Rachel Harent est professeure des écoles, elle pratique depuis de nombreuses années le coenseignement, notamment à travers le dispositif Plus de maîtres que de classes – enterré par Jean-Michel Blanquer. Elle signe le livre « Le coenseignement en pratique » qui répond à l’aspiration de nombreux enseignants en quête d’approches plus collaboratives et plus proches des besoins des élèves. Cet ouvrage fait la synthèse des recherches menées sur le sujet en proposant des clés pratiques pour la mise en œuvre : quelle forme choisir, comment être complémentaire, comment communiquer… ? Elle répond aux questions du Café pédagogique.
Qu’est-ce que le coenseignement ?
Le coenseignement est tout d’abord un concept mis en évidence par les chercheurs américains J. Bauwens, J.J. Hourcade & M. Friend (1989) et L. Cook & M. Friend (1995). Il est la traduction de « co-teaching ». Il est le fait d’avoir deux – ou plusieurs – enseignants en classe, en même temps et devant les mêmes élèves. Le binôme – dans les faits il est rare d’avoir plus de 2 enseignants – est composé soit de deux enseignants non spécialisés, soit d’un enseignant non spécialisé et d’un spécialisé – coordonnateur Ulis, Segpa, Rased, UPE2A.
En France, dans les textes officiels, c’est le terme de « co-intervention » qui est privilégié. Mais pour le titre du livre, nous lui avons préféré celui de « coenseignement » pour éviter la confusion avec d’autres types de co-intervention – avec les Atsem, les AESH, les intervenants extérieurs, qui ne sont pas des enseignants.
Le coenseignement, parfois présenté comme une innovation, est surtout une autre façon de penser l’enseignement. Le professeur n’est plus seul en classe et cela change beaucoup de choses, tant dans la conception des cours que dans la relation aux élèves, aux parents et aux autres collègues !
En quoi est-ce une démarche pédagogique particulière ?
Il se caractérise en effet par une démarche pédagogique particulière dans le sens où c’est un processus d’enseignement à deux, qui inclut coplanification des cours, coanimation – co-instruction – de la séance, cobilan entre enseignants et coévolution des élèves. Les enseignants deviennent coresponsables de la classe, parfois sur l’année entière – regroupement de deux classes, ou sur des temps donnés – une fois par jour, une fois par semaine sur une ou plusieurs périodes.
Le coenseignement, c’est aussi ne plus être seul en classe : il transforme la norme professionnelle du « seul maitre à bord ». De ce fait, il sort les enseignants de leur isolement, augmente leur sentiment d’efficacité grâce aux interactions, aux échanges, aux partages qu’ils opèrent, et favorise le développement professionnel.
Le coenseignement permet une complémentarité entre les enseignants et apporte ainsi plus de souplesse dans l’organisation pédagogique de la classe. Il facilite un enseignement au plus proche des besoins des élèves, que ceux-ci soient en difficulté ou au contraire aient besoin d’aller plus loin. En effet, il rend plus aisé un travail en groupes différenciés – avec anticipation, remédiation, entrainement ou extension des contenus enseignés, ou un travail en ateliers – manipulation, production d’écrits, travail de l’oral, … Il facilite également l’observation des élèves au travail : comment ils entrent dans la tâche, quelles procédures et stratégies ils utilisent, à quels endroits ils rencontrent des obstacles, etc. Ce qui, en retour, donne de l’information aux professeurs pour mieux répondre aux besoins et ainsi mieux enseigner. Le coenseignement s’est d’ailleurs développé dans l’optique de répondre aux attentes de l’école inclusive.
Aujourd’hui, beaucoup de classes dédoublées en éducation prioritaire accueillent deux enseignants. Parfois, ils se rencontrent le jour de la prérentrée. Est-ce que coenseigner peut s’improviser ?
Quand on n’a pas le choix, on saute dans le grand bain, on voit ce qui se passe et on essaie de tirer bénéfice de l’expérience ! Ce n’est, bien sûr, pas la meilleure des conditions. Si enseigner s’apprend, coenseigner s’apprend également. Et c’est aussi pour cela que nous avons voulu écrire ce livre, pour aider les enseignants – et les formateurs – à comprendre ce qu’est le coenseignement, et leur donner des pistes de mise en œuvre.
Aujourd’hui sept configurations de travail à deux en classe sont décrites : l’enseignement en tandem, l’un enseigne/l’autre observe, l’un enseigne/l’autre aide, les deux aident, l’enseignement en ateliers, l’enseignement en groupes différenciés, l’enseignement en parallèle. Aucune forme n’est préférable à une autre, cependant chacune a ses caractéristiques, ses intérêts et ses limites en fonction du type de savoirs que l’on veut offrir à ses élèves. Diversifier ses approches pédagogiques et didactiques, et donc travailler ces sept configurations, c’est ce qui est, aujourd’hui, reconnu comme la meilleure des démarches pour que chacun des élèves y trouve son compte et apprenne dans les meilleures conditions.
Coenseigner va toutefois nécessiter des ajustements : je ne suis plus seul en classe et je dois tenir compte de mon collègue, de ce qu’il propose, de ce qu’il sait faire, de ce qu’il a envie de faire. Le temps de coplanification va permettre d’en discuter. Mais les ajustements c’est aussi au sein de la classe qu’ils se réalisent. La classe est un milieu vivant qui nécessite de s’ajuster constamment aux imprévus, aux réactions des élèves, à leur compréhension ou non de la tâche, etc. Dans le coenseignement il faut aussi s’ajuster au collègue, à ses réactions, à ses propositions didactiques non anticipées, s’ajuster pour trouver un équilibre entre les deux. Il y aura toujours une forme d’improvisation au sens où tout ne peut jamais être prévu dans le moindre détail. L’important c’est d’en discuter en toute sérénité.
Une des principales inquiétudes des coenseignant débutants c’est le regard du collègue et la peur du jugement. Il faut réussir à dépasser ça et se dire qu’on est coresponsable de la classe et à égalité. Il n’y en a pas un meilleur que l’autre, on a chacun ses qualités (et ses faiblesses), on est complémentaire – c’est un gros avantage, et on sait qu’on fera certainement des erreurs – parce que rien n’est jamais parfait. Mais que, si on se trompe, c’est à deux qu’on se trompe, et si on réussit c’est à deux qu’on réussit.
Quels conseils donneriez-vous à des enseignants qui veulent se lancer ou à ceux contraints de le faire ?
Osez ! Coenseigner n’est pas enseigner. Démarrer un coenseignement c’est un peu comme démarrer un nouveau métier. Vous arrivez avec une expérience professionnelle déjà acquise mais vous ferez aussi plein de belles découvertes. De nombreux enseignants interrogés dans le cadre de recherches disent que les débuts n’ont pas toujours été simples – il faut laisser de la place à son collègue, trouver ses marques, le temps de copréparation est important au début, mais que coenseigner a été pour eux un nouveau souffle, un moyen de réenchanter le métier, notamment parce que ça les a sorti d’un certain isolement professionnel – face à une difficulté, on est à deux, on se soutient. Ils déclarent également que le coenseignement a accru leurs connaissances et a diversifié leur manière de faire, que le fait de discuter, partager, échanger et de voir le collègue faire classe procure un apprentissage vicariant, et qu’ils se sentent plus compétents ensuite.
Osez parler pédagogie ! Coenseigner nécessite de discuter ses façons de faire, ses manières d’être, ses supports, ses outils pédagogiques, sa conception du métier, sa représentation des élèves, ses attentes, sa relation à l’institution, son rapport au savoir, etc. Le diable est dans les détails, et c’est souvent de petites choses qui deviennent le grain de sable dans le rouage. Les temps de concertation réguliers où les détails et les accros sont discutés sont aussi importants que les temps d’échange entre deux portes. Osez-vous étonner de ce que vous voyez, entendez, observez et discutez-en !
Formez-vous ! Se former c’est enrichir ses connaissances. Cela aide à lever certains freins, à éviter certains obstacles, à être plus rapidement efficace. Bref, à entrer dans l’action en connaissance de cause. Nous avons notamment repéré huit actions à mettre en œuvre pour « faire coenseignement », qui sont décrites et outillées dans l’ouvrage : construire une relation professionnelle, utiliser un vocabulaire inclusif, communiquer, établir la parité, connaître les forces et les faiblesses de chacun, oser prendre des risques, être flexible, apprendre ensemble.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Rachel Harent. Le coenseignement en pratique. Retz, 2023