Nolan Dias-T
Nolan Dias-Tomaszower est lycéen et élu au Conseil Supérieur de l’Éducation. Il prend sa plume, pour la première fois dans le Café pédagogique pour lancer un appel : « l’Éducation Nationale doit remettre au cœur de ses priorités l’apprentissage de la citoyenneté. Plus que jamais, il est fondamental de former le citoyen en devenir. N’oublions pas que prendre en compte la parole et les idées des jeunes aujourd’hui c’est aussi construire, tous ensemble, notre lendemain commun ».
Alors que la participation des jeunes lors des élections est en baisse depuis plusieurs années, nous devons interroger la place de l’apprentissage de la démocratie dans l’enseignement ainsi que le rôle des jeunes dans les processus décisionnels scolaires.
Il y a un an et demi, en avril 2022, lors du second tour des élections présidentielles, 41 % des jeunes de 18 à 24 ans ne se sont pas rendus dans un bureau de vote. Ce chiffre, bien loin d’être anecdotique, devrait nous inquiéter car il est signe qu’il y a un danger important et imminent pour notre système démocratique actuel. Ce pourcentage n’est malheureusement que le symptôme d’un problème bien plus global : celui du désintérêt des jeunes envers la politique et l’exercice démocratique. L’École est le creuset des savoirs comme de l’apprentissage de la citoyenneté. Son rôle dans la perpétuation de la République est dès lors essentiel. Bien loin des discours habituels de « prof-bashing » faisant reposer le désintérêt des jeunes pour la vie démocratique sur leurs enseignants, ce sont les fondements mêmes de l’apprentissage de la vie citoyenne qu’il faut revoir : il faut à notre École un réel plan d’éducation citoyenne.
En juin dernier, à l’issue du Conseil National de la Refondation Jeunesse, la Première ministre a fait miroiter l’espoir d’un réel plan pour le renouveau démocratique chez les jeunes. Au final, il a fallu se contenter d’une réforme de l’Éducation Morale et Civique (EMC) pour la rentrée 2024.
L’EMC, c’est une certitude, endosse des enjeux importants dans la construction de la citoyenneté des jeunes. Cet enseignement, obligatoire au lycée depuis 1999, a pour but de « transmettre un socle de valeurs communes. […] Il doit développer le sens moral et l’esprit critique et permettre à l’élève d’apprendre à adopter un comportement réfléchi. Il prépare à l’exercice de la citoyenneté et sensibilise à la responsabilité individuelle et collective. » (Bulletin Officiel du 25 juin 2015). La réforme impulsée par la Première ministre double l’horaire d’enseignement obligatoire le portant à une heure par semaine. Il intègre des thèmes contemporains tels que la laïcité, l’éducation aux médias ou encore la thématique de l’engagement écologique. Cependant, cette réforme de l’EMC doit aller au-delà d’une simple modification des thèmes étudiés dans les programmes : il convient de changer radicalement de méthode ! Les heures d’Éducation Morale et Civique doivent devenir les moments d’échanges, de débats et de questionnements dont les jeunes ont tant besoin. Prétendre que des cours théoriques sur les valeurs de notre République suffisent pour devenir citoyen serait une grave erreur, car la citoyenneté doit se vivre, elle doit être questionnée et remise en perspective. La multiplication d’approches pédagogiques variées est primordiale : mise en place d’initiatives de démocratie participative, préparation d’exposés-débats ou de simulations (jeux de rôle, serious game, scénarios…). Ces différentes approches, non exhaustives et expérimentées dans différentes Académies, ont montré leur efficacité. Elles offrent l’opportunité aux élèves d’appréhender la citoyenneté sous un angle nouveau et moins abstrait. Il est souhaitable que le Conseil Supérieur des Programmes s’inspire de ces initiatives au cours de ses travaux.
La citoyenneté est le fruit d’une pratique. Depuis l’Acte I de la démocratie scolaire en 1991, les jeunes ont plusieurs possibilités d’engagement. Que ce soit au Conseil de la Vie Lycéenne ou Collégienne, en tant qu’éco-délégué, au sein du Conseil Académique de la Vie Lycéenne ou encore au Conseil National de la Vie Lycéenne, ces différentes instances permettent aux jeunes de s’exprimer. Néanmoins et à en écouter les Conseillers Principaux d’Éducation (CPE), il est de plus en plus difficile de trouver des élèves disposés à s’engager dans ces différentes instances. Le constat est préoccupant ! Ces structures qui sont autant d’opportunités de donner la parole aux lycéens se révèlent peu attrayantes. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 2013, un rapport intitulé « Pour un acte II de la Vie Lycéenne : vers la démocratie lycéenne » était publié par la députée Anne-Lise Dufour-Tonini. Celui-ci explorait des pistes intéressantes qui auraient pu mener à un réel système de participation citoyenne. Or, dans la circulaire de 2016 « Pour un Acte II de la Vie Lycéenne », ces propositions sont restées caduques.
Aujourd’hui il nous faut penser la démocratie scolaire différemment : il est urgent d’ouvrir l’Acte III de la Vie Lycéenne. Pour que celle-ci ait un impact, il est indispensable que les lycéens la connaissent. Échanger avec les lycéens permet de mesurer la méconnaissance du fonctionnement de la démocratie lycéenne. Ce déficit d’informations est un frein à la vie lycéenne. Puisque notre ambition est de redynamiser la démocratie lycéenne, mettons en place une stratégie de communication digne de ce nom au niveau national. En outre, l’un des obstacles majeurs à l’engagement citoyen reste le passage de l’écoute des jeunes à l’action des décideurs. En effet, dans les différentes institutions, la consultation des lycéens au sein d’espaces de parole souvent restreints empêche de mener à terme une idée ou un projet. Les élus lycéens ne doivent pas être consultés parce que les textes l’obligent, mais parce que leur rôle est reconnu comme essentiel. Le « j’entends » doit faire place au « j’agis » !
Cette tribune est un appel : l’Éducation nationale doit remettre au cœur de ses priorités l’apprentissage de la citoyenneté. Plus que jamais, il est fondamental de former le citoyen en devenir. N’oublions pas que prendre en compte la parole et les idées des jeunes aujourd’hui c’est aussi construire, tous ensemble, notre lendemain commun.
Nolan Dias-Tomaszower,
Élu lycéen au Conseil Supérieur de l’Éducation