Alors que certaines écoles et certains établissements expérimentent le port de l’uniforme, sur proposition du Ministre, Claude Lelièvre s’étonne que cela ne concerne pas encore les enseignants et enseignantes. Car en effet, dans le passé, l’uniforme a été imposé aux professeurs du second degré. L’historien revient sur les différents moments de l’Histoire où ce fut le cas et où ils leur a été imposé aussi de raser leur barbe. Est-ce qu’après l’obligation du port de l’uniforme par les élèves tant voulue par la droite, cette obligation concernera leurs enseignants ?
Dans le contexte régressif voir tragique actuel, le port de l’uniforme semble s’imposer dans l’opinion pour les élèves, du moins tant qu’on ne passe pas vraiment à l’acte… Mais alors pourquoi ne pas étendre cette obligation aux professeurs, pour l’exemple ?
C’est d’ailleurs ce qui est arrivé lors de la création du lycée par Napoléon Bonaparte en 1802. Les élèves de tous les lycées de France devaient porter un même uniforme fixé par arrêté : habit vert, culotte bleue, collet et parement bleu céleste, chapeau rond et boutons jaunes métal. Mais seulement les internes, pas les externes…
Dans le décret du 17 mars 1808 qui organise ce qui est appelé alors « L’Université impériale’’ – il s’agit pour l’essentiel de l’enseignement secondaire, l’article 128 mentionne que « le costume commun à tous les membres de l’Université sera l’habit noir avec une palme brodée en soie bleue sur la partie gauche de la poitrine » et l’article 129 indique que « les régents et les professeurs feront leurs leçons en robe d’étamine noire »
Sous la Restauration royaliste, le Statut concernant les collèges royaux et communaux du 4 septembre 1821 réaffirme cette obligation dans son article 30.
Sous la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe), la circulaire du 12 octobre 1838 renouvelle cette prescription – « les professeurs doivent faire leurs classes en robe » – tout en reconnaissant qu’« elle semble avoir été oubliée dans un grand nombre d’établissements… »
Dès le début du Second empire, le très autoritaire ministre de l’Instruction publique Hippolyte Fortoul revient sur le sujet avec insistance. Le décret du 24 décembre 1852 précise en son article 2 que « le costume commun de tous les membres du corps enseignant […] est l’habit de ville avec palme brodée en soie violette sur la sur la partie gauche de la poitrine » et la circulaire du 22 janvier 1853 rappelle le port obligatoire de la robe pour les membres du corps enseignant « durant les leçons et les grandes cérémonies publiques ».
Sous « l’Ordre moral » – durant la période où les républicains seront encore minoritaires dans les institutions nationales de la Troisième République – la circulaire du 16 septembre 1874 rappelle encore une dernière fois l’obligation pour les professeurs de lycée et de collège de faire la classe en robe « dans l’intérêt de la discipline et de la gravité de l’enseignement ».
A l’évidence, le port d’un uniforme national dans les établissements scolaires a été historiquement l’affaire des tenants du royalisme ou du bonapartisme, pas de la République. Depuis le début du XXIème siècle, on voit où l’on en est avec nos soi-disant ‘’républicains’’ et leur promotion d’uniformes scolaires ou leur évocation d’une ‘’tenue républicaine’’… Une histoire prétendument ‘’républicaine’’ à rebours !
Et dans l’enseignement primaire ? L’extrême modestie assignée aux ‘’maîtres d’école’’ aboutit à ce que le port de l’uniforme ne les concerne pas. La circulaire du 20 mars 1852 d’Hippolyte Carnot indique même qu’ils doivent « rester fidèles aux traditions de leur enfance et aux coutumes de la population qui les a adoptés. Des vêtements simples et modestes conviennent uniquement ; et, s’ils se permettent quelque recherche, ce ne doit être que celle de la propreté (sic) ». Exit l’uniforme pour eux et sa justification : « l’intérêt de la discipline et la gravité de l’enseignement ». L’idéologie supporte allègrement la contradiction logique, dans le passé comme aujourd’hui…
La détermination du ministre de l’Instruction publique des débuts du règne de Napoléon III ne se limite pas à l’uniforme pour les professeurs, mais concerne aussi le port de la barbe. Il s’agit de ne pas laisser « croître les barbes » qui peuvent être prises alors pour un signe extérieur d’un ‘’républicanisme’’ pourchassé. Hippolyte Fortoul demande aux recteurs et chefs d’établissement de ne pas « souffrir que les professeurs laissent croître leur barbe » (circulaire du 20 mars 1852).
Ne pas rire : un certain Ferry (pas Jules mais Luc) s’est aussi distingué il n’y a pas si longtemps que cela en la matière. Comme le dit l’historien Jean-François Condette en fin de conclusion de l’article dont on s’est ici beaucoup inspiré : « Cette question de la pilosité plus ou moins prononcée des acteurs éducatifs est réapparue épisodiquement. Dans les années 1980, suite à la victoire de la gauche en 1981, nombre d’enseignants se remettent à porter la barbe, dont de nombreux élus à l’Assemblée nationale. En janvier 2004, le ministre de l’Éducation nationale Luc Ferry suscite le débat avec ses propos devant la commission des lois de l’Assemblée nationale sur la pilosité de certains élèves qu’il assimile à des signes ostensibles de prosélytisme religieux, alors que l’on travaille au projet de loi sur l’application de la laïcité dans les établissements scolaires ».
Claude Lelièvre