Dans son dernier rapport publié mardi 3 octobre, « Les politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes », France Stratégie revient sur la mobilité sociale des jeunes en fonction de leur origine sociale. L’institution, placée sous la responsabilité de Matignon, qui analyse ici l’efficacité des politiques publiques en la matière, déplore que la question de la mobilité sociale n’apparaisse pas « parmi les objectifs explicitement assignés aux politiques publiques ». « L’origine sociale influe sur les parcours éducatifs et in fine sur la position et la mobilité sociales par plusieurs canaux dont les effets se cumulent : le capital économique des parents, leur capital culturel, informationnel, le lieu de résidence, les aspirations des jeunes, etc », écrit-elle.
Le poids de l’origine sociale sur les diplômes des jeunes
« Parachevant des parcours scolaires nettement marqués par l’origine sociale, le diplôme diffère fortement, tant par son niveau que par son type, selon le milieu social dans lequel les jeunes ont grandi », confirme France Stratégie qui convient qu’en 40 ans, « la part des jeunes d’origine modeste diplômés du supérieur s’est accrue dans un contexte d’élévation générale du niveau de formation ».
Pour autant, le type de formation universitaire est fortement corrélé à l’origine sociale. Un enfant de cadre a 2,4 fois plus de chance d’obtenir un bac+5 qu’un jeune issu d’une famille d’employés, et 4,3 plus qu’un jeune issu d’un foyer ouvrier. « Les enfants de cadres, de professions intermédiaires ou d’indépendants restent beaucoup plus fréquemment diplômés de l’enseignement supérieur que les enfants d’ouvriers ou d’employés, et ils le sont dans les formations les plus longues (bac+5 et au-delà) et les plus sélectives (écoles d’ingénieurs, de commerce, grandes écoles). Ainsi, la part des jeunes diplômés du supérieur long (bac+5 et au-delà) est de loin la plus élevée chez les jeunes issus de familles à dominante cadre (48 % et même 55 % chez les jeunes dont les deux parents sont cadres) et elle diminue à mesure que l’on descend l’échelle sociale : 31 % pour les jeunes issus de familles à dominante intermédiaire, 20 % pour les jeunes dont la famille est à dominante employée et de l’ordre de 10 % pour les jeunes issus des ménages les plus modestes (dont les familles à dominante ouvrière) ». Cette disparité du niveau de diplôme en fonction de l’origine sociale se traduit ensuite sur le marché de l’emploi.
L’emploi marqué lui aussi par l’origine sociale
Si les perspectives de promotion sociale se sont améliorées depuis trente-cinq ans pour tous les jeunes, cette progression de la mobilité sociale s’est interrompue depuis le début de la décennie 2000, déclare les auteurs et autrices du rapport. Entre 1983 et 2019, l’augmentation de la part des emplois de profession intermédiaire, cadres et professions intellectuelles supérieures (CPIS) a bénéficié aux jeunes de toutes les origines sociales. « La proportion de jeunes hommes qui, cinq à huit ans après la fin de leurs études initiales, ont accédé à un emploi de CPIS ou de profession intermédiaire est ainsi passée de 15 % en 1983 à 26 % en 2019 parmi les fils d’ouvrier, et de 66 % à 73 % pour les fils de cadre. Parmi les jeunes femmes, la proportion est passée de 14 % à 34 % pour les filles d’ouvrier et de 57 % à 77 % parmi les filles de cadre » écrit France Stratégie.
Alors que d’une génération à l’autre, les mobilités sociales sont loin d’être « négligeables », la « reproduction sociale reste marquée : les jeunes occupent souvent la même position que leurs parents à la fois dans la hiérarchie sociale et dans l’échelle des revenus ». Si 80% des enfants fils de cadres exercent un emploi de cadre ou de profession intellectuelle cinq à huit ans après leurs études, 69% des jeunes issus de familles d’ouvriers occupent un emploi d’ouvrier ou d’employé. Une reproduction que l’on retrouve aussi dans les revenus. Plus les familles des jeunes sont aisées, plus ils ont de chances d’avoir des revenus en haut de l’échelle (34% des jeunes des 20% des familles les plus aisées). 34%,de ceux issus de famille en bas de l’échelle occupent la même position sur l’échelle des revenus, « ils ne sont que 12% à se hisser en haut de l’échelle des revenus ». « Un jeune issu d’une famille parmi les 20 % les plus aisées a en moyenne trois fois plus de chances qu’un jeune de famille modeste de figurer parmi les 20 % les plus aisés de sa génération ».
Si le diplôme occupe une part importante dans la possibilité d’occuper un poste en haut de la hiérarchie sociale, il n’est pas « la seule cause des disparités de position et de mobilité sociale ». Ainsi, à diplôme équivalent, un enfant d’ouvriers a 20% de chances en moins d’accéder à la catégorie de cadre qu’un enfant d’employés, qui lui a 1,3 fois moins de chance d’y accéder qu’un enfant de deux cadres. « Ces résultats suggèrent que les politiques qui visent à élever le niveau de diplôme des jeunes sont indispensables, mais non suffisantes pour assurer à tous les jeunes, notamment ceux d’origine modeste diplômés du supérieur, une possibilité de mobilité sociale et l’accès à une catégorie sociale correspondant à leur niveau de diplôme et à leurs ambitions. D’autres facteurs, tels que les opportunités d’emploi qui sont pour partie fonction de la structure productive du lieu où vit le jeune, ou sa capacité à être mobile, jouent également un rôle », conclut France Stratégie.
Les politiques publiques visant à réduire les inégalités sociales
France Stratégie a analysé les politiques publiques en matière d’éducation, mais aussi celles « visant à desserrer le lien entre parcours éducatif et position sociale, qui pourraient aussi favoriser la mobilité sociale au cours de la vie professionnelle : dispositifs de lutte contre le décrochage, de « deuxième chance » et d’accès à la formation professionnelle des jeunes ». L’institut a cherché « à recenser celles (les politiques publiques) qui permettent spécifiquement de réduire les inégalités sociales affectant le destin des jeunes issus de milieu modeste et qui, de ce fait, peuvent favoriser leur mobilité sociale. En effet, les politiques publiques de l’éducation, comme de l’emploi, prises dans leur globalité, ne parviennent pas complètement à cet objectif. Si sans elles, la situation de ces jeunes se serait encore détériorée, et si l’analyse rétrospective sur quarante ans montre les progrès réalisés, elles ne permettent toujours pas d’inverser cette tendance : un jeune issu de milieu modeste a toujours moins de chances de sortir diplômé du système de formation initiale (en particulier du supérieur) et moins de chances d’obtenir un emploi de cadre qu’un jeune issu d’une famille à dominante cadre ».
Ainsi, France Stratégie recense pas moins de 50 dispositifs en faveur de la mobilité sociale. La moitié d’entre eux sont du champ de l’éducation : dédoublements en REP, points bonus aux boursiers pour l’affectation en collège et lycée, école ouverte, vacances apprenantes, cité éducative, devoirs faits, internats d’excellence …
Pour autant, les budgets en faveur de la mobilité sociale sont loin d’être suffisants. Si 13 milliards d’euros sont alloués spécifiquement à la mobilité sociale des jeunes (à travers les 50 dispositifs), cela ne représente que 12,5% de l’ensemble des dépenses publiques de l’État identifiées comme des « politiques en faveur de la jeunesse », soit 105 milliards en 2022. « Sur 100 euros de moyens mobilisés en faveur de la mobilité des jeunes, 49 concernent l’éducation, 40 euros pour favoriser l’insertion des jeunes) et 11 euros sont consacrés à d’autres politiques (pass culture, service civique…) ».
De cette hétérogénéité de dispositifs ressortent « trois faits marquants » selon France Stratégie. « Une action publique largement dispersée aux moyens globalement modestes… 15 dispositifs représentent près de 95 % des sommes engagées et 30 dispositifs à peine 500 millions d’euros ». L’éclatement de ces dispositifs entre différents ministères « nuit à la lisibilité de l’action publique, pour les jeunes comme pour les acteurs en charge de les accompagner ». « Une approche largement curative… Ces dispositifs s’attèlent à réparer ce que les politiques publiques de l’éducation et de l’emploi ont du mal à atteindre : l’égalité des chances. La part importante des dépenses consacrées à l’éducation – sur les 13 milliards d’euros comme dans le périmètre large (puisqu’elles pèsent plus de 80 % du total) – répond au poids des parcours scolaires dans la formation de ces inégalités ». Les auteurs et autrices proposent de s’interroger plus « structurellement les racines de ces inégalités, comme la ségrégation scolaire ou la pauvreté des familles, qui dépassent pour partie le champ de l’éducation ». « Un manque d’articulation et de coordination entre ces dispositifs. Si les politiques publiques ayant pour objectif explicite la mobilité sociale sont rares, face aux inégalités sociales constatées en matière de réussite scolaire, d’orientation, ou d’insertion dans l’emploi, nombre de dispositifs publics cherchent, chacun dans son champ, à réduire le poids des déterminants socioéconomiques et à garantir l’égalité des chances entre tous les jeunes. Faire de cet objectif de mobilité sociale un objectif explicite des politiques publiques passe sans doute par un meilleur calibrage et une plus grande articulation de ces dispositifs pour en accroître l’efficacité et les synergies ».
Cinq politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes
Sur les cinq politiques publiques en faveur de la mobilité, France Stratégie incite à accroître la mixité sociale à l’école en premier lieu. « L’exposition des élèves de milieu social défavorisé ou faible scolairement à des pairs plus favorisés a des effets sur les performances à court terme relativement mesurés, et des bénéfices de moyen et long termes importants (réduction du décrochage scolaire, amélioration des trajectoires scolaires et professionnelles). Les mesures visant la mixité sociale et scolaire dans l’enseignement ont donc un effet positif potentiel important sur la mobilité sociale des jeunes défavorisés ». Pour une meilleure mixité, l’institut plaide pour « instaurer un pilotage national à haut niveau des politiques de mixité, renforcer l’attractivité des établissements les plus défavorisés ; agir sur la sectorisation dans chaque académie ; intégrer plus systématiquement des objectifs de mixité dans les critères d’affectation (par exemple dans le cadre de la procédure Affelnet dans chaque région) ; faire contribuer le secteur privé sous contrat aux objectifs de mixité ». Pour rappel, Pap Ndiaye, le précédent ministre de l’Éducation nationale avait pour objectif un ambitieux Plan mixité. Qui finalement n’a eu d’ambitieux que le nom. À croire que ce n’était pas sous un gouvernement d’Élisabeth Borne.
Pour favoriser l’accès à l’enseignement supérieur, France Stratégie appelle à une révision de calcul des quotas de boursiers dans le supérieur, « à la nécessité de politiques volontaristes et non passives des établissements », et à « l’anonymisation du lycée d’origine ».
Mieux articuler l’obligation de formation pour les 16-18 ans et les dispositifs de deuxième chance, faire de l’apprentissage un levier de mobilité sociale et encourager le recours à la formation continue des jeunes les moins qualifiés sont les trois autres politiques publiques que l’institut appelle à développer.
Lilia Ben Hamouda