Dans un rapport sur la loi de finances 2024 réalisé pour la Commission des Finances du Sénat, Olivier Paccaud, sénateur Les Républicains alerte sur les démissions des professeurs. « Si le nombre de démissions demeure très marginal chez les enseignants, la tendance à l’œuvre doit véritablement constituer un signal d’alarme. En 2021-2022, dernière année pour laquelle les données sont disponibles, on comptait 2 836 enseignants démissionnaires, soit 0,4 % des enseignants. Ainsi, en dix ans, le taux de démission des enseignants a augmenté de 0,34 %, soit une progression de près de 700 points ». Rémi Mauvoisin est un de ces chiffres. En 2021, il a démissionné de l’Éducation nationale après 13 ans d’enseignement. Son dernier poste, c’était à Paris dans un collège REP+, il y est resté 7 ans. Deux ans après sa démission, Rémi confie au Café pédagogique les raisons qui l’ont conduit à cette décision et témoigne des difficultés qu’il a rencontré pour obtenir une rupture conventionnelle. Il débute l’entretien par cette question : « alors par où commencer ?… ».
Un faisceau de facteurs, personnels, professionnels et politiques
Deux ans après sa démission, Rémi Mauvoisin ne regrette rien, alors qu’il a été un professeur très investi dans son établissement, professeur principal, à l’initiative de projets innovants, en charge de l’informatique, des tablettes, membre du CA, cumulant toutes les fonctions et missions possibles au service des élèves.
L’idée de la démission lui est venue avant le Covid, en 2018. Rémi évoque des facteurs différents, parmi eux se distingue le rejet de l’administration, des réformes et d’un système incarné par la DHG en baisse chaque année malgré des projets pédagogiques qu’il a notamment mis en œuvre avec ses collègues de sciences. « On a tout fait, innovation pédagogiques avec d’excellents résultats, moins d’heures de cours pour privilégier les TP. Les élèves étaient plus investis, valorisés sur les activités pratiques. Mais chaque année, il fallait se battre, et la DHG était à chaque fois rognée. Ce qui m’a achevé, c’est de négocier la DHG au rectorat ».
Rémi évoque son insatisfaction des conditions de travail, en tant qu’enseignant d’abord, mais aussi en tant qu’enseignant de technologie : « J’avais aucunement envie de faire du cours magistral » avec les élèves, ce qui n’a pas de sens pour lui, puisque l’ADN de sa matière est l’activité pratique. Il dénonce le parti pris des réformes qui défendent l’apprentissage des fondamentaux « lire et écrire » au détriment d’autres apprentissages et compétences et particulièrement celles du FAIRE.
La dégradation des conditions de travail conjuguée à l’impossibilité de muter dans la région dont il est originaire, le sud-ouest, au vue de la barre d’entrée dans l’académie le convainquent de quitter l’Éducation nationale, « j’ai 35 ans et si je dois me barrer ; c’est maintenant ». Il appelle le rectorat. Et commencent ce que Rémi appelle la recherche du laisser passer A-38 (en référence à la BD « Les 12 travaux d’Astérix »), « en 2019, il fallait fonctionner comme en 1900 ».
Démissionner :le parcours du combattant
Dans son périple et sa recherche d’information, Rémi dit « être tombé sur des personnes vraiment bienveillantes », notamment lors de RDV avec les RH de proximité. Ainsi, on lui parle de la loi de la Refondation de la Fonction publique de 2019 qui lui permettrait d’obtenir une rupture conventionnelle et donc une indemnité. Dès lors, Rémi décide de démissionner dans ce cadre. « Tu présentes un projet de reconversion professionnelle et, en accord avec l’EN, signe une rupture conventionnelle qui donne droit à une indemnité de départ et une allocation chômage. » Il cherche une formation dans le cadre du projet mûri, en l’occurrence, il veut monter un fablab. Il trouve une formation de six mois qu’il paie.
Rémi souligne qu’il a eu la chance de bénéficier du soutien de sa direction pour la formation. Il a pu reporter des cours durant des heures de la formation en accord avec la direction avec qui il avait partagé son projet de départ et de reconversion.
Sa première demande de rupture conventionnelle en août 2020 a été refusée par le rectorat avec un mail lapidaire « nous ne donnons pas de suite favorable à votre demande de rupture conventionnelle» sans aucune autre explication. Il appelle la DRH, en vain. Il décide alors de se rendre dans son bureau, un mercredi matin « Je m’assois dans le secrétariat avec ma bouteille d’eau et mon bouquin, et j’attends. Je leur dis que je ne bougerai pas tant que je n’aurai pas de réponse. Je veux comprendre pourquoi mon dossier est refusé». Le lendemain, Rémi reçoit un courrier avec une explication au refus du dossier : sa discipline est « en tension ». Il s’insurge : cette situation n’est-elle pas le fruit de la suppression du CAPET de Technologie ? Dans ses 12 Travaux, Rémi assume « sa stratégie de l’emmerdeur, et celle de, ce sont eux qui vont craquer » pour obtenir gain de cause. Rémi obtient l’année suivante, à l’issue de sa formation la rupture conventionnelle et la somme de 10 380 euros, et l’ouverture aux droits du chômage, n’étant désormais plus fonctionnaire.
Un mot d’ordre : « ne rien s’interdire »
Il décrit son « flip au moment de la signature » du document. Surtout, quand on lui demande, mais pourquoi ne pas d’abord partir avec un statut de disponibilité, en lui parlant de sécurité de l’emploi. « Je n’avais plus envie d’être affilié à l’Éducation nationale. C’était un choix fort. J’avais besoin de la rupture conventionnelle pour l’indemnité et le chômage, et ainsi pouvoir me lancer dans mon nouveau projet de vie ».
Le chemin a été semé d’embûches, administratives d’abord, Rémi a dû s’acquitter de nombreuses démarches chronophages. Mais déterminé à écrire une nouvelle page, il ne cède pas au découragement. « Je savais que je ne ferai pas ce métier toute ma vie. Ma plus grande crainte, c’était d’avoir 30 élèves collés devant des ordinateurs.»
Rémi veut donc quitter « la machine », « le respect de la hiérarchie », du « ne pas faire de vagues » face à des orientations politiques qui suppriment les moyens, les personnels, les heures, pour agir pour leurs élèves. Pour Rémi, l’enseignement de la Technologie manque de pratique, mais il dénonce également le retard sur le code, l’informatique, la mise en place catastrophique du numérique, l’abandon des savoir-faire techniques. Hyper engagé dans son établissement, Rémi en a eu « marre du combat permanent, où on supporte facilement de vous donner toujours plus de travail, sans vous garantir de rétribution. C’était aussi mon cheval de bataille de toujours déclarer la moindre heure supplémentaire, car pour moi tout travail doit être notifié et payé ».
Un nouveau projet professionnel épanouissant
Rémi est aujourd’hui un heureux « ingénieur pédagogique » dans un fablab. « J’ai découvert ce que c’est de travailler normalement depuis que je ne suis plus prof. Je réalise maintenant que j’étais un taré de travail, ce qui est le cas pour tous les enseignants surinvestis. »
Dans le cadre de son nouveau métier, il y a un volet formation et animation. L’expérience de professeur lui est extrêmement bénéfique, par exemple dans la gestion de conflit, la mise en place d’atelier ou dans la vie collective. A présent, le public de Rémi est plus varié, ce qui lui plaît. Mais il ne cache pas que les TP, le contact avec les élèves, le fait de se sentir utile dans leur construction lui manquent. Il évoque ses élèves qui voulaient rester au collège le mercredi après-midi pour fabriquer ou aider à la vie du collège, « C’était hyper gratifiant. Cette reconnaissance des élèves et des parents, ça manque évidemment. »
Mais il décrit des meilleures conditions de travail « Tu n’as plus le brouhaha, le temps des récrés pris par les problèmes divers », « fini, les repas du midi où tu manges à la va-vite, fini le soir les appels aux parents, les copies, les cours ». « La vie, c’est cool quand tu travailles normalement, sans question en rentrant chez toi, à savoir si j’ai bien rempli le cahier de texte, si tel ou telle élève a bien rendu sa fiche d’orientation, si les parents ont bien signé l’information de sortie…».
Djéhanne Gani