Avec « Marie-Line et son juge », aux côtés du comédien Michel Blanc, sous la direction de Jean-Pierre Améris, Louane Emera prend le risque d’une nouvelle aventure sur grand écran avec une énergie désarmante. Chanteuse et musicienne, candidate remarquée de ‘The Voice’, lauréate d’une Victoire de la musique, jeune actrice et César du meilleur espoir féminin pour un des plus grands succès au box office du cinéma français, « La Famille Bélier » d’Eric Lartigau (2014, 7 millions 500 mille spectateurs), l’artiste populaire aux talents multiples adopte immédiatement le rôle offert par le cinéaste ‘sans rien connaître de son travail’. Pour son 14ème long métrage depuis « Le Bateau de mariage » en 1992, Jean-Pierre Améris, également scénariste, documentariste et auteur pour la télévision, imagine avec sa scénariste Marion Michau, une adaptation du roman de Murielle Magellan ‘Changer le sens des rivières’. Et une évidence s’impose au fil de l’écriture : il a trouvé son héroïne en la personne de Louane Emera. Simplicité de l’argument : une serveuse à la pulsion de vie démonstrative mais sans aucune perspective professionnelle rencontre un juge peu aimable au moral dans les chaussettes, lequel embauche la sacrée gamine comme ‘chauffeur’. Une confrontation sociale et affective aux conséquences inestimables, pour l’une comme pour l’autre. Et, à l’horizon, une comédie stimulante, sans ostentation, pleine de charme et d’humanité.
Marie-Line, pêche d’enfer, avenir bouché
Chevelure rose, minijupe trash et croquenots ouverts, Marie-Line (Louana Emera, épatante de justesse) ne passe pas inaperçue où qu’elle aille, dans le bar où elle travaille comme serveuse, dans la rue où elle avance d’un pas déterminé, le nez au vent et l’air joyeux. Pourtant cette sacrée gamine n’est pas gâtée par la vie. Depuis le décès de sa femme, le père sans travail (Philippe Rebotte) sombre à vue d’œil et rabroue sa fille remuante à tout bout de champ. Un rire de trop et une maladresse dans le service au café, -le temps d’y tomber amoureuse d’Alexandre (Victor Belmondo, tout en finesse), étudiant fou de cinéma, rêvant de devenir réalisateur-, et l’amoureuse se retrouve virée et ‘condamnée’ à d’autres petits boulots précaires et mal payés.
Nous tairons les circonstances (sociales, culturelles et affectives) qui mènent notre héroïne battante à la rupture avec le garçon fan de François Truffaut et à la condamnation par la justice à une amende de 1 500 euros dont la justiciable n’a pas le premier centime.
C’est dans la rue encore que celle qui n’a rien aborde sans ménagement, mettant ses pas dans les pas de l’autre, ‘son’ juge (Michel Blanc, interprétation tenue, toute en nuances).
Dédaignée, dans un premier temps, par un homme rigide, engoncé dans son imperméable gris souris et ses certitudes morales, Marie-Line s’obstine, affichant et son dénuement financier et son fatalisme brut de décoffrage. Des affirmations qui font sortir son interlocuteur peu avenant d’une indifférence fabriquée.
Et le dialogue entre la ‘petite’ délinquante à la parole facile et l’homme de loi laconique et sentencieux s’établit. Jusqu’à la proposition incongrue : le juge embauche, pour un mois et le salaire équivalent à l’amende à payer, Marie-Line comme ‘chauffeur’.
Le juge et son employée occasionnelle, du fossé culturel à l’épanouissement mutuel
Une personne aux origines modestes est-elle vouée immanquablement à une existence dépourvue d’accès à la connaissance, d’aspiration à un dépassement de soi et d’ouverture à d’autres horizons ? Le cinéaste Jean-Pierre Améris sait de quoi il parle et connaît, d’expérience, ceux qu’il filme depuis ses débuts dans le métier, avant même sa réussite en 1987 au concours de l’IDHEC (l’équivalent de la FEMIS d’aujourd’hui, prestigieuse école de formation et creuset de talents). Lui qui revendique sa responsabilité vis-à-vis des spectateurs et doit tout au ‘cinéma qui lui a sauvé la vie à l’adolescence’.
L’ambition de « Marie-Line et son juge » entre en résonance avec le parcours personnel et professionnel de son auteur. Cette comédie ‘intelligente’ comme la définit le comédien Michel Blanc prend sous nos yeux modestement des allures de fable morale à connotation politique. Sans juger ses personnages principaux, la fiction plaide pour la libération de chacun des limites, sociales, culturelles, pour l’une, des entraves émotionnelles et affectives pour l’autre. Des carcans qui font obstacle à leur émancipation.
Grâce à ses interprètes, Louane Emera, époustouflante d’énergie et de profondeur, et Michel Blanc, déployant une palette d’émotions rentrées jusqu’à leur éclosion, « Marie-Line et son juge », porté par la mise en scène précise et délicate de Jean-Pierre Améris, nous propose une fiction revigorante qui tourne le dos au cynisme et à la résignation. Autrement dit : par les temps qui courent, un spectacle qui n’a pas de prix.
Samra Bonvoisin
« Marie-Line et son juge », film de Jean-Pierre Améris-sortie le 11 octobre 2023