Christian Sauce, enseignant en lycée professionnel pendant plus de trente ans, se voit comme un « lanceur d’alerte ». Depuis plusieurs années, il sensibilise les enseignants sur ce qui se joue dans l’enseignement professionnel et l’apprentissage. Aujourd’hui, il livre aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique son analyse des liens entre apprentissage et accident de travail.
Personne n’a pu échapper au bilan quantitatif de l’apprentissage. Il est parfaitement résumé dans un article de Ouest-France (03/03/2023) : « Un million d’apprentis par an. L’objectif fixé au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron paraissait presque irréaliste. La France s’en rapproche pourtant à grands pas : fin décembre 2022, on comptait 980.000 apprentis, un effectif en hausse de 14 % sur un an. C’est plus du double du niveau de 2017. » Certes, des mauvaises langues vous diront que ce bilan chiffré est loin d’être surprenant puisque cette main d’œuvre est quasi gratuite pour les employeurs la première année du contrat, ce qui génère d’ailleurs un certain nombre de dérives ! Mais ne pinaillons pas : la France est très proche du million d’apprentis !
Mais qui parle d’apprentis parle de travailleurs, de salariés et non pas d’élèves en formation en lycées professionnels puis en stages en entreprises pendant un nombre conséquent de semaines. L’apprenti en formation est sous la responsabilité d’un chef d’entreprise, l’élève et stagiaire de lycée professionnel est sous celle de l’Éducation nationale et de ses représentants dans l’établissement où il est affecté. Cela change tout !
L’apprenti recruté se retrouve le plus souvent en entreprises avec les mêmes conditions de travail que les salariés en CDD/CDI de ladite entreprise. Certes, il doit bénéficier légalement d’un maître d’apprentissage mais c’est très loin d’être le cas. En moyenne, 27 % des apprentis n’ont pas de tuteurs dont 38 % en CAP pour des jeunes de 15/18 ans (source : L’étudiant) ! C’est inadmissible, d’autant plus que tous les employeurs perçoivent des aides publiques pour recruter des apprentis. Et malheureusement, ce qui doit arriver arrive : des milliers de jeunes sont victimes d’accidents du travail dont certains extrêmement graves ! Entrons dans le détail grâce aux organismes qui recensent ces accidents !
En ce qui concerne la sinistralité des apprentis hors secteur agricole, c’est L’Assurance Maladie. Pour l’année 2021, elle en recense 15966 : 12094 accidents du travail (AT) et 3872 accidents de trajet (ATT). Ils ont entraîné la perte de 563.883 journées de travail, ce qui signifie qu’il ne s’agit pas de simples bobos. Pour l’année 2020, année Covid : 12.328 (9;503 AT, 2.825 ATT). Pour 2019 : 13.411 (10.301 AT, 3.110 ATT). Soit 31.898 accidents du travail et 9.807 accidents de trajet en 3 ans ! Le plus grave est qu’ils ont provoqué la mort de 39 apprentis : 10 en entreprises, 29 sur le trajet pour aller au travail !
En ce qui concerne le secteur agricole, c’est la MSA qui recense la sinistralité au travail des apprentis. Nous disposons de statistiques pour la période 2012 – 2016 : 3.180 accidents d’apprentis agricoles (2.800 AT, 380 ATT). Ils ont entraîné la mort de 22 apprentis !
La formation par apprentissage, qualifiée d’excellente et de voie royale par de nombreux adultes, blesse gravement des milliers de nos adolescents et en tue une quinzaine par an. Dans l’indifférence quasi générale. Pire, cela s’aggrave avec l’augmentation constante du nombre d’apprentis :+ 17,5 % d’accidents du travail et + 24,5 % d’accidents de trajet entre 2019 et 2021(hors secteur agricole). Preuve que tout le monde se moque du qualitatif ! L’important est de faire du chiffre. Il est même envisagé d’abaisser à 17 ans l’âge d’obtention du permis de conduire pour pouvoir exploiter encore plus tôt cette main d’œuvre gratuite !
Pour conclure, je m’adresse à tous les personnels de l’Éducation nationale. Certains sont très favorables à l’idée d’ouvrir des sections d’apprentissage (souvent concurrentielles) dans les lycées professionnels. A l’avenir, pensez à ces quelques titres de la presse avant de décider de ce qui est bon pour les enfants des autres : « Dans l’Aude, un apprenti boulanger a eu la main écrasée dans une machine à 5 h du matin » ; « Un apprenti de 18 ans sérieusement blessé dans un atelier de métallerie à Saint-André de Cubzac » ; « Nanterre : un jeune apprenti (15 ans) brûlé dans un accident du travail » ; « Rive-de-Gier : le bras d’un jeune apprenti boucher happé par une broyeuse » ; « Albiac : la main d’un apprenti agricole de 17 ans prise dans un semoir » ; « Isère : un apprenti de 16 ans dans un état grave après une chute de 8 mètres sur un chantier » ; « Biscarrosse : coincé sous un engin de levage, l’apprenti forestier de 20 ans est décédé » ; « Saint-Phal : un apprenti bûcheron de 17 ans est décédé. Une branche de 10 mètres de long lui est tombée sur la tête »; « Cher : un apprenti meurt dans un accident de tracteur. » !
Christian Sauce
Pour information : la sinistralité des 630.000 élèves et stagiaires des lycées professionnels et des EREA est très faible. 129 accidents du travail en 2021, 31 accidents de trajet. 0 décès !