« Semaines de l’engagement », labels « classe engagée », référent engagement, promotion de la culture de l’engagement, etc. Le mot engagement résonne de toutes parts. Ce terme polysémique oscille entre l’engagement “scolaire”, qui caractérise l’enrôlement d’un élève dans la tâche confiée, dans l’acquisition des savoirs ou dans sa progression ; et l’engagement « citoyen » dans la classe, dans l’établissement et dans la Cité. Ainsi, quand on souhaite travailler l’engagement d’un élève, on l’encourage à s’engager pour les autres ou pour lui-même. Conseils de classe participatifs, classe puzzle et conseils d’élève sont autant d’engagements collectifs qui permettent d’encourager les élèves à s’engager, non pas uniquement pour mais aussi avec les autres. En s’intéressant à la coopération entre élèves, on pose l’hypothèse que les autres permettent l’engagement de chacun dans une logique de recherche de générosité.
L’engagement citoyen : coopérer pour prendre des responsabilités
Durant les “semaines de l’engagement”, les élèves sont invités à participer à des élections de démocraties représentatives à l’échelle de leur classe, de leur établissement, et au-delà. Mais cela ne représente que quelques jours dans l’année, qui s’ajoutent à la longue série des semaines à thème comme celle sur la persévérance scolaire ou celle des mathématiques. On peut poser l’hypothèse que lorsque l’engagement citoyen est présenté comme une tâche ponctuelle, via ces élections par exemple, les élèves peuvent le considérer comme une obligation, plutôt qu’une opportunité d’apprentissage. C’est ce que révèlent les séances d’élection des délégués, où il n’est pas rare de se confronter à une classe dans laquelle personne ne souhaite se présenter. Par ailleurs, cela peut donner aux élèves l’impression que l’engagement est forcément temporaire, dans une période où les associations se plaignent d’avoir de moins en moins d’adhérents durables au profit d’un bénévolat de type « zapping » : des individus passent d’une association à une autre, plus attachés à ce qui se fait qu’à ce qui se construit avec d’autres sur un temps long. Une approche complémentaire serait d’intégrer la question de l’engagement citoyen tout au long de l’année scolaire, la percevant ainsi comme partie intégrante de l’expérience éducative. Reste alors la difficile question du “comment faire concrètement ?”.
Plusieurs pistes peuvent être explorées. Par exemple, sans déroger à l’élection annuelle des délégués de classe, il peut être intéressant d’envisager deux ou trois élections dans la même année. Cette rotation des responsabilités peut éviter de réserver l’apprentissage de l’engagement et de la représentation à deux élèves par classe, qui sont d’ailleurs souvent les mêmes d’une année sur l’autre. Elle permettrait aussi de travailler réellement la question de l’engagement pour les autres en ouvrant un temps de bilan et de remise en question des responsabilités à chaque élection. Ainsi les élèves de la classe ne sont pas uniquement les destinataires de l’engagement, ils deviennent aussi une référence pour évaluer et faire des retours sur l’engagement de leurs camarades. Une autre piste peut consister à décorréler la question de l’engagement de la fonction de délégués en portant l’ambition de la travailler avec l’intégralité des élèves. En ce sens, la pratique des conseils d’élèves peut être une alternative. Cette instance ritualisée et hebdomadaire permet, entre autres, la formulation de propositions concrètes par les élèves et des décisions à l’échelle de la classe. La prise en charge de différentes responsabilités nécessaires au bon fonctionnement de ce rituel, le retour sur les décisions prises la semaine précédente et la discussion sur les moyens de prises de décision collective en fonction des propositions (vote à l’unanimité, vote majoritaire ou autres) sont autant de jalons qui permettent de faire de l’engagement des élèves un réel objet d’apprentissage, en sollicitant régulièrement l’avis du collectif.
Ainsi, l’engagement citoyen s’apprend avec d’autres, en prenant des responsabilités et en devant en rendre compte aux autres pour permettre à tous d’expérimenter ce qui se joue quand on s’engage.
L’engagement scolaire: coopérer pour soutenir une démarche individuelle
Dans le quotidien de la classe, l’engagement scolaire des élèves est souvent sollicité à divers niveaux : activités à faire, cours à apprendre, progrès personnels à démontrer, projet d’orientation à construire, et bilan de fin de trimestre à lire. On attend donc que l’élève s’engage pour lui-même via une démarche individuelle, mais les autres peuvent sans doute l’aider.
Par exemple, les bilans scolaires que représentent les conseils de classe sont des temps où on peut formuler des recommandations individuelles à destination des élèves pour qu’ils progressent. Ces engagements sont souvent formulés par des enseignants et doivent être tenus par les élèves : « Travaillez davantage à la maison », « Cessez les bavardages », « Participez plus à l’oral ». L’élève concerné n’est pas présent pour discuter et s’approprier ces pistes de progression. Parfois, il ne les comprend pas : « Il faut approfondir le travail ! », « Doit faire preuve de rigueur » ou, pire encore, il les interprète mal. Ces éventuels malentendus peuvent aboutir à des sentiments d’injustice et de rancœur contribuant à dégrader la confiance dans les adultes : « Désormais, il faudra demander aux délégués de nous défendre en conseil de classe. » Il arrive aussi que ces propositions d’amélioration se trouvent éloignées de ce que les élèves peuvent envisager sérieusement de réaliser. Comment participer davantage à l’oral en un trimestre alors qu’on est de nature timide ? Si s’engager pour soi-même n’est par nature pas simple, cela l’est sans doute encore moins si il s’agit de suivre des conseils formulés par d’autres.
Dès lors, une piste s’entrouvre en envisageant de travailler avec l’élève la prise de conscience et la formulation de son bilan et ses conseils de progression pour qu’il puisse s’engager davantage dans sa scolarité. Dans cette approche, les pairs ont sans doute un rôle à jouer car ils peuvent clarifier les bilans et les conseils formulés par leur camarade. Ils peuvent aussi valoriser les paliers progressifs de prise en charge de ces engagements. Par exemple, un camarade peut faire le point sur le bavardage d’un élève à la fin de chaque journée pour le féliciter si des efforts notables ont été faits. Dès lors, le conseil de classe est sans doute à revisiter, pour passer d’une délibération entre enseignants à un temps d’apprentissage collectif de l’engagement personnel. C’est ce que tentent certaines équipes en mettant en place des entretiens conseils ou des conseils de classe participatifs.
Dans le quotidien de la classe, l’engagement scolaire des élèves passe par la réalisation des activités proposées. Si on déplore parfois un manque de motivation de certains élèves pour se mettre au travail, on sollicite souvent un sursaut individuel ou un engagement personnel. Là aussi, les autres peuvent être une ressource qui peut impulser cet engagement. C’est par exemple le cas avec la pratique de la “classe puzzle” qui organise l’interdépendance entre les élèves pour que le travail de chacun soit utile et nécessaire aux autres.
Qu’il soit citoyen ou scolaire, l’engagement des élèves peut donc être perçu comme une expérience continue, intégrée à l’apprentissage quotidien, où les autres permettent d’impulser et de soutenir la démarche. On peut poser l’hypothèse que l’organisation de la coopération entre pairs en milieu scolaire peut aider les élèves à devenir des apprenants engagés et motivés par la prise de responsabilités au service des autres. Ce sont d’ailleurs ces responsabilités partagées qui construisent progressivement de véritables autorités en remplaçant tous les types de pouvoirs (institutionnels, emprises, influences, etc) et tendent peut être à renforcer une démocratie qui est, selon l’expression de Claude Lefort « une société où le lieu du pouvoir est vide ». La question de l’engagement à l’école traverse une interrogation plus globale : vaut-il mieux vivre pour soi par la recherche de son bonheur individuel ou par et pour les autres à la recherche de satisfactions nées de satisfactions permises à d’autres ?
Reynaud Laurent