Claire Lommé, professeure de mathématiques en collège jusqu’en juillet dernier, est aujourd’hui coordinatrice ULIS. Elle partage son expérience avec les lecteurs et lectrices du Café pédagogique. Aujourd’hui, elle évoque sa formation au certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive.
En tant que coordinatrice ULIS débutante, avec presque 30 années de prof de maths derrière moi, je dois m’adapter : m’adapter à un nouvel établissement, un nouveau métier, au rythme d’alternance classe-formation à l’INSPE, par exemple. Je prépare le CAPPEI (certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive), et ce n’est pas facile. C’est une certification exigeante, dont la passation est, aux dire de toutes et tous, une certaine forme d’essoreuse, dans la durée, l’investissement intellectuel nécessaire et l’intensité. J’ai passé plusieurs certifications déjà, comme la DNL, le CAFFA, et Passeur en éducation. Mais là, cette fois, l’enjeu est différent : il conditionne vraiment la suite. Sans le CAPPEI, je ne pourrai pas me fixer dans un lieu d’enseignement spécialisé et choisir la suite de ma carrière, de mes postes. C’est vraiment très important pour moi. Et puis en plus, quand je m’engage dans un projet, c’est a priori pour qu’il aboutisse.
Ma façon de m’adapter à cette situation, c’est de travailler dur et de réfléchir beaucoup. Je suis bien accompagnée : de mes formateurs à l’INSPE à ma tutrice terrain, des formateurs de l’inspection académique qui viennent en visite dans ma classe à mon mari coordo, des super collègues en formation avec moi à mes collègues au collège, des élèves mêmes aux enseignants chercheurs avec qui je collabore ou que je lis, je collecte regards, remarques, conseils, critiques, encouragements avec attention. Et là se joue quelque chose de très important : je dois faire preuve de cette fameuse réflexivité tellement importante dans notre métier. Je dois écouter, ouvrir mon esprit au maximum en enjambant mes propres résistances (parce que j’ai peur de devoir changer, de mal faire ou d’échouer, parce que je suis fatiguée à ce moment-là et que changer implique encore du boulot supplémentaire, etc.), et mettre tout ce que je recueille à ma sauce. Je dois adapter ce qui m’est donné pour réussir à m’adapter en même temps à mes élèves, aux attendus du référentiel de compétences de l’enseignant et de l’enseignant spécialisé, et aux attendus du CAPPEI.
Ça en fait, des choses, dans ma tête, croyez-moi…
La semaine prochaine, je repars en formation à l’INSPE, justement, pour trois nouvelles semaines. La perspective de quitter la classe est compliquée : je suis en plein dans les projets de l’année, j’ai l’impression de progresser mais j’ai besoin de temps sur le terrain, je vois les progrès des élèves. Mais je vais être remplacée, et je sais que ces jeunes vont continuer de travailler dans le même sens. Et puis, en même temps que partir est difficile, retrouver mes chères études est nécessaire et j’en suis aussi impatiente : après la première période en classe, j’avais posé mes valises et déjà bien travaillé, mais je n’étais pas satisfaite. Les trois semaines de formation qui ont suivi m’ont nourrie, consciemment mais aussi inconsciemment. Revenue en classe, forte de ce temps de formation qui m’avait trans-formée, j’ai changé mes pratiques, l’organisation de ma semaine et des séances. J’en suis vraiment beaucoup plus satisfaite et les effets sont mesurables sur les savoirs et les compétences des élèves. Mais aujourd’hui, je sais que je dois encore m’adapter davantage. Tout ceci est plus construit, dans mon esprit : qui je suis en tant qu’enseignante spécialisée, ce qu’on attend de moi, ce que je dois améliorer.
Ma focale, c’est que je dois m’adapter à mieux adapter pour les élèves. C’est un des cœurs de la mission de l’enseignant spécialisé, l’adaptation. Je dois rendre accessibles les apprentissages à toutes et tous, chacun et chacune. J’essaie de viser l’accessibilité universelle en travaillant les tâches pour que personne ne soit laissé sur le côté, que tout le monde puisse aller le plus loin possible et partage une culture scolaire commune. Je m’y emploie, mais c’est un exercice très délicat, voire franchement périlleux : il me faut anticiper en réfléchissant aux adaptations possibles, potentiellement efficaces, sans qu’elles soient artificielles. Mais je dois également veiller à ne pas enfermer des élèves dans des stéréotypes, à ouvrir le champ des possibles sans rien limiter. Je dois apprendre à adapter sur-le-champ, en classe, devant un obstacle rencontré, et cela demande d’avoir cogité très sérieusement avant, tout en restant souple et réactive. Et pour adapter efficacement, il faut étudier absolument tout ce qui est possible : il ne suffit pas d’un interligne accru ou de matériel de manipulation, pour rendre accessible. L’équipement, le matériel jouent. Mais ce sont les gestes professionnels, les pratiques, le choix des supports, des mots, qui comptent le plus.
Pfiou. Pas facile. Pas facile, pas reposant, pas confortable, mais motivant, excitant, et tellement riche ! Et puis même si j’obtiens le CAPPEI, je n’aurai pas fini d’apprendre. C’est un long cheminement, cette aventure dans laquelle je me suis engagée. Pas une seule seconde je ne regrette mon choix.
Je vous laisse, j’ai du boulot.
Claire Lommé