Les 21 et 22 novembre 2023 aura lieu la prochaine conférence de comparaisons internationales sur le Bien-être à l’école. Une conférence lors de laquelle le Cnesco analysera les enjeux du bien-être à l’école, les politiques et les dispositifs qui peuvent y contribuer. Il interrogera plus particulièrement le rôle des écoles et des établissements scolaires, en intégrant dans sa réflexion les personnels, en premier lieu les enseignants. Agnès Florin, responsable du Cnesco et Eric Dugas, président de la conférence répondent aux questions du Café pédagogique.
Le bien-être est une notion assez vague, comment le définiriez-vous ?
Éric Dugas : De prime abord, évoquer le bien-être dans le contexte géopolitique, socioéconomique, climatique et sanitaire actuel prend une dimension toute particulière. L’école n’est pas épargnée eu égard aux récents et terribles évènements. Si, à l’instar du pédagogue Jacques Henriot, qui énonçait qu’un mot peut être mieux défini par ce qu’il n’est pas, alors actuellement le mal-être serait plus aisé à déterminer…
Pour autant, malgré la complexité, voire certaines confusions ou opacités entourant le concept de bien-être – bonheur, satisfaction, qualité de vie…, un certain consensus se dégage conjuguant plusieurs facettes et échelles : le bien-être est multidimensionnel, individuel et collectif. La manière dont les individus se le représentent et le perçoivent doit être pris en considération dans une approche systémique qui tient compte de spécificités sociales et culturelles. Il peut être mesuré par des indicateurs objectifs et subjectifs qui concernent : les conditions matérielles, la profession, la santé, l’éducation, la sociabilité, les loisirs, les droits fondamentaux, la participation citoyenne, l’environnement, etc.
Dans le monde du travail, de l’éducation, de la santé ou des organisations au sens large du terme, deux types de conceptions prédominent : l’une « hédonique » – principe de maximisation du plaisir et d’évitement de la souffrance ; l’autre « eudémonique », s’attachant à l’accomplissement de soi et à la pleine utilisation de son potentiel. Si l’on couple ces deux démarches, le bien-être peut être défini comme un état psychique résultant d’un rapport positif : aux autres – bons contacts avec ses pairs, solidarité et partage effectif ; à soi – possibilités d’évolution, prise en compte des attentes et des capacités, reconnaissance des tâches effectuées ; au facteur temps – stabilité des horaires, protection de la vie privée, investissement professionnel raisonnable ; à l’environnement immédiat – personnalisation de son espace de travail, adéquation au poste.
Si, de nos jours, le concept de bien-être est devenu un axe privilégié, voire un enjeu majeur des politiques éducatives, il ne doit pas pour autant se transformer en une injonction, une tyrannie, ou un impératif imposé, propice à la culpabilité ou au doute.
Agnès Florin : Selon de nombreux chercheurs aujourd’hui, le bien-être des adultes, comme celui des enfants, correspond à l’épanouissement de soi et il a plusieurs composantes : ressentir des émotions positives ; être engagé et même absorbé dans ses activités ; développer des relations positives avec les autres, donner du sens, de la valeur à ce que l’on fait ; persévérer, se donner les moyens de réussir.
Quel intérêt du bien-être des élèves et des personnels sur les apprentissages ?
Éric Dugas : Le bien-être est indispensable à l’épanouissement de tout acteur de la communauté éducative. Il n’est pas réductible exclusivement à l’individu, à sa satisfaction personnelle, il se conjugue aussi à son environnement proche, à l’échelle de la classe, de la famille, ainsi qu’au contexte culturel et social dans lequel il vit. Les instances européennes ont ainsi souligné – Conseil de l’Éducation de 2001 et la Commission des communautés, 2007 – que les élèves et les enseignants évoluent dans des environnements humains, spatiaux, sociétaux et culturels interagissant dans une dynamique qui peut freiner ou faciliter le bien-être.
La recherche et la comparaison internationale nous montrent ainsi qu’il existe des corrélations entre le climat scolaire et ses dimensions – les relations entre les acteurs ; l’enseignement et l’apprentissage ; la sécurité ; l’environnement physique ; le sentiment d’appartenance – et les acquis des élèves. Il existe aussi des corrélations entre le bien-être et un climat scolaire favorable. A contrario, des environnements de travail négatifs peuvent conduire à de l’insatisfaction, au stress et à un risque potentiel d’abandon du métier du côté des enseignants, au décrochage et aux difficultés d’apprentissage du côté des élèves. La recherche montre aussi que le bien-être des jeunes diminue avec l’avancée en âge.
La coopération entre les différents acteurs de la communauté éducative contribue elle aussi au bien-être des élèves, au climat scolaire, au développement de compétences transversales et à la qualité des apprentissages. N’oublions pas ici l’influence du personnel non enseignant – médecin, infirmier, PsyEN, CPE, AESH, etc.
Insistons aussi sur le fait qu’au niveau des apprentissages, les enjeux scolaires ne sont plus exclusivement fondés sur les performances des élèves, les compétences psychosociales constituent autant de leviers pour favoriser le bien-être et la réussite scolaire et éducative
Enfin, ne faisons pas fi de la crise sanitaire, de ses leçons à retenir et de ses répercussions sur le bien-être et les apprentissages. Par exemple, les enquêtes internationales révèlent peu ou prou qu’à l’école, il est observé une diminution de la satisfaction concernant l’apprentissage à distance. Si la majorité des enfants ont pu suivre cet enseignement, les données témoignent d’une importante variabilité selon le soutien reçu et l’accès à l’éducation digitale. Les usages et les pratiques du numérique peuvent ainsi être des révélateurs – voire amplificateurs – de la fracture numérique chez les élèves les plus défavorisés, des marqueurs sociaux – et socioéconomiques – des inégalités.
Agnès Florin : Les études permettant d’établir autre chose que des corrélations entre le bien-être et les résultats scolaires des enfants sont encore peu nombreuses, parce que coûteuses du point de vue méthodologique et nécessitant un suivi des enfants sur plusieurs années. Se sentir bien à l’école favorise-t-il les résultats scolaires des élèves, ou bien de bons résultats scolaires favorisent-ils leur bien-être ? Il semble que les relations aillent dans les deux sens, mais que la relation entre bien-être à l’école et « performance scolaire » soit médiatisée par le sentiment d’efficacité personnelle : se sentir bien à l’école donne confiance en soi et un sentiment d’efficacité personnelle aux élèves, ce qui favorise leur investissement dans les apprentissages et leurs résultats scolaires, sur plusieurs années.
Mais ces premiers résultats restent à confirmer par des études ultérieures. Plusieurs études ont montré l’interdépendance entre bien-être des enfants et bien-être des professionnels de l’éducation. La qualité de vie des enseignants est dépendante de la qualité de leurs interactions avec les élèves, de la discipline ou de l’indiscipline dans la classe et dans l’établissement. Leur bien-être est très lié à leur sentiment d’efficacité, comme c’est le cas pour les élèves.
Vous aviez publié un rapport en 2017. Pourquoi une conférence de comparaison internationale ?
Agnès Florin : La qualité de vie à l’école était l’une des thématiques retenues par le Cnesco dans ses orientations stratégiques pour la période 2014-2017. Il s’agissait d’aller au-delà des acquisitions scolaires, et de considérer plus globalement les jeunes – qui ne se réduisent pas à leur activité d’élèves – dans leur intégration scolaire et sociale et leur bien-être, en prenant en compte les dimensions psychosociales et physiologiques de leur vie à l’école. En 2017, nous avions publié tout un dossier sur la qualité de vie à l’école, toujours disponible sur notre site : un rapport scientifique cosigné avec Philippe Guimard sur la qualité de vie à l’école et le bien-être des élèves, dix contributions thématiques – qualité de vie et précarité, handicap, santé, architecture scolaire, qualité de vie des enseignants, projets innovants, etc. – et une enquête sur la restauration scolaire. Mais le Cnesco n’avait pas organisé de conférence sur ce thème.
Depuis le début des années 2000, des institutions européennes – Conseil européen de l’éducation, Commission des communautés européennes – considéraient que l’éducation et la formation devaient viser non seulement le développement de compétences, mais aussi le bien-être et l’épanouissement des personnes. Cette conception a été plus tardive en France que dans d’autres pays : « bien-être » et « qualité de vie » sont apparus dans les textes officiels de l’éducation nationale seulement en 2012. Bien sûr, nombre d’enseignants et d’écoles se sont préoccupés du bien-être des élèves avant cette date ! Et depuis 2017, de nombreuses enquêtes à l’international et en France ont été réalisées, interrogeant le bien-être subjectif des enfants et des jeunes à l’école et celui des personnels, essentiellement des enseignants. La pandémie mondiale, les confinements successifs ont conduit à se préoccuper aussi du mal-être des enfants, des jeunes et des adultes, ainsi que des conditions de notre bien-être et de celui des enfants et des jeunes : ce qu’ils vivent à l’école constitue une part importante de leur satisfaction de vie. Les recherches sur ce thème ont connu aussi des développements importants. Tous ces éléments nous ont conduit à préparer, depuis 18 mois, cette conférence de comparaisons internationales sur le bien-être à l’école, en considérant à la fois celui des élèves et celui des personnels.
Le programme propose des échanges autour de deux axes : les politiques publiques en la matière et ce qui se joue au niveau d’un établissement ou d’une école. Pourquoi ce choix ?
Agnès Florin : Le premier axe, celui de la première plénière, permettra de faire le point sur des aspects généraux de la thématique en interrogeant les politiques éducatives en faveur du bien-être à l’école et les enquêtes internationales sur le bien-être des personnels de l’éducation. La question des indicateurs du bien-être à l’école et du niveau – global ou local – où les définir sera également posée.
Le second axe constitue le cœur de la conférence : développé sur deux autres plénières et douze ateliers participatifs, il interroge ce qui se joue au niveau local, celui de l’établissement ou de l’école. Tout d’abord, en quoi leur organisation peut-elle favoriser le bien-être des élèves et des personnels ? Quels sont les liens entre bien-être et bâti scolaire, comment organiser les temps de pause à l’école ? En quoi développer les compétences psychosociales des élèves peut améliorer leur bien-être et le vivre ensemble ? Seront considérées également des questions importantes comme l’adaptation des enseignements, la lutte contre le harcèlement, les facteurs de bien-être des personnels de direction, les relations avec les familles.
Comme dans toutes nos conférences de comparaisons internationales, on croisera les expériences de plusieurs pays – Australie, Angleterre, Belgique, Canada, Corée du Sud, Danemark, États-Unis, Finlande, Irlande, Italie – et celles d’écoles et d’établissements scolaires de notre pays. À partir de toutes ces contributions, auxquels s’ajoutent des rapports thématiques et diverses notes d’experts français et d’autres pays, nous construirons les préconisations du Cnesco pour favoriser le bien-être des élèves et des personnels dans les écoles et les établissements scolaires. L’ensemble des ressources sera mis en ligne au premier trimestre 2024. Des prolongements de cette conférence sont prévus dans plusieurs académies.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
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