Le Prix Vendredi, premier grand prix national de littérature adolescente, a récompensé « Au nom de Chris » de Claudine Desmarteau aux Editions Gallimard Jeunesse
Un thriller psychologique qui se lit le souffle court, par une autrice au talent saisissant.
Le café pédagogique lui a donné la parole :
Pouvez-vous nous présenter votre livre qui vient de recevoir le prix Vendredi ?
Le narrateur s’appelle Adrien, il a 14 ans. Fils unique, il vit avec sa mère célibataire – angoissée, elle le surprotège. Doué d’une mémoire exceptionnelle, Adrien est un élève brillant, solitaire et angoissé. Sa seule amie, Judith, a récemment déménagé et Adrien se retrouve plus seul que jamais. Il est insomniaque, victime de harcèlement au collège, et il encaisse toute cette souffrance en silence. Sa mère, très protectrice, fait tout son possible pour aider son fils, l’envoie consulter un psy mais l’état mental d’Adrien empire. Entre le harcèlement au collège et l’hyper sollicitude de sa mère, il est au bord de l’asphyxie.
Ses insomnies deviennent insupportables alors la nuit, il fugue pour se rendre dans la forêt. Là, il va rencontrer un personnage énigmatique et mystérieux : Chris, dont on ne sait rien – on se demande même s’il est réel, ou issu de l’imagination d’Adrien.
Le roman raconte cette relation, dont les contours vont se préciser au fil du récit. C’est une relation d’amitié, mais aussi d’emprise. Une relation pleine d’enseignements, à la fois forte et dangereuse pour Adrien. Il m’est impossible d’en dire plus sans spoiler !
Le harcèlement n’est pas le thème principal, mais il aggrave le mal-être d’Adrien. Le roman parle aussi de l’arrachement à l’amour maternel. C’est tellement dur, de s’arracher à la douceur du cocon maternel. À l’adolescence, on prend conscience que les parents ne peuvent pas nous protéger de tout, qu’ils ont faillibles et mortels. J’ai une grande affection pour la mère d’Adrien, mais aussi pour Adrien et même pour Chris. Je ne porte pas de jugement sur mes personnages, je me laisse porter par eux pendant toute la durée de l’écriture, je vis avec eux.
Pourquoi et comment écrit-on pour les ados ?
J’ai commencé en littérature jeunesse par des albums illustrés, puis j’ai eu envie d’écrire des romans. D’abord pour les plus jeunes, avec la série des Petit Gus….
Je m’adresse à un public large : adolescents, jeunes adultes et adultes. L’adolescence a été une période marquante de ma vie, puis celle de mes enfants m’a renvoyé à la mienne. J’y trouve un terrain d’exploration formidable ! Chaque individu est différent. Dans Jan, j’ai mis en scène une jeune fille énergique et grande gueule, à l’opposé d’Adrien. Ce que j’apprécie dans le fait de publier en littérature ado, c’est aussi de pouvoir rencontrer des collégiens ou des lycéens. C’est passionnant de se confronter à leurs avis de lecteurs. J’ai des rencontres programmées sur Au nom de Chris, et je m’en réjouis. On pourra échanger sur le harcèlement, un thème dont il faut parler. Il faut se forcer à ouvrir les yeux, le déni a été trop longtemps la règle, et c’est terrible car c’est une négation de la souffrance pour les victimes. J’avais déjà abordé ce thème dans Comme des frères – avec plutôt le point de vue de l’harceleur.
Pour en revenir au personnage de Chris, il est énigmatique et intuitif. Il devine qu’Adrien est maltraité, il commence par le rassurer, par lui redonner confiance en lui. Il lui apprend à se défendre… et à se battre.
Dans ce roman, j’ai travaillé sur l’atmosphère et aussi sur la subjectivité, sur le regard d’Adrien, qui va évoluer au cours du roman – son regard sur sa mère, sur Geoffroy son harceleur, et aussi sur Chris, pour qui Adrien éprouve une fascination proche de l’envoûtement.
Dans Au nom de Chris, il y a des zones floues qui permettent au lecteur de s’approprier le livre. J’ai envie que le livre devienne son propre territoire. La richesse infinie des livres fait que, selon la période de sa vie ou on aborde un livre, c’est tel personnage ou tel thème qui résonnent, et nos relectures nous ouvrent toujours de nouvelles perspectives.
C’est gratifiant de faire de la littérature ado, d’essayer de les captiver, ce n’est pas facile parce qu’ils sont hypersollicités par les écrans. Mais le temps de la lecture est un temps où ils se retrouvent eux-mêmes. Il faut laisser le téléphone dans la cuisine !
Quelles émotions suscitent ce prix et quels sont vos projets ?
Recevoir ce prix est une grande joie. Ça fait vingt ans que j’écris des livres. C’est un encouragement pour continuer à me renouveler, à travailler avec exigence, à ne pas céder au découragement car c’est une période de crise où le secteur du livre est touché, et par ricochet les éditeurs et les auteurs. C’est une récompense qui fait beaucoup de bien.
Concernant mes projets en cours, je viens de terminer un roman qui devrait paraître au printemps prochain en littérature adulte dans la collection Sygne, chez Gallimard. Je suis heureuse de pouvoir faire les deux : écrire pour la jeunesse et parfois, pour certains sujets qui n’ont pas leur place dans ce domaine, écrire pour les adultes. Ça me permet de faire des respirations. J’adore retourner en adolescence après avoir écrit un livre pour adulte.
Propos recueillis par Marion Katak
Le prix vendredi 2023, c’est aussi
Deux mentions spéciales attribuées à « Premier rôle » de Mikaël Ollivier, Editions Thierry Magnier) et « Dix-huit ans, pas trop con » de Quentin Leseigneur, Editions Sarbacane).
Remis pour la première fois cette année, le Prix Vendredi – Jury des jeunes pass Culture a récompensé « Octave » d’Arnaud Cathrine, Editions Robert Laffont
Octave est une énigme. Octave finit toujours par vous échapper. Mais que fuit-il ?C’est bien la question que se pose Vince, son ex-meilleur ami, son ex-amoureux. Vince qui ne parvient toujours pas à tourner la page. Pas plus que Marilyn qui s’efforce, elle aussi, de dépasser l’amour qu’elle a pour Octave et dont il n’a plus voulu. Désormais étudiants, Vince et Marilyn aimeraient tant renaître. On leur avait promis tous les possibles. Avec les confinements, ils ne trouvent que des impossibles. Sans compter qu’Octave a décidé de reparaître…
Pour en savoir plus sur le prix vendredi
Premier grand prix national de littérature adolescente en langue française, le Prix Vendredi a été créé en 2016 par le groupe des éditeurs Jeunesse du Syndicat national de l’édition pour valoriser le dynamisme et la qualité de création de la littérature jeunesse contemporaine.
Chaque année, une sélection de 10 ouvrages francophones destinés aux plus de 13 ans, publiés entre le 1er octobre de l’année précédente et le 30 septembre de l’édition en cours, est soumise à un jury de professionnels.
La sélection 2023 :
• Au nom de Chris, Claudine Desmarteau, Gallimard Jeunesse.
• Dix-huit ans, pas trop con, Quentin Leseigneur, Sarbacane.
• Premier rôle, Mikaël Ollivier, Thierry Magnier.
• Le souffle du puma, Laurine Roux, L’école des loisirs.
• De larmes et d’écume, Stéphane Michaka, Pocket jeunesse.
• This is (not) a love letter, Anouk Filippini, Auzou.
• Octave, Arnaud Cathrine, Robert Laffont.
• La dernière saison de Selim, Pascale Quiviger, Rouergue.
• Tous nos rêves ordinaires, Élodie Chan, Sarbacane.
• Griffes, Malika Ferdjoukh, L’école des loisirs.
Le jury du Prix Vendredi 2023 est composé de :
• Raphaële Botte, journaliste pour le supplément Livres de Mon Quotidien, pour le magazine Lire et pour Télérama.
• Claire Castillon, autrice lauréate du Prix Vendredi 2022.
• Philippe-Jean Catinchi, rédacteur culture au Monde.
• Françoise Dargent, rédactrice en chef Culture au Figaro et autrice de trois romans jeunesse.
• Marie Desplechin, journaliste et autrice de livres jeunesse et adultes.
• Nathalie Riché, critique en littérature de jeunesse, elle anime le blog www.allonz-enfants. com.
• Simon Roguet, libraire, Librairie M’Lire (Laval).
• Sophie Van der Linden, romancière et critique, spécialiste de la littérature pour la jeunesse contemporaine.
UNE NOUVEAUTÉ :
Une collaboration entre le Prix Vendredi et le pass Culture a été initiée cette année avec la création du Prix Vendredi – Jury des jeunes pass Culture. Le jury est composé de sept jeunes lecteurs et lectrices issus de différentes régions et bénéficiaires du pass Culture. Les ouvrages lauréats des précédentes éditions du Prix Vendredi seront également lus et chroniqués dans le cadre d’un Book Club sur l’application du pass Culture.
La Fondation d’entreprise La Poste, partenaire historique du Prix, dote cette année le Prix Vendredi d’une enveloppe globale de 3000 euros.
Le Prix Vendredi est également soutenu par la Sofia, la Fondation Crédit Mutuel pour la lecture et le CFC, en partenariat avec Lecture Jeunesse et le magazine Je Bouquine.