Karine Boulonne est principale adjointe dans un établissement de l’académie lilloise. Elle nous propose, dans ce nouveau billet d’humeur, d’imaginer la réunion de préparation de la rentrée de septembre prochain des chef·fes d’établissement. Même si le ton est à l’humour, son propos montre l’absurdité des annonces ministérielles qui sur le terrain se transforment en véritable casse-tête pour les équipes…
Fin août 2024. Quelques minutes avant le début de la réunion des cadres dans une académie X
Toute ressemblance avec des faits existants ou ayant existé n’est pas du tout fortuite et n’est pas le fruit d’une coïncidence
- Alors, ces vacances ?
- Bah, comme d’habitude, elles commencent bien, tu essaies de boucler pour le 25 juillet, et puis tu rentres mi-août et là, tu découvres que le TZR en anglais est remplacé par un stagiaire. Bien sûr, les emplois du temps sont à refaire pour libérer les jours de formation. Et comme en langues, c’est des groupes, ça touche plus de classes, sinon, ce ne serait pas drôle … Soupir !
- Moi, je n’ai toujours pas de prof de techno, ni d’allemand, les postes n’ont pas été pourvus au mouvement. L’an dernier, c’était déjà pareil et il a fallu des mois pour trouver quelqu’un, après que les parents aient saisi la presse. Les élèves n’en pouvaient plus de faire des heures de SVT à la place de leur LV2, parce que c’était un collègue de SVT qui avait pris des pactes RCD.
- Ici, c’est en électronique et en français que je n’ai personne. Avec les coefficients au bac et Parcoursup, on est mal ! Quand on se tue à dire que le problème, ce n’est pas le remplacement de 15 jours, mais le fait qu’il n’y a plus de profs !
- Mais, ça t’étonne, toi ? Avec le nombre d’élèves par classes, les incivilités, et maintenant, les changements de programmes et de directives à chaque ministre, tu conseillerais à tes enfants de devenir enseignant ? Et même PERDIR … On a beau faire un boulot qui fait encore sens (faisait ?), on est mal payés, on n’est pas considérés par notre hiérarchie, on devient des exécutants, on n’a plus de marge de manœuvre, et en plus, on va être obligés de défendre ce qui était le diable avant … Ah, ils vont bien rire en salle des profs quand on va leur imposer de remplacer les compétences par les notes, après avoir bataillé pour imposer l’inverse il y a quelques années. Et en plus, ils sont persuadés qu’on touche des primes pour leur faire avaler des couleuvres … S’ils savaient qu’on est parfois avertis après eux, et que notre « revalorisation », c’est moins qu’un pacte ! Tu sais le nombre d’enseignants qui gagnent plus que moi dans mon établissement ?
- Ouais, pareil chez moi. Quand je pense aux syndicats qui réclament des primes … Mais c’est pas des primes qu’on veut ! On veut passer hors-classe aussi, comme les profs et les inspecteurs. Et aussi à la classe exceptionnelle. Sinon, à la retraite, on n’aura que nos yeux pour pleurer. Ben oui, les primes, on ne les touche plus quand on arrête !
- Et le temps de travail, on en parle ? Les soirées, les week-ends passés à travailler et pas pris en compte dans le CET (Compte Epargne Temps). Pourtant, avec toutes les nouveautés depuis janvier, on ne compte plus les heures … Tiens, comment tu as fait toi, pour les groupes de soutien en français et maths en 5ème – 6ème ?
- M’en parle pas … J’ai trois profs de maths et trois profs de français. Ils s’étaient arrangés jusqu’ici pour n’avoir que trois niveaux chacun. Alors, forcément, avec les groupes en barrettes, ils vont devoir prendre les quatre niveaux. Et en plus, j’aligne leurs emplois du temps alors qu’ils n’avaient pas fait les mêmes vœux. Je ne te dis pas la tête qu’ils me font, surtout les deux qui ont 62 ans et qui doivent faire de nouveaux programmes à deux ans de la retraite. J’avais une équipe qui fonctionnait bien, très complémentaire, on est en train de tout casser. Et bien sûr, c’est nous qui sommes en première ligne !
- En plus, les parents ont entendu « groupe » et ils vont découvrir que dans mon collège, il y a un groupe à 15, pour les plus faibles, et que les autres groupes sont à 30 puisqu’on n’a pas eu d’heures pour faire mieux.
- Ah ben moi, j’ai récupéré un nouvel enseignant : un prof de LP en mesure de carte suite à la réforme qui a supprimé des heures d’enseignement général. Comme maintenant ils peuvent venir enseigner en collège, il est arrivé dans l’établissement et il va faire du soutien en 6ème. Et pas de formation pour ça, la formation, c’est pendant les vacances, donc il n’y en a plus. Des carrières de 44 ans sans formation … inimaginable ! On n’en rêvait pas, et Blanquer – Attal l’ont fait quand même.
- En parlant de parents, j’imagine la pression qu’ils vont nous mettre pour le contrôle continu, maintenant que c’est « pas de brevet, pas de lycée ». Et on ne sait toujours rien sur ces fameuses classes « prépa lycée ».
- Fameuses ? Plutôt fumeuses, de vraies usines à gaz !
- Enfin, on échappe quand même aux uniformes ! T’imagines, tu mets dans ton dossier d’inscription en juin « quelle taille fais-tu ? » et tu récupères en septembre des gamins qui ont pris 20 cm pendant les vacances. Sans compter la distribution des vêtements : elle est faite par qui ? La gestionnaire ? Pardon, la « secrétaire générale » ? Avec les élèves en file qui reçoivent leur paquetage ? Je croise les doigts pour que l’expérience ne soit pas généralisée, quel b…l encore !
- Chut, ça commence !
Le recteur prend la parole :
« Mesdames, Messieurs, je vous remercie d’œuvrer à ce que la rentrée soit techniquement réussie ».
Karine Boulonne, Principale adjointe
Responsable SNUPDEN-FSU pour Lille