Les récentes annonces ministérielles sur la formation continue des enseignants hors temps de classe ont déclenché un flot de réactions, souvent outrées qu’on imagine que la formation soit renvoyée aux marges du métier. Mais elles furent parfois cinglantes jusqu’à la caricature : « Le plus désespérant concernant les formations est qu’ils en ont fait une chose inutile et détestable que leur suppression ou diminution se fait sous les hourras des collègues ». Le propre de tout propos radical, c’est qu’il doit faire réfléchir celui qui le conteste, et je vais essayer de le prendre au mot, après quelques rappels selon moi nécessaires, même quand ils piquent un peu.
La formation continue, tout le monde la veut, mais personne ne sait mesurer son efficacité
Le récent ouvrage[1] coordonné par B. Galand et M. Janosz le rappelle, les études faisant la corrélation entre formation, évolution des pratiques et progrès des élèves sont peu nombreuses et peu concluantes. La littérature utilise à tour de bras l’expression « développement professionnel » sans en étudier beaucoup les conditions. Sans entrer pour l’instant dans les conditions de sa faisabilité, la formation continue est en effet tiraillée entre des prescriptions très antagonistes : pour certains, elle est le moyen de diffuser les « bonnes pratiques », dans une démarche de l’évidence based : « nous savons ce qui marche, ils doivent changer leurs pratiques pour le faire ». A l’opposé, ceux qui pensent que diffuser des connaissances ou des bonnes pratiques ne suffit pas, qu’il faut permettre aux formés de faire l’expérience de réussites, qu’il faut proposer des outils pour y parvenir, mais aussi des espaces de controverses, de débats professionnels. Nous y reviendrons.
Un espace impossible ?
Mais avant de développer le « comment », essayons de préciser les difficultés du « quand » à partir de l’histoire des statuts et condition d’exercice des enseignants du premier et du second degré. Si les deux statuts définissent des temps de présence « face élèves » (27, 24, 18, 15h par semaine…), celui du premier degré a évolué spécifiquement : la création de postes de « titulaires-mobiles » remplaçant les enseignants absents pour suivre une formation selon un plan annuel établi par les directions académiques, et la définition d’un service en « 24+3 », dans lequel trois heures existent pour se consacrer à du travail collectif, soit dans l’école, soit pour de la formation. Évidemment, durant les dernières années, ce nombre de remplaçants a été considérablement rogné par les suppressions d’emplois, entrainant une baisse conséquente de l’offre de formation continue, et la charge qui pèse sur le 3h de « concertation » fortement augmentée pour y faire passer toutes sortes de missions. Mais disons que sur le principe, les syndicats peuvent revendiquer l’augmentation des postes de titulaires-mobiles formation pour augmenter le volume d’heures disponibles.
Dans le second degré, la situation est plus complexe : cette possibilité n’existe pas, et le service des enseignants du second degré ne réfère qu’aux nombre d’heures face élèves. Depuis plusieurs décennies, l’évolution des charges de travail collectif dans les établissements reste dans le flou : soit rémunérée sous forme d’heures supplémentaires, soit laissées à l’appréciation de l’engagement individuel. La question de la place de la formation continue, individuelle ou collective, reste entière.
Depuis 2014, la réfondation de la politique de l’éducation prioritaire donna d’ailleurs matière à une étude de cas intéressante, puisque c’était la première fois qu’un dispositif prévoyait pour tous les personnels concernés de REP+ (premier et second degré) un temps fléché pris sur le temps face élève (et donc remplacé pour les élèves du second degré). La création de « formateurs éducation prioritaire » devait aussi permettre de dégager des moyens (certes insuffisants) pour accompagner ces temps. Làs, le réel ne fut pas un tapis de rose : certains considérèrent que le temps dégagé était la marque de l’allègement du service pour cause de pénibilité, l’articulation des temps entre premier et second degré resta souvent difficile, et le travail des FEP ne fut pas toujours facile, tant il était parfois difficile d’imaginer des formateurs trop indépendants de la tutelle des IEN ou des IA-IPR…
Cela amène à aborder la manière dont les plans de formation sont définis, notamment dans le second degré, dans une historique division entre le « disciplinaire », sous la responsabilité des inspecteurs, et le « transversal », souvent d’initiative locale à la demande des établissements, auquel s’ajoute désormais des « priorités nationales » (devoirs faits, harcèlement, laïcité…). Or, cette dichotomie a de moins en moins de sens : travailler les devoirs sans questionner la nature de ce qui est difficile à faire pour l’élève (et pour l’accompagnateur) n’a aucun sens ; proposer un nouveau contenu curriculaire sans se préoccuper des conditions de sa mise en œuvre ; prescrire une forme pédagogique sans étudier ses conséquences sur l’activité des enseignants… En ce sens, par exemple, la modélisation réalisée par Roland Goigoux permet de penser cinq directions pour le travail collectif des enseignants : penser la conception, la régulation, la différenciation, la motivation et l’explicitation dans les tâches scolaires, qui permettent de sortir des dogmes et recettes pédagogiques à la mode.
A quoi faut-il former ?
Aux contenus disciplinaires, parce qu’on ne peut enseigner sans maitriser les savoirs ? aux savoirs didactiques, pour mieux comprendre les obstacles à l’apprentissage ? A l’évaluation positive ? A la connaissance du cerveau ou de la mémoire ? À la coopération, pour développer l’engagement dans le travail ? A la classe inversée ou à la classe dehors ? A la bienveillance ? Aux « compétences psychosociales » ? A la « différentiation » ? A l’éducation à la santé ? À l’école inclusive ? Au numérique ? Derrière cet inventaire à la Prévert, de redoutables questions :
- D’abord le « former à… » renvoie à l’idée que former serait la réponse magique à un besoin institutionnel. « Les enseignants ne savent pas, donc on va les former à… ». Cette conception est massivement déceptive, parce qu’elle sous-entend que la formation serait l’espace qui va régler les problèmes, par la magie du formateur ou de ses apports. Or, si les « apports » sont indispensables, leur utilité dépend fortement de la manière dont ils vont être perçus comme acceptables par les formés.
- La thématique de formation choisie sera-t-elle présentée comme la martingale du succès, ou au contraire un des éléments de l’écosystème complexe de la situation d’enseignement ? Porté par son enthousiasme et l’envie de faire partager ses croyances, le formateur peut être tenté d’en sous-estimer les passages à risques, les limites, les nécessaires enchâssements de ce qu’il prône. Faute de présenter son sujet comme une focale parmi d’autres possibles, il risque de renforcer le doute des formés habitués à ce qu’on lui présente les « nouveaux » contenus de formation comme ce qui va par magie faire disparaitre ses difficultés professionnelles.
C’est pourquoi former au « ça dépend », « à quelles conditions », « à quel dosage », « selon les contextes », « ce que je gagne, mais ce que je risque », à ce que Goigoux nomme « l’éclectisme pédagogique » n’est pas faire l’apologie du relativisme, mais au contraire nourrir l’idée que si la formation peut aider à travailler en donnant des clés de compréhension du réel, elle ne supprime jamais les dilemmes que doit affronter l’enseignant, comme tout professionnel : arbitrer entre des priorités contraires, faire des choix « discutables », choisir entre des possibles selon ce qu’il est, et non suivre aveuglément des prescriptions toujours beaucoup trop simplistes pour permettre d’agir à bon escient dans le réel.
Mener l’enquête sur l’ordinaire du travail quotidien.
Ces propositions sont tout sauf la voie de la facilité. En formation, il arrive qu’on attende du formateur qu’il devienne magicien et propose des solutions clés en main. D’ailleurs, comment ne pas entendre comme légitime cette demande d’outils éprouvés ? Mais la formation, c’est aussi la possibilité d’apprendre à mieux comprendre les difficultés qu’on éprouve, en menant l’enquête, en mettant ensemble des mots sur des situations. De la même manière que les savoirs éclairent le parcours scolaire des élèves, les théories sont des instruments au service de l’action, dès lors qu’elles ne sont pas professées en chaire, mais utilisées pour tracer collectivement des pistes d’action. Les « constellations » installées en primaire peuvent en être un vecteur, pour peu qu’elles ne soient pas le prétexte d’imposition de bonnes pratiques.
Avec l’équipe du Centre Alain-Savary de l’IFE, et en collaboration avec de nombreux
chercheurs et collectifs de formateurs, nous avons essayé de formaliser une « grammaire de la formation » qui n’entend pas prescrire des modalités de formation, mais en préciser les possibles autour de cinq axes : lire le réel du travail, faire connaitre le prescrit, oser les outils, partager les références, accompagner dans la durée… Nous savons que cette approche est exigeante et demande aux formateurs des espaces de formation pour qu’eux-mêmes relativisent leurs croyances et s’outillent à renforcer leur professionnalité. Les institutions ont beau en reconnaitre l’importance, elles continuent parfois à croire qu’elles ont davantage besoin de relais de transmission que de professionnels capables d’entrer dans ces complexités. Laissons donc la conclusion à l’ouvrage de Galand et Janosz cité plus haut :
« le défi actuel en formation continue ne semble pas tant le décalage entre les connaissances issues de la recherche et les pratiques, mais l’absence d’une base de connaissances suffisamment robuste (…) Cela demande peut-être aussi de mieux cerner les compétences nécessaires aux formateurs, accompagnateurs ou conseillers pour déployer des dispositifs de développement professionnel qui puissent bénéficier aux apprentissages des élèves ».
Patrick Picard, enseignant retraité
Ex-responsable du Centre Alain-Savary de l’IFE