« Sont contraires à la Constitution les articles 31, 108, 109, 190, 193, 197, 198, 199, 208, 215, 233, 239 et 242 de la loi de finances pour 2024. » Ainsi en a décidé le Conseil constitutionnel le 28 décembre. Parmi ces treize articles invalidés, figure le 233 qui instituait le PAS, ou « pôle d’appui à la scolarité ». Ce PAS était considéré comme la pièce maîtresse de « l’acte 2 de l’école inclusive » voulu par le président de la République. Nous l’avions évoqué dans l’Expresso du 20 novembre alors qu’il était apparu dans le projet de loi de finances, initialement sous le numéro d’article 53. Déjà, nous envisagions la censure de cet article par le Conseil constitutionnel. Ce qui s’est logiquement réalisé. Rappelons brièvement de quoi il est question et quelles perspectives se présentent maintenant.
Une décision jupitérienne
Lors de la Conférence nationale du handicap du 23 avril 2023, le président de la République avait décidé d’engager une réforme systémique de l’école inclusive. Il s’agissait de réformer une nouvelle fois le réseau des établissements scolaires en vue d’améliorer la prise en considération des élèves en situation de handicap. Après la réforme de 2019 qui avait institué la répartition de tous les établissements scolaires publics et privés, de la maternelle au lycée, dans les PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés), l’acte 2 de l’école inclusive devait leur substituer les PAS (pôles d’appui à la scolarité). Au-delà de la poésie administrative des acronymes dont raffolent les acteurs politiques formés à l’ENA, ce changement devait être substantiel.
En effet, issu de la loi de juillet 2019 dite « pour une école de la confiance », le PIAL n’a visiblement pas répondu aux attentes du gouvernement qui espérait qu’il stopperait l’inflation permanente des notifications d’accompagnement des élèves en situation de handicap décidées par les CDAPH, inflation qui malgré une augmentation continue des postes d’AESH à chaque rentrée scolaire aboutit inexorablement au constat d’un manque d’aide humaine et de scolarisation inclusive pour les élèves handicapés. Au final, on constate que le PIAL n’est qu’un simple échelon local plus ou moins agile de gestion des AESH dans une atmosphère de tension permanente entre des acteurs mécontents : parents angoissés en attente d’AESH toujours en nombre insuffisant, AESH mal formés et mal rémunérés (temps partiel imposé), enseignants toujours aussi désemparés face aux élèves loin des apprentissages proposés ou présentant des comportements très perturbateurs, personnels de direction et d’inspection stressés en permanence pour résoudre la quadrature du cercle avec les moyens disponibles.
L’idée de reprendre cette affaire s’est donc imposée lors de la conférence nationale du handicap. Puisque le PIAL ne parvenait pas à incarner une école « pleinement » inclusive, on allait lui substituer un nouvel outil administratif avec un pouvoir renforcé sur la gestion quantitative des accompagnements, et cela par-dessus les CDAPH. Le PAS devait ainsi apporter une réponse de « premier niveau » aux besoins des élèves handicapés avant même la décision de la CDAPH, et cela afin de raccourcir les délais opérationnels et de mieux gérer cette question sur le terrain en responsabilisant l’école.
De l’étincelle naît l’incendie
Mais concrètement, l’objet et la surface de ce PAS sont apparus de manière subite lors de la publication du « projet de loi de finances 2024 », en novembre 2023. Jusque-là, il restait encore flou. C’est donc dans le cadre d’un article de ce texte (article 53, à l’époque) que l’on découvrit l’ampleur du projet gouvernemental. Et là, l’étincelle de la découverte se transforma rapidement en incendie avec une levée de boucliers tous azimuts (associations, syndicats, parlementaires). Car, entre le principe de la réponse de premier niveau initialement présenté et les modalités finalement arrêtées par le gouvernement, avaient été introduits un certain nombre d’éléments surprenants. Ainsi, le PAS serait investi du pouvoir de déterminer la quantité horaire d’aide humaine attribuée à chaque élève, la CDAPH n’ayant alors que le seul pouvoir de décider si une aide humaine est ou non nécessaire pour l’élève. En cas de contestation par les parents des décisions du PAS, une nouvelle commission départementale devait être instituée et dotée du pouvoir de trancher le litige. Le texte décidait la prise en charge par le PAS de la totalité des élèves présentant des besoins éducatifs particuliers sans distinctions, ce qui représente un effectif bien supérieur à celui des élèves handicapés, cela sans moyens supplémentaires clairement identifiés au-delà d’un poste d’enseignant dit « compétent » dans ce domaine. Enfin, il attribuait implicitement au PAS des compétences ressortissant de facto à celles de la CDAPH instituée par la loi handicap de février 2005, et même la possibilité de mobiliser directement les services et établissements médico-sociaux.
D’aucuns – et notamment dans le concert des associations consacrées au handicap – y ont vu une remise en cause inacceptable du principe d’indépendance décisionnelle de la CDAPH dans le but de faire des économies sur le dos des élèves handicapés. D’autres, du côté des syndicats de l’enseignement, y ont vu une attribution de charges considérable sans efficacité pour les élèves, parce que sans les moyens supplémentaires adéquats pour que l’école devienne véritablement inclusive. Enfin, le portage de cette véritable révolution systémique de l’organisation scolaire par un projet de loi de finances – adoptée en outre par le truchement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution et de son vote bloqué – est apparu à beaucoup comme un abus démocratique injustifiable. C’est ce qui a conduit d’ailleurs à envisager dès novembre la possible censure par le Conseil constitutionnel de cet article constituant ce que l’on appelle un « cavalier législatif » inconstitutionnel.
Un cavalier qui surgit hors de la nuit court vers l’aventure au galop*
De ce côté, l’affaire est donc réglée. Pour le Conseil constitutionnel, « Les dispositions contestées ne concernent ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties de l’État, ni la comptabilité publique. Elles n’ont pas trait à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’État. Elles n’ont pas pour objet de répartir des dotations aux collectivités territoriales ou d’approuver des conventions financières. Elles ne sont pas relatives au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics ou à l’information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques. Elles ne portent pas sur le transfert de données fiscales, lorsque celui-ci permet de limiter les charges ou d’accroître les ressources de l’État. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de finances. Par conséquent, sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires. »
Interrogé par Le Monde, le ministère de l’Éducation nationale a répondu ceci : « Rapprocher le médico-social et l’école, apporter des réponses plus rapides à des familles et des élèves qui aujourd’hui attendent de longs mois sont autant d’impératifs sur lesquels le ministère avancera dans les prochains mois, quel qu’en soit le vecteur ». De son côté, le cabinet d’avocats ACCENS, spécialisé dans le domaine social, observe que « la neutralisation de certains cavaliers législatifs n’a pas empêché l’Administration de prendre certains textes réglementaires d’application totalement dépourvus de base légale, comme par exemple à propos de l’évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) ».
On sait qu’avant même l’adoption de la loi de finances, le ministère avait donné des instructions aux recteurs pour préfigurer les PAS dès la rentrée scolaire de 2024, avec des indicateurs précis (cf. notre article du 20 novembre). Certaines directions académiques ont déjà pris des mesures pour configurer des PAS. La déclaration du ministère au quotidien Le Monde indique que pour lui, rien n’est caduc. Il peut encore agir par circulaire (vecteur d’une simple instruction hiérarchique ministérielle) ou même par décret (texte d’application d’une loi) en s’appuyant sur les articles législatifs du Code de l’éducation encadrant les expérimentations. Après tout, le PIAL avait été expérimenté un an avant son institution par la loi.
Il n’en demeure pas moins plusieurs faits tangibles difficilement relégables aux oubliettes. En premier lieu, le PIAL est bel et bien une institution créée par la loi de 2019, avec sa définition et son champ de compétences. Seule une autre loi peut l’annuler, et non un décret ou encore moins une circulaire. D’autre part, la MDPH et sa CDAPH ont été créées par la loi de 2005 avec des compétences clairement définies. Ainsi, l’article L146-9 du Code de l’action sociale et des familles dispose que la CDAPH « prend, sur la base de l’évaluation réalisée par l’équipe pluridisciplinaire […] des souhaits exprimés par la personne concernée dans son projet de vie, ou par son représentant légal s’il s’agit d’un mineur, […] les décisions relatives à l’ensemble des droits de cette personne, notamment en matière d’attribution de prestations et d’orientation […] ». On voit mal comment un simple texte réglementaire pourrait atténuer la compétence de la CDAPH de décider de l’ensemble des droits en matière d’attribution de prestation, comme celle de l’aide humaine à l’école. Les acrobaties juridiques sont un art que certains pensent maîtriser sans limites. Mais c’est toujours au risque d’une chute spectaculaire quand les ayants droit se rebiffent devant la justice administrative.
Un contexte politique et social en tension
Enfin, en ce début 2024, il est établi que la situation sociale est particulièrement sensible dans le milieu scolaire. Le nouveau ministre Attal conduit depuis cet automne le projet présidentiel de s’attaquer à l’école par une série de réformes se réclamant d’un « choc des savoirs », formule politicienne qui fait malheureusement plus appel aux relents populistes qu’aux connaissances établies par la recherche universitaire en matière d’apprentissages scolaires. La perspective d’un Acte 2 de l’école inclusive n’a fait que rajouter de l’huile sur le feu qui couve. La confédération FO, avec sa branche sociale d’une part (FNAS) et sa branche enseignement d’autre part (FNEC-FP), s’est placée vent debout contre ce qu’elle considère comme une « inclusion systématique et forcée » au détriment des personnels et des enfants. Elle appelle à une grève dès le 25 janvier avec manifestation à Paris. La FNEC-FP-FO rejoint aussi la FSU, Sud-Solidaires et la CGT éduc’action dans un mouvement unitaire de grève pour le 1er février sur le thème « Salaires, postes, conditions de travail, réformes : éducation en danger » qui comprend un volet sur l’école inclusive : « Sur la question de l’inclusion, tous les voyants sont au rouge et les personnels enseignants et AESH sont à un point de rupture […] ». Ils revendiquent entre autres « L’abandon des mesures prises dans le cadre de l’acte 2 de l’École inclusive (statut d’emploi d’ARE fusionnant les AESH et les AED, mise en place des pôles d’appui à la scolarité permettant à l’Éducation nationale de mettre la main sur les notifications MDPH) et l’ouverture de discussions avec les organisations syndicales sur la base des revendications des personnels. »
On peut s’indigner du mot d’ordre de FO qui stigmatise le principe inclusif (un membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées a, par exemple, qualifié publiquement FO « d’ignoble »). On peut aussi décider d’ignorer superbement les « mauvais syndicats » en les rejetant dans le nouvel abîme de « l’ultra gauche » pour ne considérer que les « bons syndicats » qui seuls relèveraient de « l’arc républicain ». Il n’en demeure pas moins que des enquêtes sérieuses ont montré à quel point la question de l’école inclusive est devenue une source de difficulté importante pour les enseignants (cf. notre article dans l’Expresso du 17 novembre 2023 analysant les enquêtes de l’IFOP et de l’ASL). Là encore un fait tangible s’impose : on ne peut pas faire l’école inclusive sans les personnels de l’école ou contre eux, comme il est illusoire de la faire sans un partenariat construit méthodiquement avec les professionnels des autres secteurs concernés (qui ne se limitent d’ailleurs pas au seul secteur médical et médico-social).
Mais alors…
Quelles perspectives sont-elles envisageables ? Le gouvernement peut toujours s’abstenir d’un travail législatif consistant et passer en force. Quelques-uns y verront du courage et s’en flatteront (comme ils l’ont fait pour la réforme des retraites). Toutefois, les dégâts pour la démocratie se rajouteraient aux précédents dont on sait les effets sur la montée du populisme d’extrême droite. Mais comme dit l’histoire de l’homme qui tombe du gratte-ciel : « jusqu’ici, tout va bien ».
Une autre voie est possible : constater les limites d’une gouvernance de la politique éducative inclusive sans débat démocratique, et accepter de s’engager dans un travail de co-construction mobilisant, en amont du travail législatif normal, les corps intermédiaires concernés que sont les associations et syndicats des secteurs impliqués par l’école inclusive. De plus, si l’école inclusive inquiète les enseignants et les professionnels du secteur médico-social, les enquêtes montrent que son principe recueille chez eux une adhésion majoritaire. Ce qu’ils dénoncent, ce sont les décisions « tombées du ciel » et inefficaces sur le terrain, avec une transformation importante du travail à moyens constants sans véritable formation adaptée pour affronter les changements.
Un pas de côté
Croire que l’école inclusive se limitait à la seule présence d’AESH mal formés et mal payés tout en déstabilisant le secteur médico-social a été une erreur stratégique bien française. Ce qui apparaît dans les revendications des personnels, c’est qu’ils ont perçus et compris que la question de l’école inclusive est une question systémique sérieuse qui interroge l’accessibilisation pédagogique, les finalités et les moyens de l’école au-delà du seul champ du handicap et de la seule compensation individuelle par le médico-social. Qui dit chantier systémique, dit nécessité de se donner le temps long indispensable pour le mener à bien collectivement. Toute autre voie est chimérique. Jupiter peut-il le percevoir ? Faire un pas de côté permet souvent d’y voir mieux.
Dominique Momiron
Décision du Conseil constitutionnel du 28 décembre 2023
Sale temps pour l’école inclusive (I)
Sale temps pour l’école inclusive (II)
* Paroles de la chanson de Zorro, célèbre série télévisée produite par Wald Disney de 1957 à 1961