Son dernier numéro, la revue de Sèvres le consacre à l’enseignement des mathématiques. « L’idée était de dresser un panorama international des différents systèmes d’enseignement des mathématiques », explique Jean-François Chesné, coordonnateur exécutif du CNESCO et de ce numéro de la revue qui paraît trois fois par an. « On a insisté sur le caractère multidimensionnel de l’enseignement de cette discipline », ajoute Joann Yebbou, IGESR et second coordonnateur. « Il s’agissait de sortir de l’analyse interne pour aller vers l’analyse sociétale ».
« L’enseignement des mathématiques fait partie des enjeux prioritaires de tous les systèmes éducatifs » écrit la rédaction de la revue de Sèvres dans un communiqué de présentation de son dernier numéro. « À travers 10 études de cas, réparties sur quatre continents, ce numéro se propose de cerner quelles mathématiques sont enseignées dans le monde et dans quels buts ». Jean-François Chesné et Joann Yebbou ont présenté les différents articles lors d’une conférence de presse le 18 octobre dernier.
L’enseignement des mathématiques, des objectifs politiques
S’il y a un enseignement à retenir c’est que l’enseignement des mathématiques a une histoire et est un enjeu politique, explique Jean-François Chesné, co-coordinateur du numéro. « L’enseignement des mathématiques s’inscrit dans l’histoire avec une visée politique. Cela revient très fortement dans certains articles comme celui de l’Inde, la Chine ou la France ». Les programmes seraient donc moins neutres qu’ils y paraissent selon les auteurs des 10 articles qui composent le dossier. « Le choix des contenus et des méthodes a une importance. Nous n’avions pas forcément conscience de cet aspect. Dans certains articles, comme celui de l’Inde, on note une volonté de reprendre en main les contenus mathématiques par rapport à une histoire coloniale. Lors de la dernière décennie, l’Inde a fait le choix de replacer sa contribution historique dans l’enseignement des mathématiques à travers la méthode védique – une construction typiquement indienne ou hindoue ». C’est ce que Jean-François Chesné nomme « l’Indianité des maths ».
Autre exemple, le Québec dont les résultats à Pisa sont « de qualité ». Le dernier article du dossier y analyse la situation de l’enseignement. L’autrice de l’article qui y est dédié, Claudia Corriveau, décrit une volonté de combiner l’objectif politique à des moyens avec une réforme graduelle et une structure du curriculum conçue pour parler à tous les publics. « Un fonctionnement serein arrivant à un enseignement efficace », explique Jean-François Chesné. « Ils ont des résultats enviables, car l’articulation politique et moyens repose sur certains leviers tels que la continuité de la mise en œuvre des programmes – en douceur, pas de changement radical, en gardant en mémoire les erreurs de la gauche et de la droite et en gardant ce qui va-, la place de la formation des enseignants et de la recherche de la formation – avec des professeurs bien formés en lien avec la recherche-, et la place accordée à la mise en œuvre – avec une gouvernance et une mise en œuvre partagée. C’est inspirant ».
Joann Yebbou, le second coordonnateur du numéro, présente l’article sur l’enseignement des mathématiques en Chine. « En Chine, on parle des mathématiques autrement que dans nos pays. Il y a une forme d’état d’esprit mathématique. Il y a une volonté, une intention, un objectif que le jeune apprenne à regarder le monde de façon systématique ave des outils mathématiques et cela spontanément. C’est ce l’on nomme le « Normalize thinking » ». « Il s’y passe des choses qui valent la peine que l’on s’y penche », ajoute-t-il.
Les coordonnateurs pointent aussi les différences, les nuances dans la façon dont sont appréhendées les mathématiques au Royaume-Uni. Si en Angleterre le curriculum s’adresse à un public trié – avec des tournures formelles, en Écosse, il est écrit en des termes plus simples ou génériques, « un curriculum partageable avec les parents ».
Quant à la France, les auteurs de l’article qui lui est dédié estiment que les faiblesses du système français ont des raisons systémiques. Se limitant aux plus flagrantes, Pierre Arnoux, Michèle Artigue et Nadine Grapin évoquent « une fréquence trop élevée de réformes qui ne permet pas d’atteindre des états d’équilibre, d’évaluer les effets, de mettre en place les régulations nécessaires », « une insuffisance de l’accompagnement dans la durée des évolutions souhaitées avec des moyens appropriés », « une trop grande dépendance à des politiques à court terme qui empêchent la continuité de l’action nécessaire à des effets durables », « un système au fonctionnement encore trop hiérarchisé et qui ne s’appuie pas encore assez sur l’expertise existante dans la communauté mathématiques », « un système de formation des enseignants qui multiplie les réformes (trois en une décennie) sans parvenir à trouver les moyens de combiner des exigences multiples, et dont le caractère consécutif est inadapté pour former les enseignants polyvalents du primaire ».
Lilia Ben Hamouda