Que faut-il faire pour améliorer le bien-être des enseignants et des élèves dans les écoles et établissements ? Est-ce un problème systémique ou d’établissement ? Le Cnesco réunit les 21 et 22 novembre une conférence de comparaisons internationales, dont le Café pédagogique est partenaire, sur le bien-être à l’Ecole. Si l’objectif semble admis par tout le monde, G. Attal promettant même « le bonheur » à l’école, la recherche est loin d’être unanime sur le chemin. A l’OCDE et la Finlande qui mettent en avant des réformes de système, B. Galand répond en montrant à quel point la mise en œuvre est difficile. Une seule certitude à la fin de cette première journée : le problème est particulièrement grave en France. Le Cnesco poursuit l’enquête aujourd’hui…
Le constat échappe à G. Attal
Commençons par le constat. Marie-Noël Vercambre-Jacquot, de la Fondation d’entreprise pour la santé publique, publie les résultats de l’enquête internationale i-Best (11 pays). La France et la Belgique se distinguent par un mal-être enseignant particulièrement élevé, la moitié des professeurs manifestant de l’angoisse ou étant dépressif. Les enseignants français déclarent le plus que qu’ils se sentent dévalorisés dans la société et par la hiérarchie et d’être laissés à l’écart des décisions. Ils sont particulièrement insatisfaits de leur salaire, des possibilités d’évolution et de formation.
Une situation qui ne semble pas perçue par Gabriel Attal. Le ministre est venu en personne ouvrir la conférence du Cnesco… pour y développer le thème du bonheur. « Le premier objectif de la politique c’est de créer les conditions du bonheur dans le société« , explique-t-il. « C’est le cœur du projet de l’école. Je revendique pas seulement le bien-être à l’Ecole mais le bonheur à l’Ecole« .
La ségrégation scolaire est l’ennemi du bien-être
Prenons-le au mot. Comment établir ce bien-être ? Deux interventions mettent en avant des réponses systémiques qui ne vont pas toujours satisfaire le ministre. Ruochen Li, de l’OCDE, montre, à partir de Talis et Pisa, que la satisfaction des enseignants est liée au type d’établissement où ils travaillent. Les professeurs qui travaillent dans des établissements à recrutement privilégié montrent un plus haut niveau de satisfaction que les autres. La répartition des élèves et des enseignants, deux données systémiques, influent donc sur le bien-être. R. Li en tirent deux conclusions où il ne cite pas la France même si elle est clairement visée. La première c’est que les systèmes éducatifs ségrégatifs génèrent davantage de mal-être enseignant sans améliorer les résultats des élèves. La comparaison entre la Lettonie et la Finlande, deux pays nordiques, établit cela nettement. Seconde conclusion : affecter les enseignants inexpérimentés dans les établissements difficiles, une particularité que la France partage avec quelques autres pays développés, génère du mal-être. Pour réduire le mal-être enseignant, on peut jouer sur l’affectation des élèves et des enseignants, suggère R. Li. G. Attal envisage d’augmenter la ségrégation scolaire en créant des classes de niveau. Quant à changer le mode d’affectation des enseignants cela ne serait possible qu’à travers des aménagements de carrière qui semblent inatteignables…
L’école gratuite gage du bien-être ?
C’est l’exemple finlandais que Kirsi Pyhältö, de l’université d’Helsinki, met en avant pour sa réussite sur le terrain du bien-être à l’école. Pour elle le bien-être impacte à la fois les résultats des élèves et le sentiment de satisfaction des enseignants. Et il peut être renforcé par une approche systémique associant des éléments pratiques et pédagogiques. Sur le plan pédagogique, cela passe par une pédagogie coopérative promouvant les interactions sociales et la sécurité socio-émotionnelle des élèves, ce qu’on ose à peine évoquer en France par le mot « bienveillance ». Le versant pratique c’est une école où la scolarité est réellement gratuite (y compris les transports, la cantine, le matériel d’apprentissage). Et où l’élève a un accès facile à de l’aide : psychologues, infirmières, enseignants spécialisés et assistants sociaux font partie du personnel scolaire. « C’est plus simple si l’approche est systémique et globale, si elle couvre toute la journée, toute la semaine et si tout le monde y participe« , explique Kirsi Pyhältö.
Benjamin Cleveland, Melbourne School of Design, et Ed Baines, University College London, montrent d’autre aspects systémiques. Le premier présente un programme australien pour ouvrir les écoles à leur communauté. Le second démontre l’importance des pauses pour le bien-être des élèves, notamment pour développer leur autonomie et leur socialisation. Or la tendance actuelle est à réduire les temps de pause (une heure en moins dans le secondaire en Angleterre) et à les encadrer davantage.
Insaisissable bien-être…
Après ces interventions, ça y est ! Nous tenons les chemins du bien-être à l’Ecole ! Il est à portée de mains. Et bien non ! Car Benoît Galand, UCL, brise nos certitudes à partir de l’expérience belge. Suite au « Pacte pour un enseignement d’excellence » (2014) dans le système éducatif francophone de Belgique, l’amélioration du bien-être et du climat scolaire est retenu comme objectif principal par de nombreux établissements scolaires. Une enquête est lancée en 2019 pour élaborer des indicateurs de bien-être, collecter des données et faire des recommandations. La première difficulté c’est d’élaborer des indicateurs tant le bien-être a une dimension subjective, et de définir des échelles. L’équipe y arrive et montre par exemple que les élèves ont un fort sentiment de satisfaction dans leurs relations avec leurs camarades et les professeurs. C’est ce qui est appris à l’école qui a le plus faible taux de satisfaction. Du coté des enseignants, des minorités importantes sentent « vidés » chaque semaine et même « au bout du rouleau » pour un professeur sur sept. Mais que faire de ces indicateurs ? « Transposer des indicateurs systémiques au niveau local n’est pas pertinent« , explique B. Galand. Le bien-être varie peu d’un établissement à l’autre. Dans chaque établissement la majorité des personnes (élèves comme personnels) rapportent un niveau modéré à élevé de bien-être et quelques personnes se sentent très mal. Il est donc plus efficace de dépister ces personnes et de leur apporter de l’aide, y compris pédagogique, que faire un programme local. Par suite, les indicateurs ne sont pas nécessairement adéquats pour les acteurs locaux. Et on prend le risque, en se focalisant sur eux, d’avoir des stratégies de surface et de normaliser sans effet majeur.
La conférence de comparaison internationale du Cnesco nous laisse avec ces interrogations. Le 22 novembre d’autres pistes sont étudiées. Comment promouvoir le bien-être psychologique ? Comment adapter les enseignements ? Comment lutter contre le harcèlement ? On mesure le chemin parcouru depuis la conférence organisée par le Cnesco et le Cren en 2017. Le chemin du bien-être se dessine peu à peu. Les clés du bonheur restent à trouver…
François Jarraud
La conférence sur le bien-être à l’Ecole
La France le pays où le bien-être compte le moins