. Une démarche qui a porté ses fruits. Très vite, elles ont constaté que parvenir à instaurer un climat de classe apaisé et permettre à chaque élève de s’y épanouir est un levier majeur pour la réussite de tous les élèves.
C’est dans le cadre de cette démarche qu’est né le projet classe dehors initié il y a quelques années. Aujourd’hui, il concerne toute la communauté éducative de l’école : les sept classes de la PS à la GS, soit 121 élèves, les huit enseignantes, les six ASEM, la gardienne, les deux AESH, les deux cantinières, le responsable éducatif ville, les six animateurs et animatrices, les parents et la directrice.
Faire Classe dehors c’est d’abord faire classe
Faire classe dehors ne se limite pas à travailler in situ certains domaines d’apprentissages, c’est travailler tous les domaines d’apprentissages précisent les enseignantes. Bien entendu, « les activités de découverte du monde du vivant sont de prime abord les plus évidentes. Les élèves sèment, plantent, observent les petites bêtes, apprennent à ne plus en être effrayés et à en prendre soin. L’appellation de ce domaine d’apprentissage prend tout son sens pour des élèves citadins. « Découvrir le monde » c’est rendre familier un milieu qui leur était inconnu et qui pour certains les terrifiaient ». Terrifier, les deux Elise insistent sur l’usage de ce verbe. « Ce n’est pas une exagération, il n’est pas rare d’apaiser un élève de PS hurlant de peur car une mouche vole à côté de lui. Quelle victoire quand le même élève arrivé en GS est curieux des différents insectes présents sur notre terrasse pédagogique et comprend leur rôle lorsqu’il pose les larves de coccinelles mangeuses de pucerons sur les fruits et légumes du potager ».
Les activités extérieures sont incomparables pour apprivoiser le temps long et les saisons selon elles. « Les élèves plantent leurs bulbes à l’automne et admirent leurs fleurs au printemps. Ils sèment au printemps et récoltent en été. Dans une société où tout s’accélère, où la frustration parait intolérable, les enfants apprennent les vertus de la patience et à réguler leurs émotions. Ils appréhendent les saisons, apprennent à en reconnaître les signes. Les arbres perdent leurs feuilles en automne, en hiver la terre et l’eau de la mare gèle. C’est le moment de protéger les bacs de permacultures avec du paillis ou des feuilles mortes, de mettre les agrumes sous serre… ».
Et pourtant faire classe dehors ne se limite pas à du jardinage et à l’observation de la nature
En langage écrit sont organisés des lectures, des séances de compréhension de textes et des séances d’encodage. Quoi de plus motivant que de tenter d’écrire le nom de la plante que l’on a vu grandir ? « Le premier mot qu’un élève de MS a essayé d’écrire fut « jacinthe ». Ce n’était pas le plus simple mais sa concentration et son envie lui ont permis de persévérer. Et ce premier mot fut le déclic » racontent les deux Élise.
Déclic aussi en langage oral, certains élèves notamment ceux en difficulté s’emparent de ces moments de classe dehors. « Hors des murs de la classe, la parole se fait plus libre. Un élève a ainsi commencé à interagir avec sa professeure en répétant tous les noms de fruits et légumes. Puis de semaines en semaines, il a produit des phrases et a investi les situations de langage en classe ».
Cet objectif d’aide aux élèves en difficulté est présent aussi lors d’activités mathématiques : chasses aux formes géométriques, comparaison de longueurs, collecte d’une certaine quantité de trésors de la nature…
Certains questionneront alors l’utilité de faire classe dehors puisque les exercices proposés sont les mêmes qu’à l’intérieur. Pourquoi l’école dans son ensemble a-t-elle organisé deux créneaux par semaine pour chaque classe et ce en toute saison pour reproduire ce qui se fait à l’intérieur ? « Parce que ce n’est pas reproduire c’est faire un pas de côté. Notamment pour ces élèves en difficulté dont le travail de l’enseignant et de les aider à construire leur confiance en soi et leur estime de soi. Ces compétences sont indispensables à leur réussite » répondent-elles en chœur. « Enfin pour tous, il s’agit d’améliorer leur bien-être. Améliorer le bien-être c’est ne pas oublier la place du corps chez l’enfant. L’élève, en maternelle notamment, a un besoin d’activité physique très important. Or ce corps est contraint par les salles de classe et ce, malgré un aménagement optimisé. La classe dehors offre des espaces pour déployer leurs corps. Améliorer leur bien-être c’est leur offrir de multiples occasions de développer des compétences sociales. « La souplesse organisée » inhérente à la classe dehors et une redéfinition des groupes élèves/ enseignant induisent le développement entre élèves de communications et relations constructives ».
Pour développer et mutualiser une multitude d’activités pédagogiques en extérieur sur le temps scolaire et périscolaire ainsi que des formations approfondies et spécifiques pour tous les membres de la communauté éducative, l’équipe a rédigé un projet Nefle dans le cadre du CNR avec la participation de la Ville de Paris et a obtenu des fonds pédagogiques importants. « La rédaction de ce document en ligne très complet et nécessitant certes d’y consacrer beaucoup de temps, a permis d’identifier clairement nos besoins en terme de formation mais également de brainstormer tous ensemble afin de donner un cadre, d’établir des objectifs pluridisciplinaires et transversaux et un calendrier précis à notre projet » nous dit la directrice.
Lilia Ben Hamouda