« Les géographes font habituellement profession d’étudier et d’interpréter l’espace des sociétés contemporaines; il s’agit ici de faire usage de leurs outils en les transférant à la compréhension du passé ». Christian Grataloup publie un livre mi-atlas , mi-récit qui parlera aux professeurs d’histoire-géographie. On y trouvera la saga de Sapiens et de l’humanisation de la planète, la construction d’un monde axé sur l’Eufrasie, la fabrique du Sud, jusqu’à l’ère du carbone fossile. Un récit très documenté où l’auteur s’essaie à l’histoire contrefactuelle (si les bateaux de Moctezuma ou ceux de Zhang He avaient unifié le monde…) appuyé sur un magnifique atlas. Christian Grataloup revient sur cette publication dans cet entretien.
Votre nouveau livre est une « géohistoire ». Est-ce une histoire déterminée par la géographie ? Une lecture géographique du passé ?
L’expression a été forgée par l’historien Fernand Braudel. Entre ces deux définitions, je prendrais la seconde, quoique le mot « passé » me semble moins dynamique qu’histoire ou dynamique des sociétés. Je récuse le déterminisme. Le déterminisme géographique est un ennemi des historiens, même s’il ne faut oublier ni les contraintes spatiales ni celles de l’environnement.
Vous avez publié il y a une vingtaine d’années une « Géohistoire de la mondialisation ». Celle-ci est encore bien présente dans l’ouvrage avec notamment la problématique du monde et des mondes. Qu’est ce qui a changé dans votre réflexion entre ces deux ouvrages ?
Les problématiques ont changé et il manque dans l’ouvrage de 2007, qui était destiné à des étudiants, une dimension environnementale. Ce nouveau livre fait suite à l’Atlas historique de la terre. C’est un ouvrage pour le grand public, même s’il est sérieux. Je crois qu’aujourd’hui une partie du grand public éprouve le besoin d’une mise en perspective de notre présent et de notre avenir, d’une compréhension de la façon dont notre espèce s’est appropriée la planète.
Dans cette Géohistoire vous accordez une large place dans l’atlas et le texte à l’histoire environnementale. Par exemple à l’évolution des biomes ou des usages de la Terre. L’environnement décide de l’histoire ?
Pas vraiment. Il peut ne pas changer pendant des millénaires alors qu’il se passe ds processus historiques. Un bon exemple est donné par le néolithique. On a une situation postglaciaire qui s’était déjà produite au moins une autre fois il y a 120 000 ans. Sapiens était déjà là mais on n’a pas de trace archéologique qui donne du néolithique. Les groupes humains de l’époque n’étaient pas dans la situation de ceux d’il y a 20 000 ans. C’est l’histoire sociale qui prime avec des sociétés qui utilisent ou pas des aspects du globe lequel a sa propre histoire. Sur ce point je me sens un héritier de Lucien Febvre et son « possibilisme » via Braudel.
Par exemple, vous retracez l’histoire des domestications des animaux et des végétaux. Qu’est ce que cela apprend de l’histoire des hommes ?
On est typiquement dans une histoire des possibles. Dans l’Ancien monde on a domestiqué à la fois des plantes et de grands animaux. Dans le Nouveau monde on a domestiqué des plantes importantes mais pas de grand mammifère. Soit ils n’étaient pas domesticables. Soit les sociétés n’ont pas essayé de le faire. Or cette différence va jouer un grand rôle dans la main mise de l’Europe sur l’Amérique. La maitrise des animaux, par exemple le cheval, a modifié le processus historique.
L’ouvrage accorde une large place à l’histoire contrefactuelle, par exemple que se serait-il passé par exemple si le Sud avait décidé des Nords ? Est-ce une démarche de géographe ?
L’histoire est très cloisonnée en périodes et en thèmes. Mais l’histoire contrefactuelle est maintenant admise comme une sorte de laboratoire ou d’expérimentation. Que l’on pense par exemple à « Pour une histoire des possibles » de Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou. C’est quelque chose qui a été développé aux Etats-Unis avec de vraies simulations. Les géographes y font plus facilement appel car ils construisent des modèles. Pour moi c’est en étant géographe que je faire l’histoire que je veux.
Aujourd’hui on veut ramener l’enseignement de l’histoire à celle des grands hommes et aux récits nationaux. Il y a-t-il encore de la place en classe pour la géohistoire ?
Le terme apparait de plus en plus dans les programmes et les manuels. Beaucoup d’enseignants s’y référent. Certains me l’ont dit aux Rendez vous de l’histoire de Blois il y a quelques jours. Une université (Evry) crée un poste de maitre de conférences fléché en géohistoire. Donc la situation n’est pas si mauvaise que cela.
Mais il y a bien une demande chez des politiques et dans une partie de la société pour un retour aux romans nationaux. Je m’étais positionné sur ce sujet dans « L’Atlas historique de la France ». Il est important d’apporter des réponses aux demandes de compréhension du monde dans lequel on s’insère et de la planète sur laquelle on vit. C’est à quoi essaie de répondre la géohistoire.
Propos recueillis par François Jarraud
Christian Grataloup, Géohistoire. Une autre histoire des humains sur la Terre. Les arènes. 24€. ISBN 979-10-375-1015-0.En librairie à partir du 19 octobre.
C Grataloup : l’atlas historique de la Terre