Un jeudi sur deux, Daniel Gostain, enseignant spécialisé, membre de la FNAREN, et Jacques Marpeau, docteur en sciences de l’éducation, nous proposent de décortiquer certaines notions pour en faire un sujet de réflexion, pour ouvrir le débat, afin de mettre en relief les enjeux qui découlent de leur utilisation.
La punition
La punition, de punio punir, châtier, mais aussi venger une offense, est une mortification infligée à quelqu’un en châtiment d’un délit, d’une transgression ou d’une faute. Un individu ayant commis un dommage doit subir un préjudice équivalent, en expiation du tort qu’il a causé à autrui. La punition tend à contraindre au respect des devoirs et des obligations par la répression. Le châtiment peut aller jusqu’à l’humiliation en provoquant la honte, qui renvoie la personne à l’indignité d’avoir commis des actes répréhensibles.
La punition vise la soumission à l’ordre établi. Elle est une contre-violence censée faire arrêt à une violence transgressive.
La punition a pour objet le retour à la conformité par la menace. En visant la soumission à l’autorité, la punition passe à côté de la mise au travail de ce qui a conduit l’élève à la transgression. La punition impose un rapport de force qui modélise un rapport à autrui basé sur la domination et l’obéissance. L’autorité y est fondée sur une relation de crainte au détriment d’une relation de confiance. L’enseignant qui punit se place en exécutant d’un dispositif de contrainte qui se dispense d’interroger et de prendre en compte l’état de l’élève fautif : les violences vécues, ses dépendances, sa maturité, ses capacités à assumer la frustration, mais aussi l’état de ses ressources lui permettant de sortir de la répétition des transgressions.
La sanction
La sanction est une célébration ou une dénonciation de la valeur d’un acte aux conséquences destructrices ou créatives. Ainsi, l’obtention d’un diplôme « sanctionne » un cycle d’études.
Le terme sanction vient du latin sanctio, de sancire, établir, instituer, consacrer, rendre irrévocable. La sanction organise le passage du profane de l’acte au sacré de la valeur et de la dignité de l’humain. Sa fonction est d’établir, d’instituer, l’auteur d’un acte dans l’ordre de la responsabilité humaine, en matérialisant et en qualifiant cet acte en fonction de ses conséquences. La faille révélée par la faute replace l’élève dans la permanence de son inachèvement et le remet en travail de progression, à l’endroit de ses limites. Le défi posé à l’éducation par le délit est de pouvoir en restaurer l’imprédictibilité, c’est-à-dire la possibilité qu’avait son auteur de le commettre ou non, par le devoir et le pouvoir d’en anticiper les conséquences.
Loin de viser le bannissement de la personne de son identité d’être humain et de son appartenance à une communauté, la sanction a pour finalité de la restaurer dans son humanité et dans sa dignité. Elle tente de rompre l’enchaînement qui a conduit l’élève au passage à l’acte. À partir du constat des effets destructifs de l’acte, la sanction fait retour sur la chaîne de ses causalités. Elle tente de permettre à son auteur d’identifier les tensions dans lesquelles il était pris, de façon à ce qu’il puisse s’en libérer. La sanction vient séparer la personne de son acte en la rétablissant comme sujet pensant auteur de son acte. Ce n’est pas pour destituer l’élève de son pouvoir que la sanction interdit le basculement dans la toute-puissance du passage à l’acte, mais pour que l‘élève prenne pouvoir sur lui-même, afin qu’il puisse répondre de ses actes.
La sanction porte sur l’indignité d’un comportement destructeur tout en restaurant la dignité de l’être en signifiant à son auteur qu’il peut accéder à la capacité d’investir son énergie dans des actes créateurs. À l’inverse d’une mortification, la sanction négative est une restauration en humanité. Elle amène l’élève à faire retour sur lui-même et lui donne à percevoir et à comprendre l’inviolable de l’interdit de destruction. Elle signifie la gravité des conséquences de la destructivité à l’œuvre dans la transgression, et donc l’importance de l’accès à la lucidité pour toute humain.
Afin de réinscrire en humanité, la sanction garantit la continuité de la relation. Elle ne peut ni rejeter ni marginaliser. S’il y a nécessité de contenir, de déplacer ou d’éloigner l’élève, cela doit être temporaire, et dans un dispositif de relais afin que la mesure soit signifiée et comprise comme étant une protection de l’auteur ou des victimes de l’acte destructeur. C’est parce qu’il y a reconnaissance institutionnelle, estime et rapport de sollicitude à l’élève sanctionné, que la sanction est une affirmation de l’éducabilité. La sanction est un processus qui nécessite un temps d’accompagnement institutionnel personnalisé. Elle est une charge inhérente à la mission d’éducation.
L’enjeu de la différenciation de ce que recouvrent les pratiques de punition et de sanction est considérable. Il réside dans le fait de permettre ou d’empêcher chez un élève l’élaboration de la capacité d’assumer sa responsabilité et de répondre de ses actes. La punition prédispose l’élève au ressentiment et à la vengeance, alors que la sanction est un rappel à son devoir de respect de la dignité de chaque humain. En pratiquant l‘humiliation comme un moyen d’assoir son autorité, une institution, un professionnel bascule lui-même dans l’indignité. Si un enseignant n’a pas d’autres possibilités que de punir, c’est qu’il est pris dans un dispositif qui ne repose pas, ou plus, sur l’énoncé et la mise en travail de valeurs humaines, émancipatrices et citoyennes , mais qui repose sur la menace, la contrainte et la volonté de soumettre.
Punition versus Sanction : la distinction est-elle toujours aussi claire ?
Actuellement, dans le langage, on a l’habitude d’utiliser des termes nobles pour habiller le sale boulot. Par exemple, on peut parler d‘éthique plutôt que de morale, ou complexe à la place de compliqué, mais en restant dans la parole, alors que ce n’est pas du tout pareil. C’est la question que j’appelle des « Habits nobles du Grand Duc » et on s’aperçoit que le roi est nu.
C’est parce qu’on veut garder l’image idéale de soi. On peut ainsi avoir une pratique autoritaire, dominante et d’asservissement et donner l’image d’un enseignant qui travaille à l’émancipation. On brouille les pistes, en fait.
Ainsi, par exemple, au lieu de parler de répression, on va parler d’attitude contenante, mais au-delà des mots, le travail n’est pas de même nature. Et de la même façon, on ne parle plus de punition, on va parler de sanction, mais en fait, la plupart du temps, on punit. Quand on est dans « si tu fais ça, voilà ce qui va t’arriver », on est dans la punition.
Ce serait comment (et à quelles conditions) l’exercice d’une fonction éducative qui se passerait de sanctions ?
L’éducation ne peut faire l’impasse sur la sanction tant d’approbation que de désapprobation. Se passer de la sanction pour un enseignant serait démissionner de son rôle d’adulte et de son appartenance aux professions de l’éducation. Il y aurait abandon des élèves et du groupe classe à leurs seules perceptions d’eux-mêmes et d’autrui. Un humain ne peut grandir sans une confrontation aux limites.
Si la sanction revêt un aspect quelque peu « sacralisé » dans les situations d’exceptions tels une remise de diplôme ou un conseil de discipline, elle s’exprime au quotidien de façon discrète sous la forme d’un encouragement ou d’un signe de réprobation, sans qu’il y ait besoin « d’en faire plus ». La sanction remplit alors pleinement sa fonction de « contenant » à l’intérieur des limites permettant la vie commune. Elle fournit à chaque élève les repères lui permettant de savoir « où il en est » de son mode de fonctionnement au regard du fonctionnement des autres, dans l’espace scolaire.
Est-ce qu’une sanction coopérative serait possible ? Et si oui, comment ?
Un dispositif de « sanction coopérative » est possible. C’est l’une des pratiques mises en œuvre par les pédagogies actives et tout particulièrement les « pédagogies institutionnelles ». Si la coopération de tous les élèves d’une même classe est assez facile à solliciter dans le cadre de la sanction ayant pour objet de célébrer un acte, elle requiert la construction d’un dispositif rigoureux garantissant qu’il ne peut y avoir de dérapage collectif de type lynchage quant le collectif a à aborder un acte perçu comme odieux. Le groupe doit alors s’en dessaisir au bénéfice de l’institution ou même de la justice.
Une telle participation nécessite un apprentissage du respect d’autrui, que l’on pratique dans les « groupes de paroles » ou les « groupe de régulation » qui permettent aux élèves d’énoncer aussi un avis sur les pratiques institutionnelles ainsi que sur celles des enseignants. De tels dispositifs, bien que d’une remarquable pertinence dans l’apprentissage de la citoyenneté, sont fréquemment écartés parce qu’ils remettent en question le rapport asymétrique enseignant/enseigné mais aussi et surtout, parce qu’ils requièrent un investissement institutionnel, du temps et une formation des enseignants leur permettant une mise en œuvre sans risque de débordement.
Un propos de Jacques Marpeau recueilli par Daniel Gostain