Pierre Arnoux, professeur de mathématiques à l’université d’Aix-Marseille, est fatigué, « fatigué de voir périodiquement revenir le même marronnier à propos de la dernière enquête ». Fatigué, par les répétition des réponses inappropriées des ministres de l’éducation – qui se succèdent mais qui se ressemblent par leur manque de compétence en matière d’éducation. Il signe cette tribune.
Une nouvelle étude PISA vient de sortir, 4 ans après la dernière. Elle montre un fort recul dans les trois domaines étudiées, mathématiques, lecture et sciences. Ce n’est pas étonnant : il en est de même pour la plupart des pays, et l’explication est claire; le COVID n’a pas fait de bien aux systèmes éducatifs. Il ne faudrait quand même pas se réjouir : PISA peut calculer la variation 2018-2022 en mathématiques pour 72 pays; si seuls 14 pays progressent, ils ne sont aussi que 14 à faire pire que nous, et la chute mesurée, 21 points, est de l’ordre d’une année de cours.
Toutes les études sur l’effet du COVID insistent sur l’accroissement des inégalités dû à cette crise, et c’est justement un domaine dans lequel notre pays est particulièrement mal placé : une bonne partie de la note de PISA sur la France est consacrée à la part plus importante qu’ailleurs que les inégalités diverses ont sur les performances des élèves; on note aussi, et c’est probablement corrélé, que les chefs d’établissement déclarent en 2022 un manque important d’enseignants et d’autres personnels dans leur établissement…
Mais il y a une remarque bien plus fondamentale à faire. Je suis fatigué de voir périodiquement revenir le même marronnier à propos de la dernière enquête. Ce qui est important, ce sont les effets de long terme, et il sont très clairs. Nous disposons d’une masse de mesures depuis plus de 30 ans (PISA, TIMSS, CEDRE…) provenant d’organismes divers, nationaux ou internationaux, qui montrent tous le même effet : une baisse régulière, progressive, et massive, des compétences et des connaissances des élèves, qui touche tous les milieux. Si nous sommes champions d’inégalité, il ne faudrait pas se rassurer à bon compte en pensant que, si les élèves défavorisés sont faibles, les favorisés s’en sortent comme avant. 7,4 % des élèves français sont très performants en mathématiques au PISA 2022 (niveau 5 ou 6 au test de mathématiques), une proportion inférieure à la moyenne OCDE (8,7 %), quand ils sont 23% au Japon. Et seulement 1,1 % des élèves en France ont atteint le niveau 6, soit la moitié de la moyenne OCDE, 2,0 %. La baisse progressive, d’autres études l’ont montré, atteint toutes les population. C’est notre système tout entier qui fonctionne nettement plus mal qu’il y a 30 ans.
Le ministre a décidé
Face à cela, qu’avons-nous fait? A chaque fois, exactement ce qu’on vient de voir. Le ministre s’est déguisé en père Noël, et a sorti en fanfare des surprises de sa hotte, en espérant que les flonflons couvriraient les mauvaises nouvelles, et montreraient qu’il agit. On parle d’excellence, de classes de niveau, de faire travailler plus les élèves faibles, d’empêcher ceux qui n’ont pas le niveau de passer dans la classe supérieure… Qu’importe que les nombreuses études qui sortent sur le sujet montrent que ces méthodes ne marchent pas, et que les pays qui réussissent ne font pas ça ? Le ministre a décidé. Dans trois ans, quand la prochaine étude sortira, il sera ailleurs, et aura laissé le souvenir d’un homme décidé. Personne n’aura remarqué qu’il n’a apparemment aucune compétence dans le domaine et qu’il n’y a aucun scientifique dans son cabinet pour le conseiller sur le sujet.
Pénurie d’enseignants : approches « originales » des derniers gouvernements
Il y aurait pourtant des choses utiles à faire, par exemple sur la formation des enseignants. Les études sur le sujet convergent: du primaire au supérieur, la qualité des enseignants, leur formation initiale et continue sont un des éléments clés d’un système éducatif. Nous n’arrivons plus aujourd’hui à recruter les enseignants nécessaires, dans le primaire comme dans le secondaire, et nous avons dégradé leur formation continue. Ce n’est pas dramatique. Nous avons déjà connu plusieurs fois cette situation, et nous avons su résoudre le problème. Dans les années 50, le baby-boom a entraîné une pénurie d’enseignants, résolue très efficacement dans les années 60-75 par un système de pré-recrutements. À la fin des années 70, l’arrêt presque complet des recrutements par le gouvernement Giscard d’Estaing a entraîné une nouvelle « crise des vacations », à nouveau résolue par un système de bourses. Nous sommes depuis plusieurs années dans un cycle du même type. Mais les derniers gouvernements ont choisi une approche originale.
Face à un manque de candidatures, les ministres successifs ont agi sur tous les fronts : ils ont bloqué les salaires depuis plus de 10 ans, augmenté le niveau de qualification exigé pour entrer dans la profession, divisé par deux le salaire de la première année – l’année de master 2 était une année de fonctionnaire stagiaire, payée environ 1500€/mois, elle est maintenant une année de stage avant concours, payée pour les plus chanceux environ 800€ par mois – et réformé à de multiples reprises le système de formation jusqu’à rendre presque impossible les reconversions de professionnels vers l’enseignement. C’est un étonnement chaque année renouvelé de voir que tous les ans, tout le monde s’étonne que, dans ces conditions, l’enseignement n’attire pas… Et dans le même temps, le ministre interdit tout stage sur temps d’enseignement, sans apparemment se rendre compte que, dans ces conditions, les formateurs d’enseignants ne pourront plus travailler que 3 mois par an, pendant les vacances! Si on abime à la fois la formation initiale et la formation continue, il est plutôt rassurant de constater que le système marche moins bien.
La France a tout à fait les capacités de relever ce challenge. On pourrait faire des propositions dans divers domaines, mais à quoi bon? Elles ont été faites et discutées à de multiples reprise, mais cela fait des années que le ministère est enfermé dans son autisme, et n’entend plus que les sondages…
« Il ne suffira pas d’offrir un manuel labélisé d’auto-formation aux enseignants »
Rappelons quand même qu’on ne s’en sortira pas en criant Singapour! Singapour! et en imprimant un bouquin de recettes. Singapour, ça a marché, on le voit. Mais ce qui a marché, ce n’est pas d’imprimer une recette: c’est plusieurs centaines d’heures de formation continue par enseignant, dispensées de manière régulière sur plusieurs années, de façon suivie, avec un corps de formateur d’enseignants nombreux et très compétents, qui ne formaient pas que pendant les vacances. On peut aussi rêver devant l’efficacité remarquable des écoles de Shanghai; qui rappelle qu’un professeur de maths au niveau 6ème, à Shanghai, fait 10 heures de cours devant les élèves par semaine (2 classes de 5heures), et qu’il est le reste du temps dans le laboratoire de mathématiques de l’école, pour préparer ses cours avec les collègues, et se former. Nous avons aussi les capacités de mener une formation continue en mathématiques, par exemple avec les IREM – Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques – qui savent mener des stages, ou plus généralement avec les universités, mais il faudrait que les rectorats aient les moyens de les organiser; il ne suffira pas d’offrir un manuel labélisé d’auto-formation aux enseignants, et ce n’est pas ce qu’on fait les pays qui réussissent.
Pierre Arnoux