Repoussée par l’Assemblée nationale le 4 octobre, l’interdiction de l’écriture inclusive, notamment dans l’enseignement, revient le 30 octobre au Sénat portée par un texte des Républicains. Ceux-ci dénoncent « une novlangue excluante » fruit « d’une démarche militante ». La proposition de loi veut aller plus loin que les circulaires de 2017 et 2021 pour interdire les pronoms iels et imposer l’usage jusque dans les thèses universitaires et les publications émanant de personnes privées chargées d’une mission de service public.
Une proposition de loi au Sénat
La proposition de loi Gruny – Retailleau interdisant l’usage de l’écriture inclusive arrive en séance au Sénat le 30 octobre. Elle a été adoptée en commission de l’éducation du Sénat le 25 octobre par la majorité de droite sénatoriale.
« Les documents qui, en application de la présente loi ou d’une autre disposition législative ou réglementaire, doivent être rédigés en français ne remplissent pas cette condition lorsqu’il y est fait usage de l’écriture dite inclusive, entendue comme désignant les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à introduire des mots grammaticaux constituant des néologismes ou à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine« , précise le texte. « La seconde phrase du premier alinéa du II de l’article L. 121-3 du code de l’éducation est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : « L’usage de l’écriture dite inclusive, au sens de l’article 19-1 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dans les documents qui s’y rapportent, est interdit. Des exceptions à l’usage du français peuvent être justifiées : »« .
Aller plus loin que les circulaires Philippe et Blanquer
Cette proposition de loi vient après deux textes restrictifs. Une circulaire du premier ministre du 21/11/2017 a interdit l’écriture inclusive dans les actes administratifs publiés au Journal officiel. Une circulaire Blanquer du 5 mai 2021 impose « la conformité aux règles grammaticales et syntaxiques » et proscrit « le recours à l’écriture dite inclusive« .
Mais pour les sénateurs Républicains cela ne suffit pas. Ils dénoncent les recommandations du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes et la montée de l’écriture inclusive dans les travaux universitaires. « L’écriture inclusive n’est pas le fruit d’une évolution spontanée mais bien le résultat d’une démarche militante » disent les défenseurs de la proposition de loi.
La proposition de loi prévoit de rendre nuls les documents dont le droit exige qu’ils soient rédigés en français s’il y est fait usage de l’écriture inclusive, au sens étendu de la proposition de loi. Elle en proscrit aussi l’usage dans l’enseignement mais aussi dans les thèses et mémoires. Cela concerne l’usage des pronoms du type iel, al ou ul. Serait interdit aussi l’usage de l’écriture inclusive dans les publications émanant de personnes publiques ou de personnes privées chargées d’une mission de service public.
Des sénateurs socialistes ont déposé des amendements visant la suppression des articles 1 et 2. Pour M Chantrel et ses collègues, » le recours à l’écriture inclusive est de nature à assurer une meilleure visibilité des femmes par la langue et n’entame en rien l’intégrité de la langue française. Le dispositif proposé par l’article 1° est contraire aux termes de la loi du 4 août 2014 relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes qui impose de donner davantage de visibilité aux femmes dans tous les secteurs de la vie publique et les relations du travail. Il est aussi potentiellement contraire à la Constitution dont l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacre la libre communication des pensées et des opinions« .
Des enseignants pour une langue égalitaire
Des enseignants ont marqué leur intérêt pour l’écriture inclusive. On se souvient du Manifeste de 2017 auquel avaient participé 313 enseignant.es et d’une contribution d’Eliane Viennot. Plus récemment, Eléonore Baude invite à enseigner une langue égalitaire dans Le Café pédagogique. « La liberté pédagogique des enseignant.es leur permet d’aiguiser l’esprit critique des élèves en transmettant l’histoire de la langue, en montrant son évolution spontanée, ses hésitations, les choix opérés à marche forcée au sein des sociétés savantes, les variations d’usage selon les pays… En ayant acquis ces connaissances, les élèves sont plus à même de comprendre le fonctionnement du genre dans la langue et de jouer avec son usage« , explique-t-elle. « Il me semble que le plus important est de faire prendre conscience aux élèves que la langue est en perpétuelle évolution. Les élites de l’Ancien Régime en ont fait un instrument de pouvoir en la complexifiant et en la masculinisant. Cependant, faire de l’histoire de la langue avec les élèves leur permet de remarquer qu’elle n’est pas figée, que ce qui a été complexifié et masculinisé peut évoluer. »
Une question qui rebondit depuis l’Assemblée nationale
On croyait la question de l’écriture inclusive tranchée au Parlement depuis le retrait par le Rassemblement national d’une proposition de loi interdisant l’écriture inclusive. Le texte, présenté devant la Commission de l’éducation de l’Assemblée nationale le 4 octobre s’était fait écharper par les députés LFI, socialistes, écologistes, indépendants et Renaissance. La misogynie de la démarche du RN avait été d’autant mieux dénoncée que la proposition de loi était signée en premier par les députés RN suivies humblement par les députées du même parti. Le RN avait fort maladroitement choisi ses références pour justifier son texte, faisant dire à de respectables chercheurs le contraire de ce qu’ils voulaient signifier. Au final, quatre amendements LFI, PS, écologiste et Renaissance avaient été adoptés par la commission demandant la suppression du texte. Le 12 octobre, la proposition de loi était retirée par le Rassemblement national, jugeant qu’il était inutile de s’exposer au ridicule en séance.
Lors de ce débat, Les Républicains s’étaient singularisés par la défense de l’interdiction de l’écriture inclusive et un vote en faveur du texte. « L’écriture inclusive introduit des incohérences et ajoute une complication supplémentaire pour les élèves en phase d’apprentissage. L’ex-ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait souligné ce problème dans une circulaire ministérielle du 6 mai 2021« , rappelait Maxime Minot. » Je déteste la tonalité de ces échanges« , avait déclarée la députée LR Annie Genevard. » L’Académie française a raison, quand elle parle de péril mortel – c’est le terme qui convient… La féminisation des titres est certes importante. Mais quand elle donne lieu à des formes variables, la langue n’est plus le bien commun qu’elle doit être« . C’est cet engagement que l’on retrouve dans la proposition de loi du Sénat. Et c’est un point où droite et extrême droite se retrouvent.
François Jarraud
La proposition de loi sénatoriale
La proposition de loi à l’Assemblée
Manifeste pour l’écriture inclusive