Aujourd’hui, jeudi 9 novembre, c’est la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire. C’est aussi le jour où quelques millions d’écoliers, collégiens et lycéens répondront à un questionnaire d’auto-évaluation sur le harcèlement en milieu scolaire. Le chercheur en sociologie de l’éducation Benjamin Moignard, spécialiste de la question qui pilote les principales enquêtes de victimation menées auprès des élèves français, revient sur les différentes actions menées par le ministère en matière. « Le problème du harcèlement est systémique, il appelle à des réponses systémiques. Un plan ne peut épuiser un système » rappelle-t-il.
Comment définir le harcèlement en milieu scolaire ?
Le harcèlement scolaire se définit par une accumulation et une répétition de faits de violence qui peuvent être psychologiques et/ou physiques. Ce qu’il est important de retenir, c’est la valeur de répétition et de mise en minorité de l’élève qui va subir cette forme de violence. En général, il y a une configuration avec des enfants victimes, des enfants agresseurs et des enfants spectateurs avec une mise en scène publique de la violence exercée.
N’est-ce pas fallacieux de parler de harcèlement en milieu scolaire lorsque l’on sait que c’est surtout en dehors de l’école que les faits de harcèlement ont lieu ?
Je ne pense pas que cela soit fallacieux. Les recherches sur le harcèlement ont démontré qu’il concerne plus d’élèves en présentiel qu’en distanciel. Il y a un effet de biais sur les politiques publiques qui sont très orientées depuis cinq ans sur la prévention ou la prise en charge du cyberharcèlement. Cela amène à penser que le harcèlement est très majoritairement lié aux réseaux sociaux. Ce n’est pas le cas. Les réseaux sociaux accentuent les effets du harcèlement avec des effets de disséminations des violences commises ou relayées par des supports numériques. Ils sont une caisse de résonance des faits de harcèlement.
Les enquêtes qui s’intéressent au cyberharcèlement et au harcèlement scolaire montrent bien que le phénomène est plus important en présentiel. Et, on a très peu de cyberharcèlement sans harcèlement. C’est un continuum des espaces sociaux.
Que pensez-vous du plan harcèlement lancé par le ministère ?
Je travaille sur ces questions depuis longtemps, y compris un temps où il n’y avait pas de politique publique en la matière. Je ne peux donc que me réjouir de ce plan. Il est assez cohérent avec les logiques constatées sur le plan des luttes contre les violences en général : des personnels dédiés, un renforcement du suivi des cas et une judiciarisation renforcée, des dispositifs de formation et de de sensibilisation plus organisées. Il n’y a donc rien de très spectaculaire.
Je regrette, cependant, que l’on soit plutôt dans des logiques de prise en charge qui ne reposent que sur ce que l’on travaille avec les enfants, là où à mon sens, le harcèlement devrait être aussi considéré comme une affaire d’adulte. On sait l’incidence du climat scolaire sur le harcèlement. Le plan doit donc prendre en considération toutes les questions en lien avec celui-ci comme la stabilisation des équipes éducatives, comme le fait que les personnels puissent travailler de façon plus cohésive, comme le fait que les hiérarchies soient considérées comme des ressources et non comme des espaces de pression et de contrôles… Ce sont des questions, qui sont sensibles politiquement, mais qui ne sont, vingt ans après les premières recherches sur la question, pas appréhendées alors que l’on sait leur prévalence.
Le problème du harcèlement est systémique, il appelle à des réponses systémiques. Un plan ne peut épuiser un système.
Et les questionnaires envoyés aux élèves ?
Je suis assez sceptique sur l’usage qui en sera fait. Je n’ai pas bien compris comment ces données seront utilisées. Essayer de détecter les faits de harcèlement est une bonne chose. Ne pas demander directement aux élèves s’ils sont harcelés est d’ailleurs une bonne entrée – lorsqu’on les interroge directement, ceux qui sont harcelés répondent généralement par la négative. Mais j’ai du mal à situer comment les retombées vont se faire dans les établissements. Qui reçoit les données ? comment vont-elles être utilisées ? Je n’ai pas de réponses là-dessus, y compris en interrogeant les chefs d’établissement. Il y a un flou sur ces questions.
L’outil n’est pas inintéressant. En revanche l’usage, qui en sera fait au niveau national et à l’échelle de l’établissement, sera décisif. Quelle va être la modalité de réception sur le terrain d’un outil qui peut être perçu comme un outil de contrôle et d’évaluation du volume de harcèlements plutôt que comme un outil de prévention ? Cet aspect – au regard de la détérioration des relations entre les relations enseignants-direction-hiérarchie – m’interroge.
Finalement n’est-ce pas un doublon avec les enquêtes climat scolaire ?
Les enquêtes de climat scolaire, de manière générale, sont beaucoup plus complètes, elles portent sur des niveaux de victimation plus larges. Elles articulent les expériences scolaires avec les questions de victimation. Elles mesurent climat et victimation. Ce ne sont donc pas les mêmes usages, mais, je le répète, tout dépendra de comment c’est utilisé sur le terrain.
Le véritable enjeu c’est vraiment l’interprétation qui sera faite des résultats de ces questionnaires, c’est l’analyse. C’est aussi comment on accompagne les personnels ensuite pour que ces analyses deviennent effectivement des outils d’intervention. Ce pas là me semble assez peu opérationnalisé.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda