La DNL, ou discipline non linguistique, est une matière, comme l’Histoire-géographie, enseignée en langue étrangère. Porteuse d’inégalités sociales entre les élèves, elle n’en demeure pas moins une discipline sur laquelle l’Éducation Nationale doit pouvoir s’appuyer, à la condition d’être profondément repensée.
Une formidable opportunité pour s’ouvrir au monde dans une perspective qui n’est pas nationale
J’enseigne en « Section européenne » et plus spécifiquement l’Histoire-Géographie en anglais depuis 17 ans. Quand j’étais professeure stagiaire, j’ai décidé de passer la certification me permettant d’enseigner ma discipline en anglais quelques heures par semaine. J’y voyais alors le moyen de garder le contact avec mes études récentes puisque j’avais obtenu un DEA en histoire nord-américaine à l’EHESS (École des hautes Études en Sciences Sociales). La DNL m’apparaissait alors comme un moyen, pour les élèves, de développer une nouvelle perspective sur le monde et en particulier sur le monde anglo-saxon, de « déplacer, dépayser et d’élargir notre Histoire » pour reprendre les mots de Patrick Boucheron. En somme, elle permettait d’opérer ce décentrement bienvenu en Histoire. Une matière que les programmes abordent trop souvent sous un prisme franco-français réducteur.
Par ailleurs, travailler en équipe, notamment avec mes collègues de langue, allait devenir l’un des aspects les plus satisfaisants de cet enseignement, m’amenant à faire évoluer mes pratiques.
Un creuset des inégalités sociales
Très vite cependant un constat s’est imposé. Les « sections européennes » renforcent les inégalités sociales en opérant une sélection des élèves. Intègrent les sections européennes les élèves dont le dossier scolaire, solide, doit attester de la capacité de ces derniers à « suivre » un enseignement exigeant en langue étrangère. Il s’agit aujourd’hui pour de nombreuses familles de choisir des enseignements optionnels comme la section européenne par stratégie. Ces enseignements étant très demandés, les élèves affectés via la plateforme Affelnet en section européennes sont, dans leur très vaste majorité, de très bons élèves de 3e. Mais l’on constate également une surreprésentation d’élèves issus de CSP favorisées voire très favorisées. Cette hyperconcentration porte une atteinte directe au principe de mixité.
En 2015, consciente de ces problèmes, Najat Vallaud Belkacem alors ministre de l’Éducation nationale, entreprend de supprimer les sections européennes au collège, dans le cadre de sa réforme qui met alors en place, pour développer les langues, sur une base démocratique, l’apprentissage d’une seconde langue vivante dès la 5e.
Un enseignement à bout de souffle
L’idée d’enseigner une discipline, en particulier la mienne, dans une langue étrangère n’est pas idiote. Au contraire ! Mais aujourd’hui, force est de constater que la DNL est à bout de souffle. Elle souffre de ses nombreuses contradictions.
La DNL est tout d’abord désormais exposée de façon croissante à l’hyper concurrence engendrée par la réforme du lycée et du baccalauréat voulue par l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Oui, la DNL est aujourd’hui moins attractive. Elle a perdu de son attractivité parce que les leviers stratégiques offerts aux familles se sont multipliés. La DNL n’apporte aujourd’hui plus de points supplémentaires aux élèves qui passent son épreuve finale pourtant très exigeante. Elle est devenue une véritable usine à gaz qui décourage nombre d’entre eux.
Se pose, par ailleurs, le problème de la formation continue des enseignants de DNL. Peu de formations existent et les sites académiques proposent des contenus souvent datés et très disparates.
Réinventer la DNL
Face à ce constat, il faut réinventer la DNL afin qu’elle soit, justement, cette discipline qui donne à tous les élèves une chance de s’ouvrir au monde et de pratiquer les langues autrement. Elle doit devenir un lieu d’émancipation.
Pour cela, soupoudrer nos heures d’enseignement d’un peu d’Anglais ou d’Allemand de façon irréfléchie n’est pas une solution. Il convient tout d’abord de redonner du sens aux DNL. Pensées lors de leur création en 1992, pour répondre aux besoins d’ouverture des collèges et des lycées sur l’Europe et le monde, les sections européennes doivent retrouver cet objectif originel. Faciliter les voyages scolaires, les ouvrir réellement à tous, et permettre les échanges avec les établissements scolaires à l’étranger de se multiplier est une nécessité absolue. A l’heure où l’Europe se replie sur elle-même et où les frontières s’érigent en forteresses dans le monde, l’ouverture est une réponse.
Mieux former les professeurs, et dans la formation initiale, et dans la formation continue, est également incontournable. Les professeurs de DNL se sentent souvent isolés dans leur établissement. L’échange de bonnes pratiques est également nécessaire. Il faut former davantage de professeurs pour enseigner la DNL.
Car il est nécessaire, enfin et surtout, de donner la chance à tous les élèves d’accéder aux DNL en sortant d’une logique de sélection opaque que les familles les mieux informées maîtrisent davantage. Il faut les généraliser, notamment dans les lycées technologiques et professionnels.
Le temps est venu de mettre fin aux « sections » européennes fondées sur la sélection. Réinventons les DNL dans une logique d’ouverture réelle sur l’Europe et le monde, de mixité et d’égalité des chances.
Anne-Flore Labois
Professeure d’histoire-géographie et DNL anglais