Qu’est ce qui fonctionne dans les réformes gouvernementales depuis 2017 ? Pas grand chose si on en croit les deux rapports réalisés pour la loi de finances 2024, examinée en ce moment par le Sénat. Le nombre de démissions augmente et le métier d’enseignant est de moins en moins attractif. Le Pacte ne trouve pas le nombre attendus de signataires. Or cela plombe les réformes de l’école au lycée, car les missions du Pacte sont indispensables aux réformes. Quant à la réforme du LP, on cherche en vain son budget…
La crise d’attractivité s’aggrave
« Alors que le ministère présentait les résultats désastreux des concours (de recrutement d’enseignants) en 2022 comme étant liés à une année de transition du fait de la réforme de la formation initiale des enseignants, 2023 confirme le caractère structurel de ces difficultés », affirme Olivier Paccaud, sénateur Les Républicains, dans son rapport sur la loi de finances 2024 réalisé pour la Commission des Finances du Sénat. Il rappelle par exemple que, aux concours 2023, « dans le second degré, le taux de présents/poste était de 3,5 (47 909 présents pour 13 690 postes), contre 4,7 à la session 2021 (62 585 présents pour 13 390 postes). Dans le second degré, le nombre de postes non pourvus s’élevait à 2 070, ce qui représentait 15,1 % des postes offerts« .
Il y a pire : « si le nombre de démissions demeure très marginal chez les enseignants, la tendance à l’oeuvre doit véritablement constituer un signal d’alarme. En 2021-2022, dernière année pour laquelle les données sont disponibles, on comptait 2 836 enseignants démissionnaires, soit 0,4 % des enseignants. Ainsi, en dix ans, le taux de démission des enseignants a augmenté de 0,34 %, soit une progression de près de 700 points« . On notera la forte hausse du taux de démissions chez les titulaires ayant plus de 5 anciennetés. Conséquence de ces deux évolutions : la part des contractuels augmente : 17% des enseignants en 2015, 19% en 2022.
La promesse de revalorisation n’est pas tenue
Il y a des raisons à cela et O Paccaud n’hésite pas à aborder les salaires. Et là le bilan est vite fait : « Le Président de la République avait promis une hausse de rémunération de 10 % pour tous les enseignants. En réalité, la hausse globale du point d’indice compte pour une bonne part de cette augmentation, et concerne surtout les débuts de carrière. Sans intégrer les effets du Pacte enseignant, le gain de rémunération qui résulte depuis septembre 2022 des hausses cumulées du point d’indice, des indemnités statutaires et de la prime d’attractivité est compris entre 9 % et 12 % sur les huit premières années, puis s’établit entre 4 % et 5,5 % pour la suite de la carrière d’un professeur des écoles. Pour un enseignant certifié ou agrégé, le gain au cours des 11 premières années de carrière est compris entre 11 % et 12 %, puis descend également en dessous de 5 % (jusqu’à 3,7 % pour un enseignant agrégé en fin de carrière). Par ailleurs, la forte inflation constatée en 2022 et 2023 a contribué à éroder l’impact de ces efforts budgétaires« . La revalorisation promise n’a pas eu lieu.
« Il est certain que la dégradation des conditions d’exercice du métier d’enseignant, le climat scolaire de plus en plus tendu et dans lequel la pression sur les professeurs se fait toujours plus sentir, ainsi que les enjeux de reconnaissance de leur métier par la société, pèsent sur le manque d’attractivité des concours enseignants« , explique O Paccaud. « Mais il ne faut pas méconnaître le poids du facteur salarial dans cette désaffection. Ainsi, d’après les dernières études de la DEPP, 55 % des enseignants du premier degré et 60 % de ceux du second degré mentionnent le pouvoir d’achat comme l’un des trois aspects les plus problématiques de leur métier. Cette proportion est encore accentuée pour les enseignants en milieu de carrière« .
L’échec du Pacte plombe les réformes
Quant au Pacte, qualifié par O. Paccaud de « revalorisation en trompe l’œil« , il ne trouve pas son public. « Les premiers chiffres d’adhésion datent de la fin septembre 2023 : parmi l’ensemble des établissements répondant à l’enquête ministérielle, 109 787 enseignants envisageraient de s’engager dans le Pacte, soit près de 25 % de la population éligible considérée. Ce taux monte à 33 % en collège et en lycée professionnel. Leur engagement représenterait 181 102 « briques » de pacte, soit 1,65 mission par personne en moyenne. En conséquence, le nombre moyen de missions serait inférieur à celui anticipé : moins d’enseignants que ce qui était espéré par le ministère souscriraient un « Pacte complet ». » Le rapporteur de la loi de Finances souligne que « avec 628 millions d’euros, les crédits prévus pour le Pacte enseignant en 2024 sont inférieurs à ceux envisagés par le ministère l’année précédente. En PLF 2023, le ministère indiquait que le coût du Pacte en année pleine serait de 900 millions d’euros. Cette ambition a donc été rabattue de près d’un tiers« .
L’échec du Pacte est aussi celui des réformes. Car des pans entiers des réformes de l’école, du collège, du lycée et du LP reposent sur des missions du Pacte. C’est aussi ce que relève Jacques Grosperrin (L.R. également), pourtant globalement favorable au budget présenté, dans son rapport pour la Commission de l’éducation du Sénat. « De nombreuses annonces du Président de la République ainsi que du ministre de l’éducation nationale dépendent de l’adhésion au pacte. C’est le cas de l’objectif d’une meilleure maitrise des savoirs fondamentaux – notamment portée par les stages de réussite, la généralisation de « Devoirs faits » ou encore l’heure de soutien ou d’approfondissement en sixième –, de la volonté de diminuer le nombre « d’heures perdues » pour non-remplacement, ou encore de la réforme du lycée professionnel« , écrit-il.
L’échec des dédoublements
Jacques Grosperrin met en doute l’efficacité de la dépense éducative au regard des résultats « mitigés » aux évaluations. Ainsi dans le premier degré, « derrière le satisfecit gouvernemental, des questions se posent : tous secteurs de scolarisation confondus, la DEPP observe dans les évaluations de CE1 une légère baisse globale des résultats en français par rapport à 2019. Celle-ci est plus fortement marquée dans la compréhension d’un texte lu seul, la compréhension écrite de phrase et la lecture à voix haute de mots. Par ailleurs, si le ministre se félicite d’un écart qui se stabilise en CE1 entre élèves scolarisés en éducation prioritaire et ceux scolarisés hors éducation prioritaire, le rapporteur note pour sa part que deux années en classe dédoublée (en grande section, et en CP), n’ont pas permis une réduction de celui-ci« .
Le coût caché de la réforme des lycées professionnels
Même la réforme de la voie professionnelle, qui emprunte beaucoup à la droite, ne trouve pas grâce aux yeux du rapporteur de la Commission des Finances. Alors que le ministère annonce consacrer un milliard à la réforme, O Paccaud ne confirme pas cette somme. « Le ministère de l’Éducation nationale met en avant un coût total de la réforme d’un milliard d’euros annuel à compter de 2024. Il est cependant difficile de confirmer ce chiffre, les crédits étant partagés entre a minima six missions budgétaires« , écrit-il. « Le coût « visible » de la réforme est d’environ 400 millions d’euros par an pour le ministère de l’Éducation nationale. Ainsi, ce montant est-il prévu pour l’année 2024 au titre de la gratification versée aux lycéens professionnels pendant leur période de stage, dont 323 millions d’euros consacrés aux lycéens professionnels de l’enseignement public et 77 millions d’euros dans l’enseignement privé sous contrat. S’y ajoutent 10 millions d’euros destinés à financer les modules optionnels des lycées situés en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV). Ces modules seront assurés par des intervenants extérieurs à compter de la rentrée 2023« .
Le rapporteur s’oppose aussi à la réforme des PIAL qui doivent disparaitre au profit des PAS. Pour lui, ce changement majeur dans l’organisation de l’école inclusive ne relève pas du domaine d’une loi de finances. Il faudrait une loi spéciale. Si, en commission, malgré ces remarques, le budget de l’Education nationale a été adopté, les sénateurs ont rejeté, comme les députés, l’article 53 qui met en place les PAS.
François Jarraud