Claude Lelièvre estime qu’un « retour historique s’impose » sur les questions d’autorité et d’uniforme. Il rappelle que dès 1890 le Conseil supérieur de l’Instruction publique a « manifesté sa préférence pour une discipline libérale et son éloignement d’une discipline purement répressive ». Une discipline libérale qui « cherche à améliorer l’enfant plutôt qu’à le contenir, à le gagner plutôt qu’à le soumettre ». À l’inverse d’une discipline répressive qui « reposant sur la défiance, n’usant que de la contrainte, se contente d’un ordre apparent et d’une soumission extérieure, sous lesquels se dissimulent les mauvais instincts comprimés, et les sourdes révoltes qui éclateront plus tard ».
Les héritiers revendiqués du ‘’gaullisme’’ (de mouvance constitutionnellement ‘’bonapartiste’’) se distinguent depuis le début de ce XXIè siècle par leurs initiatives en faveur de l’uniforme scolaire et du renforcement du rôle et des pouvoirs des chefs d’établissement, de la ‘’restauration’’ de la discipline et de l’autorité. Ce qui ne saurait par ailleurs nullement déplaire à l’extrême droite. Ils s’intitulent désormais ‘’Les Républicains’’, ce qui contribue à brouiller les cartes.
Par ailleurs, lors de ses vœux de Nouvel An, le président de la République a annoncé que courant janvier serait décidée une panoplie de mesures pour « réarmer civiquement » le pays. Et Emmanuel Macron a évoqué notamment la nécessité de « rétablir le niveau des élèves et l’autorité de nos professeurs » et de s’emparer de la question de l’uniforme pour l’expérimenter plus largement
Un retour historique s’impose donc pour remettre les attendus du problème en place, et chacun à sa place. La seule période où il y a eu un uniforme identique porté par des élèves de l’enseignement secondaire dans un ensemble d’établissements publics est celle du Premier Empire : dans les lycées qui avaient été créés en 1802 par Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul. Les élèves de tous les lycées de France devaient porter un uniforme fixé par arrêté : habit vert, culotte bleue, collet et parement bleu céleste, chapeau rond et boutons jaunes métal. Les déplacement dans le lycée comme à l’extérieur se faisaient en rang par deux. Les mouvements et la fin des cours étaient scandés par le tambour Et chaque jour, au réfectoire, on lisait le bulletin de la Grande armée. Mais on était alors clairement sous un régime bonapartiste militaire
Dans l’enseignement secondaire, il est clair que la question d’une discipline républicaine a été une question majeure. Dès 1882, Michel Bréal, grammairien distingué et l’un des idéologues les plus en vue de l’institution de l’École républicaine, fait part de ses réflexions dans ses « Excursions pédagogiques » à propos de la discipline dans les lycées.« C’est toujours ce régime à la fois monacal et militaire, ces longues heures d’immobilité et de silence, ces mouvements réglés et uniformes, ces marches en file, ces punitions pour la moindre infraction, cette habitude systématique de donner toujours tort à l’enfant » (Michel Bréal, « Excursions pédagogiques, Hachette, p. 322). Mais, pour Bréal, la République, au contraire de l’Ancien régime qui formait des fidèles pour l’Église et des sujets disciplinés pour l’Empire (militaire), se doit en principe de « développer l’initiative de l’enfant : l’objet de l’éducation est de rendre par degrés les maîtres inutiles, la liberté est le but vers lequel on doit conduire l’élève. Or on en est resté à un système qui ne laisse à l’écolier – quel que soit son âge- rien de ce qui constitue la liberté et la responsabilité » (Ibid, p. 307)
De leur côté, les adversaires des républicains ne manquent pas d’accuser le nouveau régime d’être à l’origine des troubles qui peuvent avoir lieu dans les établissements scolaires, chaque fois qu’ils en ont l’occasion. Or cette attitude récurrente (qui était autrefois celle de royalistes ou bonapartistes patentés) est maintenant depuis plusieurs dizaines d’années l’apanage de soi-disant »républicains »…
En pleine période du gouvernement Jules Ferry, après une révolte des élèves au sein du lycée Louis-Le-Grand, le journal royaliste « Le Gaulois » du 15 mars 1883 accuse : « Les collégiens de Louis-le-Grand se battent contre les agents de ville. On enseigne à l’écolier qu’il a des droits, et il fait des barricades dans son dortoir pour chasser ses maîtres ». Le journal royaliste « Le Clairon » du 14 mars est encore plus direct : « Les auteurs responsables de cette révolte sont Jules Ferry et Paul Bert qui ont eu un écho funeste dans le cerveau si facilement irritable de ces adolescents en fringale d’émancipation prématurée ».
L’arrêté du 12 juillet 1888, institue une commission de réflexion pour préparer le travail décisionnel du Conseil supérieur de l’Instruction publique. On y trouve presque tous ceux qui ont compté pour l’institution de l’Ecole républicaine, signe de l’extrême importance accordée par les républicains à cette question : Michel Bréal (professeur de grammaire au Collège de France) , Ferdinand Buisson (directeur de l’Enseignement primaire pendant dix-sept ans, nommé à ce poste par Jules Ferry), Gabriel Compayré (le pédagogue des écoles normales), l’historien Ernest Lavisse (l’auteur des célèbres ‘’petits Lavisse’’, manuels d’histoire de la communale), Louis Liard (directeur de l’Enseignement supérieur), Henri Marion (philosophe, titulaire de la première chaire de science de l’éducation à la Sorbonne, et auteur en 1892 d’une « Éducation dans l’université » fondée sur la notion de « discipline libérale »).
Le rapport de la Commission énonce quelques orientations et propositions précises, en particulier quant à ce que doit être la discipline : « visant à améliorer, non à mater, elle doit faire peu de fond sur les pénalités qui n’amendent guère ; et elle les veut rares, car elles amendent d’autant moins qu’elles sont multipliées » (Bulletin administratif de l’Instruction publique, année 1890 , supplément au n° 922). Il s’agit « non pas de faire craindre la règle, mais de la faire respecter et aimer. Fin des pénalités n’ayant pour but que d’exercer des représailles, d’infliger une souffrance en retour d’une infraction au règlement : il ne doit plus y avoir au lycée de sanctions qui n’aient un caractère moral ». Le pensum doit être supprimé et « à plus forte raison les vieilles pénalités physiques : arrêts, séquestres, privations d’air ou de mouvement, travaux forcés où l’esprit n’a point de part, legs d’une pitoyable pédagogie ».
L’arrêté du 5 juillet 1890, expliqué par la circulaire du 7 juillet, met en forme opérationnelle les orientations dégagées par la Commission. Les élèves sont désormais « autorisés à causer entre eux pendant les repas, dans les mouvements et pendant les exercices gymniques » (article 1). Enfin et surtout, désormais, « les punitions auront toujours un caractère moral et réparateur ; le piquet, les pensums, les privations de récréation, la retenue de promenade sont formellement interdits » (article 2).
La circulaire ministérielle du 15 juillet 1890 précise que « le Conseil supérieur de l’Instruction publique a nettement manifesté sa préférence pour une discipline libérale et son éloignement d’une discipline purement répressive. Celle-ci, reposant sur la défiance, n’usant que de la contrainte, se contente d’un ordre apparent et d’une soumission extérieure, sous lesquels se dissimulent les mauvais instincts comprimés, et les sourdes révoltes qui éclateront plus tard. Cette discipline est mauvaise ; elle est maladroite et bornée. Elle sacrifie tout l’avenir à la sécurité du moment présent ; elle se satisfait de l’ordre apparent qu’elle obtient, et ne sait pas voir le désordre profond qu’elle tolère, moins encore celui qu’elle crée. La discipline libérale cherche, au contraire, à améliorer l’enfant plutôt qu’à le contenir, à le gagner plutôt qu’à le soumettre. Elle veut toucher le fond, la conscience, et obtenir non cette tranquillité de surface qui ne dure pas, mais l’ordre intérieur, c’est à dire le consentement de l’enfant à une règle reconnue nécessaire : elle veut lui apprendre à se gouverner lui-même ».
Claude Lelièvre