Cette fois, c’est une vraie chute de niveau qu’enregistre la nouvelle évaluation internationale Pisa organisée par l’OCDE. Elle concerne les jeunes âgés de 15 ans. Si presque tous les pays sont touchés par des conséquences négatives du covid, les élèves français chutent beaucoup plus que les autres. Et, pour la première fois, l’OCDE pointe directement la gestion du système éducatif. Depuis 2018, la France est, après le Cambodge, le pays où le nombre d’élèves touchés par le manque d’enseignants a augmenté le plus : 67% des élèves sont scolarisés dans des établissements où le chef d’établissement signale qu’il manque d’enseignants. Le système éducatif français reste marqué par l’importance des inégalités sociales de réussite scolaire. Gabriel Attal soulèvera t-il cet après-midi ces points dans ses annonces suite à la publication de Pisa ?
Une chute brutale des résultats en maths
Les résultats de l’évaluation internationale Pisa, réalisée par l’OCDE auprès de 7000 élèves âgés de 15 ans en France, dans 300 collèges ou lycées publics et privés, et près de 700 000 jeunes du même âge dans 81 pays ou territoires, sont particulièrement sévères pour le système éducatif français et sa gestion.
En France, le niveau moyen de maths est de 474 points, c’est à dire à hauteur de la moyenne des 81 pays et territoires concernés par Pisa. Par comparaison, l’Allemagne est à 475, l’Espagne à 473, l’Italie à 471, les Etats Unis à 465. Le Japon et la Corée sont en tête avec près de 530 points, la Suisse à 508, le Canada à 497, l’Irlande à 492 et le Royaume Uni à 489. Mais si la France arrive à se situer dans la moyenne de l’OCDE c’est que plus de la moitié des 81 pays concernés par Pisa 2022 sont des pays nettement moins développés économiquement et que certains pays développés connaissent des chutes étonnantes (Allemagne, Finlande).
Regardons plutôt comment nous évoluons par rapport à nous-mêmes. Si l’on compare les résultats de la France en 2022 avec ceux des Pisa précédents, c’est une nette chute qui se dessine. En 2012, la France réalisait un score en maths, la discipline phare de ce Pisa 2022, de 495 points. Après une chute en 2015 à 493 le pays était remonté à 495 en 2018. On était donc dans un redressement. Or on perd 21 points de 2018 à 2022. C’est nettement plus que la moyenne des pays de l’OCDE (15 points). Et c’est une chute sans précédent dans les deux décennies de l’histoire de Pisa. L’OCDE juge cette chute « significative » et « la plus inédite que l’on a pu voir ». L’organisation évoque « un véritable changement en France ».
Certes, on observe un net décrochage dans presque tous les pays. En moyenne, les pays de l’OCDE perdent 15 points en maths, par rapport à Pisa 2018. Mais, sur les 81 pays testés dans ce Pisa 2022, seulement 14 connaissent une chute plus importante que nous, dont l’Allemagne et la Finlande. Certains pays ont vu leur niveau s’améliorer, comme le Japon.
En maths c’est surtout la capacité à utiliser le langage mathématique qui est déficitaire. » Les élèves de 15 ans ont beaucoup de mal à « formuler » des situations de façon mathématique (score de 463 points en France), alors qu’ils « interprètent » relativement bien des résultats mathématiques (score de 482 points pour la France contre 474 points pour la moyenne OCDE) et qu’ils « raisonnent» de façon mathématique pour créer des solutions à des problèmes et des situations de la vie réelle et qu’ils « emploient » des outils mathématiques appropriés pour résoudre des problèmes et en tirer des conclusions mathématiques aussi bien que les élèves des autres pays de l’OCDE (score de 473 points pour la France et la moyenne OCDE sur la sous-échelle « raisonner» et score de 472 points pour France et la moyenne OCDE sur la sous-échelle « employer ») », nous dit l’OCDE.
Et en compréhension de l’écrit
En compréhension de l’écrit, le score moyen de la France en 2022 est de 474 contre 476 pour l’OCDE. Mais il était de 493 en 2018 et de 505 en 2012. Dans cette discipline, on avait perdu 12 points de 2012 à 2018. On en perd 19 de 2018 à 2022. En moyenne les pays de l’OCDE ne perdent que 10 points depuis 2018.
La situation est moins grave en sciences. Le score moyen est de 487, soit six points de moins seulement par rapport à 2018 et 12 par rapport à 2012. Pour l’ensemble des pays de l’OCDE on observe pas de changement significatif en sciences.
Moins d’élèves performants
La part des élèves très performants en maths a aussi diminué en passant de 11 à 7% depuis 2018. Leur part a aussi diminué en moyenne dans l’OCDE. Mais en France la chute est deux fois plus rapide. Dans l’autre sens, la part des élèves les moins performants en maths augmente atteignant 29% des élèves (21% en 2018). En compréhension de l’écrit on compte 27% d’élèves ayant un faible niveau (26% en moyenne dans l’OCDE) et 24% en sciences (24% en moyenne dans l’OCDE). On retrouve des taux équivalents dans les autres disciplines du test Pisa : 7 de très performant et 8% en sciences contre 27 et 24% de faibles.
» Dans l’ensemble, les résultats de 2022 sont parmi les plus bas jamais mesurés par l’enquête PISA dans les trois matières en France » souligne l’OCDE. C’est plus clair en maths où il y avait eu un redressement en 2018. En compréhension de l’écrit la chute s’accélère.
Des inégalités sociales très marquées
Après cette chute historique, la deuxième caractéristique de ce Pisa 2022 est le lien très fort entre inégalité scolaire et sociale. « La France est toujours l’un des pays de l’OCDE où le lien entre le statut socio-économique des élèves et la performance qu’ils obtiennent au PISA est le plus fort« , note l’OCDE. » Environ 18,9 % des élèves favorisés, mais seulement 1,2 % des élèves défavorisés, sont parmi les élèves très performants en mathématiques en France dans PISA 2022 (respectivement 20,0 % et 2,6 % pour les moyennes de l’OCDE). Les élèves issus de milieu socio-économique défavorisé ont 4 fois plus de chances que tous les autres élèves en France et 10 fois plus de chance que les élèves issus de milieu socio-économique favorisé de se retrouver parmi les élèves peu performants en mathématiques au PISA 2022 (les moyennes OCDE sont respectivement de 3 fois et 7 fois plus de chance d’être dans ces situations)« . L’écart entre le résultat moyen des élèves défavorisés et favorisés en France atteint 113 points. Les élèves défavorisés ont en moyenne le niveau moyen des jeunes de Moldavie ou du Kazakhstan quand les élèves favorisés ont celui du Japon ou de la Corée, c’est à dire sont dans les meilleurs élèves du monde !
Le Covid seul responsable ?
Comment expliquer cette situation nouvelle et aussi catastrophique ? L’évaluation internationale Pisa devait avoir lieu en 2021. Elle a été repoussée au printemps 2022 du fait du covid. Celui-ci a incontestablement eu un impact.
Si en France 36% des élèves déclarent que leur établissement a été fermé plus de 3 mois c’est nettement moins que la moyenne OCDE (51%). Mais l’OCDE avait noté durant la crise du covid que les enseignants français étaient moins préparés à faire de l’enseignement à distance. » Le maintien du contact avec l’établissement a été limité pendant la fermeture. Seul un élève sur cinq a bénéficié d’un soutien quotidien par le biais de classes virtuelles en direct, sur un programme de communication vidéo, ce qui est plus de deux fois moins que dans la moyenne des pays de l’OCDE. De plus, seul un élève sur 10 a été interrogé quotidiennement par une personne de son établissement pour savoir comment il allait, soit légèrement moins que dans la moyenne des pays de l’OCDE (13 %). Ce manque de soutien a eu un effet sur le bien-être : un élève sur trois s’est senti seul durant cette période (moyenne OCDE : 38 %) », note l’OCDE.
Mais l’OCDE ne juge pas cette explication suffisante. « Le covid n’est pas une excuse« , nous dit l’OCDE. « Certains pays ont limité la baisse. Or en France ce qui est alarmant c’est que la baisse est très importante« .
La politique éducative d’E Macron pointée du doigt
Parmi les facteurs expliquant la chute de niveau des jeunes français, l’OCDE introduit cette année pour la première fois la gestion du système éducatif.
« Contrairement à 2018, les chefs d’établissement déclarent en France un manque important d’enseignants et de personnels non-enseignants dans leurs établissements en 2022« , note l’OCDE. « En 2022, 67 % des élèves étaient scolarisés dans des établissements dont le principal/proviseur avait déclaré que la capacité à dispenser l’enseignement était entravée par un manque de personnel enseignant (et 30 %, par un personnel enseignant inadéquat ou peu qualifié). En 2018, les proportions correspondantes étaient seulement de 17 % et 11 %. Sur le manque de personnel enseignant, il s’agit de la plus forte hausse parmi les pays de l’OCDE (+ 50 % en France contre + 21 % en moyenne dans les pays de l’OCDE)« . Un seul pays fait pire que la France en termes de dégradation des conditions d’enseignement, parmi les 81 pays de ce Pisa : c’est le Cambodge.
Ces déclarations des principaux et proviseurs reflètent une réalité. Si globalement la dépense d’éducation n’a pas baissé de 2018 à 2022, par contre les dédoublements de classe voulus dans le premier degré par E Macron ont été financés en prélevant un nombre équivalent de postes dans le second degré à partir de 2018. C’est cette dégradation des conditions d’enseignement au collège et au lycée qu’établit Pisa 2022.
Si Pisa 2022 ne peut pas évaluer l’efficacité des dédoublements (les élèves qui les ont connu entrent seulement en 6ème), il évalue par contre le choix politique de faire les dédoublements dans le premier degré sans les financer. Ces suppressions de postes ont touché des établissements où déjà le nombre moyen d’élèves par classe est plus élevé que la moyenne OCDE (30 élèves contre 26). Il montre aussi que la réforme du collège lancée par JM Blanquer n’a pas eu d’effet positif. On ne peut pas dire que la généralisation de « Devoirs faits », par exemple, ait amélioré le niveau des élèves.
Redoublements et groupes de niveau
L’OCDE avance aussi des facteurs qui relèvent des pratiques enseignantes et de la formation des enseignants.
Il s’agit d’abord du redoublement qui a énormément chuté en France passant de 40% des élèves de 15 ans à près de 10% aujourd’hui, soit à peu près le niveau moyen de l’OCDE. « Il est intéressant de noter qu’avant l’arrivée de la pandémie de COVID-19, cette baisse du redoublement en France ne s’accompagnait pas d’une baisse des performances en mathématiques », note l’OCDE. Mais encore fait-il remplacer le redoublement par un soutien aux élèves fragiles.
« Les élèves des systèmes éducatifs où le redoublement est peu répandu (et la progression automatique vers les niveaux supérieurs) sont plus susceptibles que les élèves des autres systèmes éducatifs de déclarer que leurs professeurs de mathématiques les soutiennent et qu’ils ont de bonnes relations avec eux. La France ne suit pas ce schéma« , note l’OCDE. En France seuls 52% des élèves déclarent que leur enseignant s’intéresse aux progrès des élèves contre 63% en moyenne dans l’OCDE. 62% reçoivent l’aide dont ils ont besoin contre 70% dans l’OCDE. Il n’est pas interdit de penser que la dégradation du nombre d’enseignants avec des classes plus chargées en France qu’ailleurs a sa part dans cet écart.
Mais la formation des enseignants doit aussi avoir la sienne. L’enquête Talis, une autre enquête de l’OCDE, a montré que les enseignants français sont parmi les plus demandeurs de formation mais qu’ils sont parmi les moins satisfaits de ce qui leur est proposé. La formation continue des enseignants consiste surtout en formations obligatoires et non souhaitées. Le ministre souhaite maintenant les ajouter au temps de travail ce qui ne risque pas de les rendre plus intéressantes.
Gabriel Attal a annoncé vouloir lever « le tabou du redoublement« . Il est clair que revenir à des taux plus élevés de redoublement ne changera pas grand chose au niveau des élèves.
Une autre idée avancée par G Attal concerne les « groupes » de niveau, voire les « classes de niveau« . C’est une pratique répandue dans de nombreux pays de l’OCDE qui ne la juge pas négative. » Une relation positive entre la performance obtenue en mathématique et le regroupement d’élèves est observée si le regroupement est limité à quelques matières, alors que la relation est négative s’il est mis en oeuvre pour toutes les matières« , note l’OCDE. Surtout , pour l’OCDE, « si la France veut se diriger vers des regroupements il faut que cela soit très flexible. Il ne faut pas stigmatiser les élèves. Il ne faut pas de classes pour les nuls avec une surreprésentation d’élèves en difficulté. Il faut pouvoir basculer facilement un élève d’une classe à l’autre. Et il faut que les enseignants soient formés au soutien des élèves et qu’ils soient prêts à adapter leur pédagogie. Il faut qu’ils aient les mêmes attentes pour les élèves défavorisés que pour les favorisés. Sinon les écarts de niveau vont augmenter encore plus vite« . Cela fait beaucoup de conditions à remplir. Dans le cadre de la réforme du lycée, les regroupements réalisés pour les spécialités ont eu surtout pour objectif de tirer une meilleure rentabilité des enseignants en remplissant de façon optimale les groupes d’élèves…
L’OCDE pour l’autonomie des établissements
Enfin, l’OCDE relance son crédo dans l’autonomie des établissements. » En France, en 2022, et selon les déclarations des principaux/proviseurs, 35 % des élèves fréquentaient une établissement où les observations des cours par le chef d’établissement ou le personnel d’encadrement étaient utilisés pour contrôler les pratiques des enseignants (moyenne OCDE : 77 %) ; 53 % des élèves fréquentaient une établissement où les tests ou les évaluations des résultats des élèves étaient utilisés à cette fin (moyenne OCDE : 73 %) ; 23 % des élèves ont fréquenté une établissement qui utilise l’examen par les pairs pour évaluer la pratique des enseignants (moyenne OCDE : 59 %) ». Des idées qui pourraient se retrouver dans les annonces de Gabriel Attal ce 5 décembre.
François Jarraud