Jean-Marc Patru est professeur des écoles en Ariège. Dans sa petite école rurale, c’est en classe multiniveau qu’il enseigne. Auteur de »A la source de l’autonomie et de la citoyenneté », il partage avec les lecteurs et lectrices du Café pédagogique son analyse de la situation actuelle de l’école et plus généralement de la société. Et selon lui, ce dont a besoin notre démocratie, c’est d’une éducation plus humaine respectueuse du jeune citoyen en devenir, et de ses pouvoirs.
Une situation urgente
Face aux enjeux majeurs auxquels notre société doit faire face, peut-on encore conserver notre système éducatif en l’état ?
A observer notre société démocratique actuelle, difficile de ne pas s’alarmer de son état de crise : l’urgence sociale (augmentation des inégalités – et colère l’accompagnant), l’urgence démocratique (perte de légitimité et de confiance) , l’urgence environnementale (attentisme – voire déni – de nos politiques) .
Il n’est pas fortuit de constater que dans ce même temps, notre système éducatif semble également affronter une crise sans précédent : échec scolaire, climat dégradé, inefficacité à réduire les inégalités, perte de sens chez les professionnels et chez les élèves, réduction des moyens en personnels, fermetures de classes.
Et si cette double crise trouvait une piste de remédiation dans une même approche: une École Citoyenne.
La formation du Citoyen de demain doit être l’objectif premier de notre école. Nous devons, dès aujourd’hui, réinventer la Démocratie, en classe.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Notre éducation est centrée sur les apprentissages de la Langue et des Nombres (étonnant ?), non sur la formation de la Pensée. Il est urgent de changer l’école, pour répondre aux grands enjeux de notre société, dès aujourd’hui – faute de l’avoir fait avant… L’urgence de la crise actuelle nous impose d’être à la hauteur des enjeux : réveillons nous ! Proposons enfin une réelle éducation citoyenne, visant à la formation, demain, d’adultes responsables, respectueux et tolérants, à l’esprit critique et libre, aptes à s’engager dans les défis que la société leur posera – et leur pose déjà… Une autre éducation est possible, basée sur une réinvention de la Démocratie : rendons aux élèves leurs pouvoirs véritables de citoyens, pour les former dès à présent à ce rôle qui devra être le leur demain : acteurs véritables de leur société.
Pour ce faire, deux approches simultanées et complémentaires peuvent se décliner en classe : s’approprier le processus démocratique par la pratique, et apprendre à exercer la responsabilité citoyenne en s’emparant d’enjeux tels que la Liberté de Penser, la conscience et résilience environnementale, l’exigence de Justice, le Respect partagé.
De la Démocratie à l’École
Comment prétendre enseigner aux élèves la nature réelle du pouvoir démocratique, sans en passer par une pratique quotidienne en classe ?
Impossible de s’en tenir à une approche théorique : ici tout est affaire de pouvoirs ; la démocratie en classe doit avoir son espace, et son temps.
Ainsi la salle de classe – et l’établissement scolaire dans son ensemble – se doit de devenir la nouvelle agora de cette jeune démocratie en (re)construction : parler, écouter, échanger les idées, partager et rencontrer l’Autre dans l’échange, débattre… La communication doit pouvoir s’apprendre à travers différents cercles , s’étendant de la classe à l’ensemble de l’environnement de l’élève.
A travers cette construction active des principes démocratiques doivent se poser également les questions de la légitimité et de la justice de ce système – à définir avec les élèves. Car si nous ne pouvons nous passer, dans l’École comme en société, d’une représentation certaine, les conditions de son exercice peuvent être interrogées : l’esprit critique se forge à ce prix. Ne soyons pas avares de discussions, d’explications, d’éclaircissements, de débats… La justice dans l’établissement pourra à ce titre tenir une place de choix : sera- t-elle imposée, ou fera-t-elle l’objet d’une étude critique, et d’un exercice éclairé de la part du collectif – dans lequel les élèves tiendront un rôle central ?
Finalement, les valeurs consensuelles autour desquelles cette rencontre est possible doivent également être éclaircies: la Liberté, l’Égalité et la Fraternité sont des valeurs qui se déclinent en principes actifs et réels pour les élèves.
La liberté d’exister avec ses propres différences, dans un groupe hétérogène – bien qu’unis par des valeurs communes… La liberté de penser, de critiquer, de proposer, de débattre… et de faire , dans une autonomie constructive et active.
L’égalité de chaque élève dans son accès au Savoir – rendue possible par une véritable prise en compte des différences et particularités de chacun… selon le principe partagé que toute différence enrichit le groupe.
La fraternité vécue au quotidien, dans l’élaboration de projets partagés, ou dans l’exercice de la justice collective.
La rencontre de nos élèves avec nos valeurs républicaines ne pourra faire l’impasse, là encore, sur un véritable exercice pratique, et quotidien. Ces valeurs sont notre Bien commun : les principes en découlant doivent être vécus, au risque d’en perdre l’essence même.
Mais cela ne représente que la première étape de ce défi majeur – car toute démocratie ne peut être vivante que si ses citoyens ont le réel pouvoir de s’emparer des enjeux fondamentaux que leur société traverse, exerçant ainsi leur pouvoir de responsabilité et d’action.
Apprendre à devenir responsable
C’est un véritable défi de pouvoir reprendre les pouvoirs d’agir – en s’emparant des enjeux nationaux pour améliorer l’état de notre société et de notre planète. La liste de ces enjeux pourrait être longue à établir aujourd’hui pour nous, adultes… cependant certains défis semblent trouver une place parfaitement légitime dans l’Éducation Nationale : le pouvoir de penser par soi même, celui d’agir – pour notre planète en particulier, et enfin la délicate et pourtant centrale question du respect semblent bien relever de l’éducation de nos enfants, non ?
L’École pourrait être le lieu privilégié de la construction d’une liberté de penser – cette indépendance d’esprit pourrait même, soyons fous, être le but ultime de l’éducation. Si tel était le cas, certains principes seraient alors incontournables, comme l’incitation à devenir acteur de son Savoir, et la recherche d’une véritable autonomie – véritables terreaux de l’indépendance d’esprit en classe.
Le défi environnemental auquel notre société doit faire face – et l’exceptionnelle lenteur avec laquelle elle s’y prépare ! – peut être un sujet d’étude et d’exercice de cet esprit critique en construction. Effondrement de la biodiversité, crise de la répartition et du partage de l’eau, dérèglement climatique… La liste est longue, et il est clair que ces enjeux environnementaux sont déjà devenus des enjeux actuels et futurs : nous en avons tous conscience probablement, mais pourra-t-on longtemps rester sur cet équilibre précaire du »Savoir, mais ne pas Faire » ? Nous en payons déjà durement le prix – ici, déjà beaucoup, ailleurs encore plus.
L’apprentissage de la résilience peut passer par l’exercice de la liberté de penser, d’imaginer, de proposer, de débattre et de réaliser des projets concrets autour de l’environnement dans chaque établissement scolaire : l’ensemble des disciplines peuvent s’y rattacher. Si notre société peine encore à en prendre la mesure, faisons a minima un exemple de nos établissements scolaires !
Enfin, puisque nous abordons les enjeux forts de notre société, nous ne pouvons faire l’impasse sur l’apprentissage du Respect. Le respect de chacun est à l’évidence un objectif recherché par l’Institution. Et l’exercice collectif d’une justice est à ce titre fort constructif : par l’empathie qu’il permet, il offre à chacun la possibilité de rencontrer la compréhension, le respect. Le respect mutuel est le terreau de cette rencontre. Sa construction relève de la cohérence nécessaire de la démarche pédagogique citoyenne : cette cohérence est la même qui sous-tend la démarche de développement durable en classe ; le respect est une notion inter- dimensionnelle, qui englobe à la fois l’Humain, et son Environnement. Apprenons, de façon plus cohérente, à mieux respecter. Tout simplement.
Notre démocratie mérite ainsi une éducation plus humaine – pour ne pas dire, osons-le, une véritable Éducation Humaniste, respectueuse du jeune citoyen en devenir, et de ses pouvoirs !
Soyons Citoyens
Agissons nous-mêmes en tant que citoyens, aujourd’hui, en faisant des choix forts, et en favorisant la mise en place de cette éducation citoyenne désormais urgente.
Tous, ensemble, nous pouvons tendre vers cet objectif, et peser sur le changement nécessaire de notre système éducatif. Nous en avons le droit, donnons-nous en le pouvoir.
Nous pouvons encore changer notre société à venir, la transformer en une démocratie plus innovante, réinventée, dans laquelle les citoyens seront plus exigeants envers leurs représentants politiques, et n’hésiteront pas non plus à prendre le chemin de l’action : penser plus librement, dire et s’exprimer, puis prendre eux-mêmes les décisions qu’ils jugeront nécessaires, pour faire.
La société de demain pourrait être portée par ses propres citoyens. L’éducation d’aujourd’hui en décidera, et nous pouvons tous influer, aujourd’hui, sur son devenir.
Jean-Marc Patru
‘‘A la source de l’autonomie et de la citoyenneté », chez L’Harmattan, juin 2023