Guillaume Cornu, professeur de physique-chimie et de français langue étrangère dans un collège, est également formateur pour le CASNAV de Grenoble (Centre Académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs). Il livre au Café pédagogique ses réflexions sur les enjeux et les finalités de l’inclusion.
Comment scolarise-t-on, en France, les enfants migrants ?
Lorsque des enfants allophones arrivent en France, seuls, comme les mineurs isolés étrangers (MIE), ou en famille, ils doivent être scolarisés à l’école, au collège ou au lycée, en fonction de leur âge. Cela, quel que soit leur statut ou celui de leur famille. Les enfants sont alors inscrits dans des classes ordinaires, en inclusion, quel que soit leur parcours scolaire antérieur. Ils bénéficient, si besoin, d’un accompagnement spécifique pour l’apprentissage de la langue française. Cet accompagnement peut aller, dans le second degré, jusqu’à 12 heures par semaine si l’établissement accueille une UPE2A (Unité Pédagogique pour élèves allophones arrivants). À ces 12 heures peuvent s’ajouter, si besoin, 3 heures d’alphabétisation. Pour un enfant allophone scolarisé dans un établissement éloigné d’une UPE2A, en milieu rural par exemple, le CASNAV peut mettre à disposition quelques heures de FLE (Français Langue Étrangère) pour accompagner l’enfant dans l’apprentissage de la langue française.
Combien de temps peut durer cet accompagnement ?
L’accompagnement dure une année, date à date. Un enfant qui arrive en février, par exemple, pourra bénéficier d’heures de FLE jusqu’au mois de février de l’année scolaire suivante. Cette année peut être prolongée d’une année supplémentaire, si besoin, pour les élèves dits « NSA ou PSA » (Non ou peu scolarisés antérieurement). Ainsi nous pouvons trouver, parmi les élèves allophones scolarisés dans nos établissements, des profils scolaires très différents sur au moins deux axes : la langue française et les compétences disciplinaires. En effet, certains arrivent, par exemple, de Guinée ou du Mali, avec un bon niveau à l’oral en français, éventuellement un besoin en alphabétisation, mais, pour ceux qui n’ont jamais ou peu été scolarisés, il va falloir travailler les compétences d’autres disciplines sur des objectifs de cycle 2 ou 3 de l’école primaire. D’autres, en revanche, arrivent totalement débutants en français mais avec de solides compétences dans d’autres disciplines – maths, sciences… – car ils étaient scolarisés auparavant. Entre ces deux profils, tous les cas de figures existent. Les stratégies et objectifs d’apprentissages ne sont pas les mêmes, nous devons gérer cette hétérogénéité dans nos groupes.
À cette hétérogénéité scolaire, peut s’ajouter une grande hétérogénéité sociale. En effet, les enfants accueillis peuvent être des enfants d’ingénieur de milieux favorisés, mais aussi des enfants migrants vivant dans des conditions de très grande précarité, sans domicile, ou encore des familles qui ont fui la guerre et qui sont donc en situation de demande d’asile. Quel que soit le profil social ou scolaire de l’enfant, le principe d’inclusion s’applique.
Qu’est-ce que « l’inclusion » ou « l’école inclusive » pour un élève allophone ?
Il faut d’abord rappeler que l’inclusion concerne tous les élèves, qu’ils soient allophones ou non, porteurs de handicap ou non. Lorsque l’on en perçoit les enjeux et que l’on se donne les moyens de la réussir, l’inclusion est une richesse qu’il faut savoir exploiter, comme le dit très justement le pédagogue Paolo FREIRE, « personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde ». Chacun se construit aussi à partir de ce qu’il perçoit des autres, de ce qu’il apprend par le côtoiement des autres.
L’école inclusive impose un autre regard sur chaque élève et une approche différente de l’enseignement. Ce principe demande à l’école de s’adapter aux besoins de chaque élève, et donc, aussi, aux besoins d’un élève allophone.
Quelles sont les finalités et les enjeux de l’inclusion pour ces élèves ?
L’inclusion des élèves allophones arrivants peut se décliner en plusieurs objectifs : apprentissage de la langue, bien sûr, des objectifs disciplinaires, mais l’inclusion soulève d’autres enjeux aussi importants. Ne brûlons pas les étapes, si nous, enseignants, craignons un peu, parfois, l’arrivée d’élèves allophones dans nos classes, c’est aussi parce que nous voulons aller trop vite ! Nous avons souvent du mal à nous détacher des objectifs disciplinaires liés aux attendus de la classe d’inclusion et cela nous effraie : « comment vais-je parvenir à lui faire comprendre les équations bilans ? il n’a jamais été scolarisé, je ne connais pas le dari, le macédonien, le romani, le soninké ou autres… ».
Or, avant, ou plutôt, en parallèle à nos objectifs disciplinaires, il y a d’autres objectifs, d’autres enjeux : avoir des copines et des copains, apprendre ce qu’est la langue française dans le quartier, la langue française au collège, la langue française dans les disciplines, comprendre le fonctionnement de l’école en France : un enfant arrivant doit rapidement être capable de « raconter l’école en France ». Il doit pouvoir mettre des mots sur ce qu’il fait à l’école sans nécessairement avoir à montrer tout de suite s’il a acquis ou non des notions purement disciplinaires. C’est un premier pas dans la langue et dans les disciplines. C’est aussi un objectif que l’on peut se fixer pour tous les enfants en difficultés disciplinaires, peuvent-ils au moins, raconter ce qu’ils ont fait ? même s’ils n’ont pas tout compris…
Qu’entendez-vous par « raconter l’école en France » ?
L’élève en inclusion doit vivre l’école. Le disciplinaire vient ensuite. Raconter l’école, c’est percevoir, au travers de l’inclusion, ce qui est transversal. Le transversal, avant de s’enseigner doit se vivre, doit émerger naturellement. Percevoir ce qu’il se fait, ce qu’il se dit dans toutes les disciplines et distinguer ce qui ne relève que d’une ou deux disciplines. Percevoir le commun et percevoir les spécificités. S’il perçoit cela, alors il doit pouvoir le raconter, l’exprimer. Enseigner une compétence dite transversale sans qu’elle ne soit perçue comme transversale, c’est-à-dire sans qu’elle ne soit pratiquée dans différents contextes ne présente que très peu d’intérêt et est peu efficace.
Un enfant, un élève, quel qu’il soit, doit avoir accès au même réseau pédagogique que tous les élèves : les mêmes copains, les mêmes interlocuteurs, les mêmes professionnels – enseignants de toutes les disciplines, infirmerie, vie scolaire…, et cela passe nécessairement par une inclusion effective. Raconter l’école, c’est aussi raconter cela : comment prend-on la parole en classe ? comment se déplace-t-on dans l’établissement ? où peut-on emprunter un livre ? comment consulte-t-on un manuel ?… Un enfant allophone apprendra d’autant plus vite la langue française si les occasions de fréquenter des francophones, dans des contextes différents, sont nombreuses.
Comment enseigner le français Langue Étrangère, la langue française, aux élèves non-francophones ?
En classe de Français Langue étrangère, l’apprentissage de la langue va se décliner en deux axes : Le FLE (Français langue étrangère) et le FLSco (Français comme langue de scolarisation). Le FLE peut se définir comme la langue de la vie courante, parlée dans la cour de l’école – acheter un ticket de bus, aller à la boulangerie, se présenter…, et le FLSco est la langue de l’école, avec un versant transversal – consignes générales, langage des manuels…, mais aussi une partie plus spécifique aux disciplines – Bissectrice, ampèremètre… Pour illustrer cela, il faut imaginer un enfant francophone, qui possède un relativement bon niveau en Anglais, et qui irait poursuivre sa scolarité en Angleterre. S’il n’aURAITprobablement pas de difficultés à demander son chemin, il lui faudrait, en revanche, un temps d’adaptation au langage de l’école et des disciplines en Angleterre. L’apprentissage du FLSco est facilité par des aller-retours entre les cours de FLE/Sco et les cours en inclusion.
On parle parfois, pour les élèves en inclusion, de « bain linguistique ». Effectivement, le fait d’entendre des sonorités propres à des disciplines, d’identifier des termes, de commencer un travail de catégorisation, est déjà un levier d’apprentissage, mais attention cependant à ce que le « bain » linguistique ne se transforme pas en noyade. Il faut distinguer les contextes déjà connus par l’apprenant, sur lesquels il peut mettre des mots dans sa langue car il connaît l’activité et d’autres contextes qu’il ne connaît pas du tout, des nouvelles disciplines. On apprend les langues en jouant au foot, dit-on souvent : c’est vrai, car ce sport se pratique dans tous les pays, mais cette affirmation est moins vraie pour d’autres sports, football Gaëlic par exemple. Un élève qui ne connaît pas le football Gaëlic ne pourra pas effectuer des transferts de langue sur un objet qu’il connaît. Lorsque l’élève découvre une nouvelle discipline, l’inclusion permettra de découvrir la discipline mais dans ce cas, des stratégies seront utiles afin que cela soit bénéfique sur le plan disciplinaire comme sur le plan de l’apprentissage de la langue. Les CASNAV* des différentes académies proposent pour cela des formations afin d’aider les enseignants à appréhender l’inclusion et mettre en place des stratégies de différenciation.
Vous disiez précédemment qu’il fallait se donner les moyens de réussir l’école inclusive, qu’entendez-vous par là ?
Si les bénéfices de l’inclusion sont compris par la majeure partie des enseignants, attention cependant à ne pas croire ou faire croire que les enseignants des disciplines, seuls, peuvent faire face à cette grande hétérogénéité des élèves. Il est nécessaire de développer et de donner les moyens aux dispositifs d’accompagnement telles que les UPE2A afin d’engager le travail collectif nécessaire et de pouvoir répondre à un besoin particulier. La logique d’inclusion ne doit pas être instrumentalisée pour justifier d’une baisse de moyen en accompagnement. L’inclusion des élèves allophones nécessite des moyens humains, mais aussi des moyens horaires ainsi que de la formation pour les enseignants. Attention, il existe aussi des enfants pour lesquels les besoins dépassent l’amplitude de différenciation que l’on sait proposer, il existe des enfants qui ont aussi besoin d’un accompagnement sur d’autres aspects, c’est pourquoi il est important de développer aussi les places dans d’autres structures d’accueil telles que les IME par exemple, ne mélangeons pas tout. Actuellement, il y a de plus en plus d’élèves, dans les classes ordinaires, allophones ou non, qui relèvent de structures adaptées (IME…), qui ont reçu une notification pour cela, mais qui ne trouvent plus de place dans ces structures. De ce fait, je constate malheureusement que le principe d’inclusion est parfois réinterrogé par quelques enseignants qui pourtant en avaient bien compris les enjeux.
L’inclusion est une belle idée, qui doit être maintenue et développée mais il faut lui donner les moyens d’être réussie !
Propos recueillis par Djéhanne Gani
*CASNAV : Centre Académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs