En déplacement au collège Vigo d’Épinay-sur-Seine – qui expérimente les horaires élargis au collège, Gabriel Attal a annoncé la généralisation de l’ouverture des collèges en éducation prioritaire entre 8 et 18 heures. Cette année, ce sont 200 établissements qui expérimentent le dispositif. À Jean Vigo, l’entrée dans l’expérimentation a seulement permis d’ajouter quelques créneaux de devoirs faits – et encore, il n’y aucune enveloppe budgétaire spécifique qui a été attribuée à l’établissement cette année. Les projets mis en avant lors du déplacement du ministre existaient bien avant septembre 2023.
Situé entre les rails de chemin de fer et la cité d’Orgemont, le collège Jean Vigo accueille 610 élèves. 96% de ces derniers sont issus de milieu défavorisé, c’est dire si la mixité est en panne dans cette ville de Seine-Saint-Denis. Sur les 5 collèges de la commune, deux sont classés Rep+, deux Rep avec des IPS variant de 76,5 à 80. Le dernier est un établissement privé confessionnel hors contrat. Pourtant, au collège Jean Vigo, il fait bon vivre selon la cheffe d’établissement, Laurence Chaumery, et plusieurs enseignants qui ont préféré garder l’anonymat. « Le climat scolaire est favorable, les élèves, et l’équipe éducative, s’y sentent bien ». Jean Vigo est aussi un de ces établissements où les équipes sont friandes de projets pédagogiques. C’est donc tout naturellement que depuis septembre dernier, le collège s’est porté volontaire pour expérimenter les horaires élargis : 8h – 18h.
Lancée à la suite des émeutes de juillet dernier, la mesure a pour objectif « de proposer un panel plus large d’activités aux élèves, au sein du collège ou sous la responsabilité de celui-ci, afin de contribuer à la réussite et à l’épanouissement des élèves » déclare le ministère. La lecture qu’en fait Marc Douaire, président de l’OZP – Observatoire des Zones Prioritaires est plus politique. « C’est une des rares réponses ministérielles aux émeutes. Une réponse qui dénote un certain jugement sur les familles, jugées défaillantes», affirme-t-il. Une interprétation que reconnaît à demi-mots la rue de Grenelle. « Du point de vue des parents, et notamment des familles monoparentales, confrontés aux emplois du temps irréguliers de leurs enfants qui peuvent libérer les élèves en début ou milieu d’après-midi sans solution alternative, les laissant parfois seuls chez eux ou dans la rue après l’école, cette continuité éducative constituera une mesure de soutien substantielle ».
Des projets antérieurs à l’expérimentation
Depuis septembre, les élèves de Jean Vigo ont donc accès à leur établissement les lundis, mardis, jeudis et vendredis de 8h à 18h et le mercredi de 8h à 16h30. « Il existait déjà beaucoup de projets dans notre établissement. On a une équipe stable, une direction très proche de tout le personnel et toujours volontaire pour les projets » explique l’un des enseignants. Et en effet, les projets, il y en a à Jean Vigo. Un pôle orientation qui consiste en une salle dédiée avec un AED qui propose aux élèves de troisième et quatrième de travailler sur leur future orientation. Un projet éco-citoyenneté dans le cadre duquel des élèves – la brigade verte – revêtent un gilet vert et nettoient la cour. « Ce n’est pas une punition ! on a beaucoup de volontaires, des élèves souvent en difficulté. Ils se sentent utiles, reconnus et valorisés » précise la cheffe d’établissement. Un atelier cuisine animé par le chef du collège et qui réunit parents et élèves. Des ateliers couture animés par des agentes. Des ateliers codages, cordées de la réussite, langues, rock, robotique, éloquence, journal, percussions… Et l’AS – association sportive scolaire, compte pas moins de 300 licenciés.
« Ce que permet surtout l’expérimentation actuelle, c’est d’ouvrir plus de créneaux devoirs-fait. On propose aux élèves de prendre un rapide petit déjeuner en arrivant à 8h et d’enchainer sur l’accompagnement scolaire », ajoute Laurence Chaumery. Et si les petits déjeuners prennent forme, c’est grâce à la forte implication du CVC – conseil de vie collégienne, qui s’est beaucoup investi, et au fond social qui le finance. « Depuis notre entrée dans l’expérimentation, nous avons aussi ajouté des créneaux devoirs faits de 17h à 18h et le mercredi après-midi » ajoute la principale qui fait appel aux professeurs des écoles sur ces créneaux dans le cadre du pacte.
Pourtant, «le 8/18h n’a pas changé la face du collège » tempère un enseignant qui rappelle lui aussi que la grande majorité des projets existent depuis plusieurs années. « On manque toujours d’un poste d’AED depuis la rentrée. On a toujours un demi-poste d’infirmière vacant. Une assistante sociale seulement une journée par semaine au lieu de cinq et une psychologue de l’Éducation nationale en congé maternité non remplacée… ». Et cerise sur le gâteau, une professeure d’anglais absente, non remplacée depuis sept semaines. « Vendredi, juste avant l’arrivée du ministre, on nous a annoncé qu’il y aurait quelqu’un lundi. On ne peut que s’interroger de cette temporalité », ironise-t-il.
« De la com pour le grand public » pour l’OZP
Quant au financement, finalement, pas d’enveloppe spécifique même si la cheffe d’établissement reconnaît avoir eu « un peu plus pour devoirs faits cette année ». « Les projets sont majoritairement financés par la cité éducative, sans elle le budget du collège ne suffirait pas », assure-t-elle. Une déclaration qui va dans le sens de l’analyse de Marc Douaire, spécialiste de l’éducation prioritaire. « C’est assez schizophrène : on met en place des cités éducatives et, en même temps, on désavoue le travail des structures autour de l’école. Il faudrait peut-être que le ministre Attal ouvre le dossier ‘’cité éducative’’ ».
« Cette mesure intervient dans un contexte où le ministre a décidé d’organiser le collège autour de groupes de niveau, où il rompt avec le collège unique » complète-t-il. « Ces horaires d’ouverture, cela signifie que les élèves les plus en difficulté seront condamné à venir au collège de 8h à 18 heures. C’est invraisemblable. Qui va prendre les élèves ? Quand l’école reste ouverte pendant les vacances scolaires au travers de la mobilisation des acteurs associatifs, de l’éducation populaire du territoire, on est dans une démarche positive. Mais là c’est autre chose ». Ces annonces, pour le président de l’OZP, c’est de la « com » à destination du grand public, une façon de dire « on s’occupe de vos enfants ». Il les compare à celles de la généralisation des dédoublements en GS, « sans locaux, sans Atsem », « des annonces sans concertation avec les acteurs de terrain ».
« L’éducation prioritaire a besoin avant tout d’assisses nationales avec l’ensemble de ses acteurs, une idée d’ailleurs reprise dans le rapport Carel de la mission parlementaire sur l’éducation prioritaire » tance-t-il. « Ce que n’a pas fait Blanquer ni Pap Ndiaye, er ce que ne fait pas Attal. Il y a sans doute des critiques à apporter : pilotage, moyens, formation, intervention… Ca devait être fait en 2019, et ce n’est toujours pas fait. L’éducation prioritaire est un angle mort des derniers ministères ». « L’éducation est un temps long, elle a besoin d’un travail autour des partenaires de l’école » conclut-il. Cela semble très loin de la façon dont Gabriel Attal entend piloter son ministère.
L’annonce de la généralisation de l’expérimentation devrait coûter 80 millions d’euros que le ministre a promis d’aller négocier à Bercy. Entre cette annonce et celles du 5 décembre, on est assez dubitatif sur la possibilité d’une si longue rallonge.
Lilia Ben Hamouda