A l’heure où tout le monde semble s’entendre sur la nécessité de « développer des compétences émotionnelles » et de l’importance de « travailler et réguler » ses émotions à l’école, la revue TRACeS a pris le risque de se plonger dans le maelström des émotions qui y circulent.
Chaque année, la revue organise un weekend d’activités d’écriture. Invitation à écrire ensemble un dossier de la revue. Avec des membres du Comité de rédaction et des membres du mouvement Changement pour l’égalité. Pour écrire ce dossier, ils avaient pris rendez-vous pour un « Weekend émotions ». Ça leur semblait une bonne idée : parler des émotions qui rôdent en sous-marin et de ce que l’école en fait, ou pas. Avec la ferme intention d’éviter le piège des idées à la mode.
Ils avaient aussi l’idée de partir des « phrases qui tuent » à l’école, les phrases qui font mal, les phrases assassines lancées en classe ou posées négligemment dans un bulletin ou un journal de classe. Mais, évidemment, ces phrases qui tuent ne sont pas l’apanage des adultes de l’école. Et les émotions, ça ne nous mène pas forcément là où on aurait pensé.
La lecture de Mireille Cifali leur a permis de prendre du recul. Par exemple, elle dit que la haine de soi, la haine de l’autre, la haine du différent… se distille au fil des mots. « Le ton trahit, le rythme des mots également ». « Harcelant, sarcastique, ironique, nous parlons sans cesse sans nous entendre, tant la rencontre humaine est fondée sur la peur, masquant une fragilité qui ne veut pas être reconnue ». Elle nous dit qu’à l’école, ce lieu « où les uns ont des objectifs pour les autres », il est urgent d’aboutir à une éthique de la parole.
Trop souvent tabou tout ça. Il fallait tenter de comprendre ensemble ce qui se passe quand ça persifle, souffre, souffle, ce qui va éteindre la petite flamme qui voudrait naitre ou attiser la grande colère qui va tout incinérer. Parfois pour longtemps, voire toute une vie.
Il en ressort un dossier « Émotions » qui s’empare de ce qui fâche, de ce qu’on dégaine dans une montée d’adrénaline, volontairement ou inconsciemment, et qui écrit la colère, la peur, la tristesse, le dégout et toutes ces émotions qui ne restent pas au portemanteau extérieur de la classe.
Et qui bute sur cette question : mais finalement, est-ce vraiment une question de la classe ? Ne serait-ce pas plutôt une question de classe ? Entre le combatif adage ‘Ne te laisse pas faire’ des milieux populaires ou l’hypocrite ‘Sois poli’ pour ne pas dire ‘reste à ta place, l’indiscipliné’ ? Et puis ‘regarde-moi dans les yeux quand je te parle’. Ou ‘baisse-les, plutôt’.
Au fond, la honte est-elle une émotion ? A travailler et à gérer ? Où sont les espaces pour laisser libre cours à ce qui (sur)chauffe, qui déborde ? Doit-il y en avoir ?
Sophie Langohr, artiste plasticienne, illustre magnifiquement ce numéro 263 de la revue TRACeS