Sylvia Giocanti, professeure des universités, était présidente du jury de Capes-Cafep de philosophie depuis trois ans. Elle aurait dû assurer la présidence encore un an, il est d’usage que les jurys se renouvellent tous les quatre ans. Pourtant, en juillet dernier, elle a reçu un courrier l’informant que l’institution mettait fin à ses fonctions. Elle répond aux questions du Café pédagogique.
Vous avez été évincée de la présidence du jury de Capes-Cafep de philosophie…
En effet, j’ai reçu un courrier en juillet m’informant que je ne présiderai plus au jury de ces concours. Il y est fait état de ma « volonté de m’écarter de l’application des consignes de l’administration visant au bon déroulement des concours ». Il m’est aussi reproché d’avoir « procédé à la promulgation par ordre alphabétique (et non de mérite) des résultats des concours en matinée sans attendre la publication du ministère, en violation des dispositions du dernier alinéa de l’article 18 de l’arrêté du 25 janvier 2021 fixant les modalités d’organisation des concours ». Les publications des résultats – sur le site du ministère et en présentiel – doivent être simultanées. Le jury avait envoyé les documents à 16 heures la veille, j’avais confirmé, à la demande du ministère, que je promulguerais les résultats à 10 heures, horaire fixé de longue date. Les candidats et candidates étaient présents pour entendre les résultats, mais aussi pour rencontrer les membres du jury et comprendre les raisons de leur échec, pour ceux qui ne l’ont pas réussi. Le ministère connaissait notre organisation, ils ne m’ont pas informée que les résultats ne seraient mis en ligne qu’à 15 heures. J’y vois une forme de stratagème pour me mettre en difficulté.
Ne recevant pas les listes signées par le ministère, j’ai attendu une heure puis j’ai promulgué les résultats en précisant bien que c’était sous réserve de l’officialisation du ministère. Il n’y a eu aucune erreur, bien heureusement.
Mais la raison réelle, c’est le reproche qui m’est fait de m’écarter à « plusieurs reprises de l’application des consignes de l’administration visant au bon déroulement des concours »
Quels sont donc ces écarts qui vous sont reprochés ?
On me reproche mon indépendance, qui appartient normalement à toute présidence de jury de concours. On me demande, on nous demande, une application des textes sans aucune marge de liberté dans l’interprétation même de ces textes.
Par exemple, selon l’administration, lors des entretiens professionnels des candidats, on devrait exclure toute évaluation de type disciplinaire, en lien donc avec les compétences en philosophie. Leur idée c’est qu’il y a contradiction entre l’évaluation des savoirs et l’évaluation professionnelle. Pour eux, la professionnalité se résume à l’attitude à avoir en classe avec les élèves.
Lors de l’épreuve professionnelle, on interroge les candidats sur la conduite à tenir si un élève remet en cause certains principes, tels que la laïcité ou l’égalité. Face à la contestation possible des valeurs de la république – déclinée dans plusieurs situations, l’institution attend des futurs enseignants qu’ils convoquent les différents textes réglementaires – au sens de la loi et de l’établissement, pour une application sans réflexion. Elle attend d’eux qu’ils déploient des attitudes toutes prêtes en tant que fonctionnaire. Ils refusent qu’il y ait également une analyse philosophique de ces situations. Pour l’institution, c’est un écart. La posture institutionnelle est à l’encontre même du principe d’éducation.
On attend donc des professeurs qu’ils appliquent les directives, qu’ils prêtent allégeance, qu’ils montrent qu’ils obéissent à la loi de l’État et au règlement de l’établissement. Ils refusent les initiatives personnelles qui viennent de la discipline (enseignée) elle-même. Finalement, le simple fait d’analyser, de discuter, c’est faire preuve d’insoumission, c’est se rebeller.
En tant que jury, on trouve cela inacceptable. Pour sortir du conflit, il ne s’agit pas seulement de faire un rappel à l’ordre, mais aussi d’expliquer, de répondre de manière avisée aux objections
Mais pourquoi ne pas appliquer les directives ?
Si on demande à un professeur des universités de présider un jury de concours, c’est parce que justement c’est une personne indépendante, non inféodée à l’institution. Avoir un universitaire permet, d’une part, d’avoir une caution scientifique du point de vue disciplinaire et d’autre part, dans le cadre d’une société démocratique, d’avoir un esprit critique qui s’exerce par rapport à l’institution. La mission n’est pas celle d’une pure obéissance.
Je dépends d’un autre ministère, pour moi assurer la présidence, c’est faire preuve de dévouement, c’est servir l’institution autrement que par l’adoption d’une attitude de soumission.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda