Alors qu’une énième (annonce de) réforme s’annonce, marque habituelle de tout ministre de l’Éducation nationale, comment ne pas se poser la question de la pérennité d’une politique éducative et de la pertinence des réformes. La politique éducative semble prise en otage par le jeu et la mécanique des alternances politiques qui génèrent illisibilité, illégitimité et perte de sens à toutes les échelles de la société, chez les personnels comme dans les familles. Le temps du politique marqué par l’instabilité et ses échéances électorales finit par déboussoler l’usager, le parent et in fine l’élève et citoyen. Or, l’éclairage de la recherche et une démarche scientifique ne seraient-ils pas une condition pour un effet durable d’une politique éducative, à même d’améliorer ou de transformer l’École? Penser et construire une politique éducative durable ne doit-il pas s’inscrire dans un temps long, moyen et condition d’associer la pluralité d’acteurs engagés dans le champ éducatif?
Le temps de la relation
Peut-être serait-il urgent d’envisager le temps long nécessaire et inhérent à la construction comme à la relation: construire et (re)lier prend du temps. L’instabilité empêche la pérennité, mais aussi de prendre soin de la relation. Le lien École-personnels, comme la relation entre l’École publique et le pays semble abîmés. En effet, toutes les enquêtes d’opinion et études indiquent un mal-être des personnels -ce que révèlent aussi les démissions croissantes – comme celui des élèves, et une absence de confiance dans l’institution. Le rythme «Un ministère de l’Éducation nationale = une réforme (jetable)» semble s’être installé… suscitant plus de fatigue voire de souffrances que d’espoir chez les personnels, comme les familles.
Les effets délétères de cette défiance sont une bombe pour notre société et ils creusent le sillon d’une École à deux vitesses, d’une fragmentation sociale dans un contexte d’accélération de la privatisation et de la libéralisation du champ éducatif. Un plan pour l’École, n’est-il pas une condition préalable pour une politique publique pérenne comme pour une École publique renforcée/revitalisée, adaptée aux besoins des élèves et de la société ? une École qui émancipe par les savoirs tout en répondant aux nombreux défis, éducatifs citoyens comme démocratiques, car tout est dans l’École et tout la dépasse. L’École est le ciment, le cœur de notre démocratie.
Des ministères (très) pressés par le temps de la communication politique
Un ministre de l’Éducation nationale réforme la réforme du ministre précédent: la Loi Fillon 2005, 2008 Darcos, 2009 Châtel, Loi Peillon 2013, 2016 Vallaud Belkacem, Loi Blanquer 2019. A force de réformes, ne perd-on pas la question de leur sens ? Sans temps long, comment préparer une réforme, l’expliquer, la mettre en œuvre et l’évaluer? La pratique politique de la tabula rasa engendre des nouvelles priorités ou des priorités renouvelées, qui sont un véritable frein à une politique éducative cohérente et durable, c’est-à-dire pensée dans un temps long et pour durer.
Le temps long est inhérent à une politique ambitieuse, il est celui de la réflexion, de la pédagogie pour accompagner une mise en œuvre, auprès des familles, des personnels, bref dans chaque foyer et cœur de France. Car l’École est le cœur de la France. Expliquer… prend du temps, mais expliquer rend les choix politiques compréhensibles, et donc à même de susciter leur adhésion auprès des citoyennes et citoyens, toutes et tous acteurs éducatifs. La question du temps long a donc également un enjeu démocratique et bien sûr pragmatique pour avoir des effets durables sur l’amélioration et transformation de l’École.
En s’appuyant sur le passé, sur la recherche, sur la raison, la politique éducative quitterait le champ de la communication politique, de la logique de politisation brutale des politiques éducatives.
Une politique éducative durable fondée sur un consensus national
Un bilan des réformes ou d’une expérimentation ne devrait-il pas être systématiquement effectué avant d’être généralisé ? Le temps long est à la fois un principe, une méthode et un processus de transformation nécessaire et inhérent à l’éducation. Le temps de l’éducation est donc un temps long par essence, et ce d’autant plus qu’une politique éducative engage de nombreux acteurs, personnels de l’Éducation nationale, associations et structures sportives et culturelles de l’éducation populaire, collectivités, familles. Fixer des objectifs nationaux à partir d’un diagnostic partagé par tous semble une condition indispensable pour coconstruire l’amélioration puis la transformation de l’École autour d’un consensus. Des objectifs nationaux et communs à tous les acteurs éducatifs (dans l’esprit de l’appel de Bobigny) permettraient d’élaborer des programmes, un calendrier à long terme pour mettre en œuvre ces objectifs comme l’a fait la Finlande.
Améliorer l’état de l’École avant de transformer
Les constats et diagnostics d’une École inégalitaire et ségréguée et d’une politique éducative au détriment de la jeunesse populaire sont largement documentés par les sciences de l’éducation, la sociologie, l’économie… La France se distingue notamment par le poids des origines sociales sur les trajectoires scolaires et par son statut de mauvais élèves : effectifs de classe, reproduction des inégalités, salaires des personnels plus bas que la moyenne des pays européens et absence de mixité sociale et scolaire. Pourquoi ne pas commencer par agir sur les causes structurelles identifiées?
Ces données – scientifiques – permettent d’établir un plan d’action d’amélioration de notre École. En effet, à partir de ce diagnostic, quelques objectifs communs pourraient être formulés, avec un plan, pour des mesures d’urgence, pour améliorer rapidement l’état de l’École. Les leviers seraient : baisser les effectifs des élèves par classe et augmenter les salaires des professeurs pour rejoindre la moyenne européenne. La question des effectifs est centrale, elle améliore les conditions d’apprentissage des élèves comme de travail, participe à l’amélioration du climat scolaire avec des pratiques pédagogiques qui favorisent l’écoute, l’accompagnement individualisé, les travaux de groupe, l’expérimentation. Des effectifs allégés donnent plus de temps à l’élève pour qu’il trouve sa place et prenne a parole en classe. La question des effectifs donne donc du sens au métier dont la transmission est fondamentale. En effet, les conditions pragmatiques et concrètes participent aux apprentissages comme au bien-être de l’élève, et ce d’autant plus peut-être dans un moment comme au collège où l’enfant est en construction et dans un contexte de pénurie de personnels médico-sociaux dans l’école. Si la question de l’effectif est centrale, celle de la mixité sociale et scolaire l’est également et son recul, objectivé également par de nombreuses études, doit nous alerter collectivement. Le séparatisme social et scolaire est un poison pour la société, pour la démocratie: l’«École des classes» nourrit les sentiments et expériences d’inégalité, de discrimination, d’humiliation. Les inégalités, leurs reproductions tuent l’espoir et les rêves d’une jeunesse et sont donc le creuset de colère pour les «perdants» du système scolaire. La ségrégation sociale est une bombe pour la société française (pré)disait un rapport du Cnesco en 2015. Il est temps d’agir urgemment pour la mixité sociale à l’École.
L’amélioration structurelle, préalable indispensable à la transformation culturelle
Si la question des effectifs est une clé pour faire évoluer les pratiques et la cultures scolaires, la question des contenus scolaires devra également être interrogée. Pourquoi ne pas introduire de la philosophie pour tous qui incite à la culture du débat, de l’oral, de l’esprit critique et libre – autant de compétences essentielles dans une société où décrypter l’information, s’interroger pour quitter les certitudes figées. (Re)Donner du pouvoir réel et symbolique au verbe dans l’école ne pourrait-il pas désamorcer les violences, ou simplement induire des «oasis de pensée», d’arrêter la course des programmes et évaluations?
Une deuxième transformation culturelle de l’École serait d’introduire des savoirs pratiques au collège pour tous les élèves. La société de deux-main ne peut exclure le faire. Faire école, faire société, c’est être et faire ensemble, c’est cultiver tous les talents et les déhiérarchiser. Valoriser les métiers manuels, c’est commencer par les valoriser à l’école, sans distinction avec les autres compétences. La hiérarchie scolaire ne préfigure-t-elle pas la hiérarchie sociale et donc le regard social ?
Si la volonté politique est déterminante, l’adhésion de la société tout entière à un projet éducatif global est indispensable à sa mise en œuvre tant l’éducation est au cœur de la société.
Une méthode comme des objectifs de long terme semblent nécessaires pour construire une politique éducative qui ne soit pas détricotée par le jeu des alternances politiques. Une vision politique partagée largement par la société est urgente pour redonner du sens et confiance dans l’École publique et apporter un cap durable, nécessaire pour transformer et porter les réformes éducatives. La recherche ne devrait-elle pas éclairer les politiques éducatives?
Djéhanne Gani