Hélène Binoche, professeure d’allemand après une longue carrière dans le conseil aux entreprises en France et en Allemagne, parle au Café Pédagogique de son expérience de « jeune » professeure reconvertie et partage ses analyses sur le métier. Dans le contexte d’un enseignement d’allemand en crise, traversé à la fois par une baisse du nombre de candidats au concours de recrutement et par une baisse du nombre de germanistes dans les établissements secondaires, Hélène pose la question suivante: «Sans professeurs d’allemand, comment et avec qui apprendre l’allemand? L’allemand peut disparaître des établissements si on ne fait rien»
Un parcours riche
Hélène Binoche est devenue professeure d’allemand à 55 ans, c’est «un changement total de logiciel, les rapports sont différents, il faut tout revoir». La reconversion tardive est un changement de paradigme et une nouvelle appréhension du monde du travail. Juriste en entreprise dans le domaine international à ses débuts, Hélène a occupé différents types de fonction en lien avec la veille stratégique internationale en cabinet de conseil aux entreprises puis de 2014 à 2019 à la tête de la filiale allemande d’un groupe de conseil à Cologne puis à Düsseldorf. Après le Covid, de retour en France, et après s’être heurtée à un marché du travail défavorable aux seniors, elle se résout à effectuer un remplacement en tant que professeure d’allemand contractuelle. Elle décide enfin de passer le CAPES d’allemand car elle a un lien affectif avec cette langue. Une question qui la guide est «Comment rendre l’allemand plus accessible, comment démonter les préjugés toujours présents, comment donner envie à un public parfois rétif à l’effort?»
«Je suis arrivée de manière «zufällig» [par hasard] dans le domaine de l’enseignement». Hélène a passé deux années un peu difficile à Drancy «j’ai vraiment souhaité démissionner à plusieurs reprises et cela m’arrive encore d’y penser même si je suis bien dans mes souliers de professeur ». Elle précise: «c’est difficile de donner envie aux élèves, de travailler à convaincre, il faut chercher des parents, chercher des élèves.» Enseigner a été «la plus grosse remise en question que j’ai eu, qui m’a aussi fait souffrir. ça reste un combat permanent de susciter l’envie, l’intérêt». Hélène évoque l’angoisse des débuts, de mal faire, elle nous confie: «j’étais pétrifiée d’angoisse de mal faire, je ne me faisais absolument pas confiance.» Mais aujourd’hui Hélène trouve du plaisir dans ce métier dont elle est fière, et espère bien le partager.
De l’entreprise au collège et réciproquement
Hélène met à profit sa connaissance de différents publics pour s’adapter, elle se sert de ce qu’elle a pu faire par le passé : l’habitude de faire des présentations lui est utile «pour tout ce qui est posture dans la classe», mais elle commente ainsi «c’est plus difficile de s’adresser à un public quand vous n’avez rien à vendre ; il faut surprendre, savoir provoquer un « choc d’attention »». Hélène dit cette dernière phrase avec amusement, le vocabulaire de l’entreprise est utilisé avec choix: «je sais être très commerciale pour l’allemand».
Hélène a besoin de lien avec l’entreprise, et il y a des débouchés professionnels pour les germanistes: «je sais que l’allemand est recherché par les entreprises en Allemagne et en France. Rien ne vaut le rapport direct dans la langue. On est différent qd on parle la langue de l’autre. C’est aussi une marque de respect. Les Allemands sont très directs, la communication est claire. ça peut être déstabilisant mais quand on comprend ça, c’est vraiment plus simple». Elle poursuit : «Le partage de la langue permet la confiance, un petit supplément d’âme que l’anglais ne permet pas».
Elle dit avoir besoin de donner du sens à ce qu’elle fait, et faire connaître le monde de l’entreprise à ses élèves y participe.
En classe d’allemand
Pour Hélène, «l’avenir professionnel se joue dès la 3e, on doit leur montrer comment ça se passe en classe avec le comportement civique». Elle aimerait proposer à ses élève des stages d’observation. Elle organise une visite d’une entreprise allemande pour que les élèves comprennent «en quoi la langue allemand peut être un plus au niveau commercial, marketing ».
Pour Hélène, «il faut sortir de l’anglais et de l’espagnol. Les métiers vont être en demande de différenciation des élèves.» La rigueur de l’allemand «structure » pour toute une vie», dit-elle.
Hélène travaille avec ses élèves «sur le respect, le vivre-ensemble, nomme les élèves mini ambassadeurs comme en Allemagne pour leur donner des aspects très concrets de l’Allemagne.» Elle utilise surtout pour les plus jeunes, les situations de la vie quotidienne et les transpose sous forme de scène de théâtre, ce que les élèves apprécient beaucoup, selon elle. Elle poursuit: «je veux qu’ ils soient en mesure de se débrouiller de manière presque réflexe en Allemagne. J’ai des ambitions très modestes, j’ai des ambitions sur le comportement, je suis en REP, sur la capacité de s’écouter, de vivre ensemble. Je parle beaucoup allemand en classe, et j’encourage le recours à la langue dès l’entrée en classe d’allemand, j’ai une ambition linguistique et culturelle bien sûr.»
Cette année encore, Hélène s’inscrit dans le cadre du jumelage existant entre Drancy et Eisenhüttenstadt en Allemagne que le comité de jumelage de Drancy organise pour tous les collégiens, «chaque année, le président du comité de jumelage présente le projet dans chaque collège». En 2024, elle accompagne 15 élèves de 4e et 3e (dont 8 appartiennent au collège où elle enseigne) pendant les vacances scolaires du printemps. Il s’agit d’un échange c’est-à-dire de recevoir aussi des élèves allemands dans des familles de Drancy, il est toujours très difficile de convaincre les familles françaises qui vivent souvent dans des conditions modestes, mais une fois que les élèves y ont goûté, ils ne demandent qu’à recommencer et leur enthousiasme à leur retour est la meilleure promotion pour l’année suivante !
Professeure, «le métier le plus difficile»
«C’est certainement le métier le plus difficile et avec le moins d’argent ( !) que j’ai pu exercer jusque-là» affirme Hélène sans hésiter. « Depuis 3 ans, j’ai souvent eu des doutes car c’est un métier insuffisamment respecté selon moi, j’ai eu beaucoup d’encouragement et d’admiration de mon entourage, ça veut sans doute dire quelque chose.» Hélène constate que le travail de professeur est devenu un métier en France que plus personne ne veut faire. D’ailleurs, c’est le métier que les élèves feraient en dernier car ils disent ne pas vouloir composer avec des élèves difficiles (!). Les élèves sont conscients de la difficulté du métier. Et ils veulent exercer « un métier avec un meilleur salaire».
Sur le métier, Hélène décrit : «On en sort rincés, certains jours on n’a plus envie de rien. Tous les professeurs le ressentent. On se demande parfois, est-ce que ce que je fais sert vraiment à quelque chose?» Elle décrit le sentiment de frustration, qui est un facteur de souffrance du métier: «il y a bien entendu parfois de la souffrance en salle des profs mais aussi beaucoup de solidarité et une forme de dérision -car il en faut- pour tenir ». Le métier demande beaucoup d’énergie. Puis, Hélène évoque ses élèves, sa voix devient enjouée quand elle parle des sourires, de l’enthousiasme des collégiens.
Enseigner l’allemand: «J’ai du mal à être positive pour l’avenir.»
Hélène décrit l’angoisse du professeur d’allemand qui doit faire parfois dès novembre une campagne de promotion de l’allemand en primaire en espérant avoir des élèves, l’ancienne responsable de marketing résume : «on fait un boulot de VRP». Elle avoue que « ça affecte quand un élève n’aime pas l’allemand ou critique de manière véhémente certains éléments de la culture allemande». Et depuis, «on fait ce qu’on peut dans des conditions pas faciles et détériorées.» Pour elle, «la réforme de Najat Vallaud Belkacem a fait un mal inouï». «Travailler sur deux ou trois établissements, je ne m’en sens pas capable, ça veut dire quoi, trois équipes? J’aime bien être intégrée dans une équipe, rencontrer, échanger avec des collègues». Elle raconte l’énergie déployée pour sauvegarder la 6eme bilangue: «j’ai téléphoné à plus de 60 parents d’élèves de CM2 pour garder ma classe de 6eme». Elle ajoute «il faut accepter qu’on ne puisse pas tout maîtriser » mais poursuit-elle en riant : « On devrait donner des médailles aux profs d’allemands, ils sont méritants pour faire ce qu’ils font aujourd’hui !»
Djéhanne Gani