Le redoublement est-il réellement inefficace ? La recherche est plus nuancée que ce que l’on dit souvent. Mais la question dépasse largement les chercheurs. Et le redoublement est aussi une question sociale, politique et même budgétaire. Alors qu’a à gagner Gabriel Attal en remettant en question la quasi-disparition du redoublement ? Et qu’a-t-il à y perdre…
G. Attal et JM Blanquer : des propos pour ne rien faire
« Il faut revoir le tabou du redoublement« . S’exprimant devant les maires réunis en congrès le 22 novembre, le ministre de l’Education nationale remet le redoublement au programme des mesures qu’il annoncera le 5 décembre. Le redoublement rejoint donc d’autres « tabous » que le ministre veut dénoncer, comme les classes de niveau ou la formation des enseignants.
A vrai dire, le redoublement est tout sauf un tabou. Certes, la loi d’orientation de 2013 l’a rendu « exceptionnel » et un décret de 2014 l’a réduit aux seuls cas où il peut « pallier une rupture importante des apprentissages scolaires« , comme une période de maladie par exemple. En 2018, à la demande expresse de JM Blanquer, un décret est revenu sur cette limitation. Dans le premier degré, « À titre exceptionnel, dans le cas où le dispositif d’accompagnement pédagogique mentionné au premier alinéa n’a pas permis de pallier les difficultés importantes d’apprentissage rencontrées par l’élève, un redoublement peut être proposé par le conseil des maîtres. Cette proposition fait l’objet d’un dialogue préalable avec les représentants légaux de l’élève et d’un avis de l’inspecteur de l’éducation nationale chargé de la circonscription du premier degré« . Dans le second degré c’est le chef d’établissement qui tient la décision du redoublement après un dialogue avec la famille. Ce n’est pas par hasard que JM Blanquer, tout en mettant en avant les bienfaits du redoublement, a encadré la pratique par la hiérarchie de l’Education nationale.
Car aujourd’hui, malgré le décret Blanquer, le redoublement est devenu très rare sauf dans les années d’orientation comme en 3ème, 2de et terminale. Le taux de redoublement en 6ème était de presque 10% en 2000. Il a atteint 5% en 2009 et moins de 1% dès 2016 et s’y maintient depuis. Le taux de redoublement en 3ème est passé de 7% en 2000 à 3.5% en 2011 pour atteindre 2.2% en 2016 et y rester jusqu’en 2022. Les propos et le décret de JM Blanquer n’ont absolument rien changé au taux de redoublement dont la chute était entamée dès le début du siècle et s’est accélérée sous N. Vallaud-Belkacem.
Que dit vraiment la recherche ?
Le redoublement n’a pas toujours existé. Les travaux de J. Krop montrent qu’il s’est répandu avec l’école publique de la IIIème République dont il est devenu un des piliers. Il a été remis en question notamment par les évaluations internationales. Pisa, dont les résultats seront rendus le 5 décembre, a mis en évidence le lien entre pratique du redoublement et mauvaise efficacité des systèmes scolaires.
Que dit la recherche ? En 2014, la Depp relevait que la chute du taux de redoublement ne s’était pas accompagnée d’une baisse du niveau. En 2015, dans une remarquable étude, le Cnesco avait fait un point négatif sur le redoublement. « Dans la majorité des études, le redoublement n’a pas d’effet sur les performances scolaires à long terme« , écrivait le Cnesco. « Quelques études obtiennent des effets positifs à court terme dans des contextes très particuliers (notamment lorsque le redoublement est accompagné d’autres dispositifs de remédiation comme des écoles d’été). Le redoublement a par contre toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage. Il semble également impacter négativement le revenu futur du jeune adulte en agissant comme un signal de faible performance du salarié pour les entreprises« .
Dans plusieurs travaux, Hugues Draelants a fortement nuancé cette conclusion. En 2018, il apporte des nuances. « Dans le monde de la recherche en éducation, l’idée que le redoublement est une pratique globalement négative s’est largement imposée suite à un certain nombre de synthèses, déjà anciennes, de la littérature de recherche américaine sur la question« , dit-il. « Le ré-examen de cette littérature montre que ses conclusions qui aboutissent à la dénonciation pédagogique du redoublement sont fondées sur des études méthodologiquement fragiles et des méta-analyses qui tendent à occulter les débats au sein de la communauté scientifique sur les effets du redoublement. Par ailleurs, les résultats des recherches plus récentes qui utilisent des méthodologies beaucoup plus sophistiquées montrent que les études antérieures ont sous-estimé les effets positifs du redoublement. Si les résultats des recherches scientifiques actuelles sont nettement plus favorables au redoublement, il reste néanmoins impossible dans l’état actuel des connaissances de départager de manière incontestable le redoublement et le passage automatique de classe« . Dans une synthèse réalisée pour la FCPE il écrit que » Il nous semble important d’arrêter de prétendre que la Science détient la vérité sur le sujet et qu’elle plaide de manière unanime pour le passage obligatoire plutôt que pour le redoublement… Le choix consistant à privilégier l’un ou l’autre doit donc fonder pour l’instant sa légitimité sur des bases autres que scientifiques, en l’occurrence des bases politiques« .
En 2019, une nouvelle synthèse dirigée par Benoit Galand, Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet et Christian Monseur (université catholique de Louvain et Université de Liège) tranche sur les effets négatifs du redoublement. Elle établit à partir de Pisa, qu’il y a un lien « négatif assez faible » entre les taux de redoublement et les performances moyennes des systèmes éducatifs. Conclusion : « un système éducatif encourt-il un risque de voir ses performances diminuer, comme on l’entend souvent affirmer par ceux qui agitent le spectre de la baisse de niveau ? La réponse est clairement non. Les exemples sont nombreux de systèmes éducatifs où le redoublement est rare et qui atteignent un excellent niveau de performances dans PIRLS et PISA« . Par contre les auteurs observent un lien fort entre la pratique du redoublement et des systèmes éducatifs inégaux socialement. « Le redoublement amplifie les écarts de performances en fonction de l’origine sociale… Le redoublement creuse aussi les inégalités entre écoles…. Si le redoublement ne crée pas les différences entre écoles, il participe d’une logique de séparation ou de tri qui est à l’origine des différences entre écoles… Un recours plus fréquent au redoublement s’accompagne ainsi d’une exacerbation des différences entre écoles et d’une homogénéisation des élèves à l’intérieur des écoles« .
C’est sur la dimension politique que Hugues Draelants met l’accent en 2022 dans un Cahier du Giresef signé avec Caroline De Pascale. « Comment tendre vers un usage réflexif du redoublement quand les acteurs de terrain ne se retrouvent pas dans ce que la recherche avance, quand les recommandations de réduction des taux de retard scolaire sont sans cesse trop vagues, quand la recherche elle-même ne prend pas au sérieux les expériences et savoirs professionnels des enseignants, quand elle établit une hiérarchie entre savoirs savants (sensés plus justes) et savoirs de terrain au mépris des résultats contradictoires de la recherche sur les effets du redoublement ? ».
Le redoublement est populaire
Parce que ce qui ne fait pas de doute c’est la popularité du redoublement auprès des parents et de nombreux enseignants. En 2015, le Cnesco a pris l’initiative d’interroger 3302 collégiens et 2314 lycéens venus de 59 établissements sur leur rapport au redoublement. Selon cette étude, 69% des lycéens et collégiens se déclarent défavorables à la suppression du redoublement. Mais 80% voient dans le redoublement une seconde chance. 73% le jugent utile. Les redoublants gardent le souvenir positif d’une année d’efforts. » 67 % des redoublants déclarent s’être plus investis dans leur travail l’année de leur redoublement ; 71 % des lycéens et collégiens sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’affirmation : « J’ai eu de meilleurs résultats l’année redoublée » », affirme l’étude. Un sondage de l’Apel de 2012 montre qu’une minorité de parents le juge négatif (41%). C’est que le redoublement entre aussi dans les stratégies d’orientation familiale. Et c’est ce qui explique son maintien à des taux plus élevés les années d’orientation. Redoubler peut éviter d’être orienté dans le professionnel en fin de 3ème ou dans le technologique en fin de 2de.
La même année, du coté des enseignants, Hugues Draelants étudie de près le rapport qu’entretiennent les enseignants belges au redoublement. Pour lui, s’il se maintient contre vents et marées, c’est tout simplement parce qu’il a son utilité. « Le redoublement fait l’objet d’un attachement social important et est une pratique difficile à abolir« , écrit-il. « D’une part, car nombre d’acteurs scolaires continuent à croire dans son efficacité. D’autre part, peut-être plus fondamentalement, car le redoublement servait et sert toujours en Communauté française belge (là où il n’est pas interdit) à assumer une série de fonctions latentes« . Il en distingue quatre : « une fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements ; une fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe ; une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants« . « En l’absence du redoublement, les enseignants se plaignent du défaut de motivation induit auprès des élèves, il devient (encore plus) difficile de les faire travailler« , écrit-il. « L’interdiction du redoublement au sein du premier cycle participe de fait avec d’autres mesures à priver les établissements et les enseignants de leurs instruments de régulation ordinaire… Ainsi, l’attachement manifesté par les enseignants vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être« . S’ajoute à cela son effet sur l’emploi. Maintenir le taux de redoublants peut être une façon de maintenir les postes en Belgique.
Mais le redoublement coûte cher…
Mais pas en France où le décret de 2018 donne à la hiérarchie la main sur le redoublement. C’est que le redoublement est aussi, ou peut-être même surtout, une question budgétaire. Une note de l’Institut des politiques publiques (IPP) de 2015 , réalisée par J Grenet et A Benhenda à la demande du Cnesco, a calculé le gain de la baisse du taux de redoublement. En 2015, selon l’IPP, le redoublement coûtait 2 milliards, 400 millions dans le premier degré, 600 au collège et 1 milliard au lycée. Ce coût correspond aux emplois d’enseignants nécessaires pour accueillir les 3% d’élèves redoublants. Sa suppression rapporte plus de 200 millions dès 2017. Et les deux milliards calculés par l’IPP sont attendus en 2027.
“Il n’est pas normal d’interdire le redoublement. Il y a quelque chose d’absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant les retards », avait dit JM Blanquer en 2017. C’est à peu près ce que redit G. Attal 6 ans plus tard. Mais JM Blanquer s’est bien gardé de limiter la baisse du redoublement. Si l’on en juge par le budget 2024 et la loi de programmation 2023-2027, G. Attal fera de même. Cette dernière loi prévoit la stabilisation du budget de l’éducation nationale et du nombre global de fonctionnaires d’ici la fin du quinquennat. Sur cette question, comme sur d’autres, comme la réforme de la formation des enseignants, le ministre dit le contraire de ce qu’annonce son budget. Cette annonce sert de paravent à la vraie question qui pourrait se poser : comment utiliser l’argent économisé par la baisse du taux de redoublements ?
Comment faire pour s’en passer ?
S’il est clair que le redoublement n’apporte pas de réponse aux difficultés scolaires de certains élèves, sa suppression ne résout pas plus le problème. Dans de nombreux pays où le redoublement a disparu, les établissements ont développé des alternatives. Selon le Cnesco, en 2015, “la quasi-totalité des pays européens offre aux élèves la possibilité de passer des épreuves supplémentaires (écrites et/ou orales selon le pays) en fin d’année scolaire pour rattraper les cours pour lesquels les notes ont été jugées trop faibles par l’équipe enseignante. Ce type d’organisation limite l’incidence d’un “accident de parcours” et corrige le caractère aléatoire de certaines évaluations.” D’autres pays, comme l’Allemagne ou l’Espagne, pratiquent la promotion conditionnelle. L’élève passe en classe supérieure mais doit suivre un programme de rattrapage dans la matière où ses résultats sont insuffisants. En Italie, on a créé des écoles d’été pour les élèves ayant de mauvais résultats. Dans les bonnes pratiques qui permettent d’éviter l’échec et le redoublement, le Cnesco n’hésite pas à citer les classes à effectifs réduits. “Les classes à effectifs réduits peuvent permettre aux enseignants de modifier leur pédagogie en consacrant davantage de temps, d’attention à chaque élève”. Le Cnesco cible aussi d’autres outils pour faire baiser le redoublement. Par exemple le looping : garder le même enseignant plusieurs années facilite l’intégration de tous les élèves et améliore la gestion de la différence dans la classe. L’organisation des programmes en cycles, et non sur une base annuelle, fait également reculer le redoublement.
Une question avant tout politique
Finalement le redoublement reste une pratique sociale et politique. Selon H Draelants, « le choix consistant à privilégier l’un ou l’autre (le redoublement ou le passage automatique) doit donc fonder pour l’instant sa légitimité sur des bases autres que scientifiques, en l’occurrence des bases politiques et assumer ainsi le fait que cette question relève aussi et peut-être avant tout d’un débat idéologique autour du type d’école que nous souhaitons pour nos enfants. Une école demeurant sélective, mêmes dans les petites classes, ou une école assumant clairement la mise entre parenthèse de la logique méritocratique dont le redoublement reste un symbole fort ? »
Une analyse qui explique peut-être les propos de JM Blanquer et leur répétition par G. Attal. Aucun ministre de l’Education nationale n’a les moyens de revenir sur la gestion actuelle des redoublements et leur quasi-disparition. Par contre, agiter ce hochet est un signal envoyé à l’électorat des classes moyennes. Avec le redoublement et les « tabous » du 5 décembre, G Attal parle davantage en porte parole du gouvernement qu’en ministre de l’Education nationale.
François Jarraud
Sur la décision de JM Blanquer
Que sait-on du redoublement (en 2017) ?