Au lendemain de la présentation du plan interministériel de lutte contre le harcèlement scolaire, syndicats et personnalités politiques réagissent. Si certains y voient une avancée, tous s’inquiètent du manque de moyens qui lui soient dédiés. Manque de moyens mais aussi manque de formation des enseignants et enseignantes sur lesquels repose une grande partie du plan.
Pas de moyens spécifiques alertent les syndicats
« Ce plan ne pourra pas réussir, notamment sur l’indispensable volet de la prévention, si le nombre de personnels, psychologues de l’éducation nationale, conseillers principaux d’éducation, assistants d’éducation, infirmiers … reste aussi insuffisant et si les missions de ces personnels continuent d’être dévoyées », écrit le SE-Unsa dans un communiqué. Si le manque de moyens est dénoncé par le syndicats celui-ci se félicite que le plan « s’appuie sur la poursuite et le renforcement du dispositif pHARe ». Il salue aussi la place centrale de la prévention qui « reflète la volonté de cette prise de hauteur indispensable pour cesser de ne faire que panser des plaies ». Le questionnaire adressé aux élèves peut être « un outil intéressant pour détecter au plus tôt les signaux faibles, surtout s’il est anonymisé, pour libérer les réponses, et à condition qu’il soit réalisé au niveau de la classe », estime le syndicat. Enseigner l’empathie fait aussi partie des points positifs relevés par le SE-Unsa. Pour autant, « la quantification des heures de classe et la modification des programmes ne sont pas nécessaires. Il s’agit d’outiller les personnels ».
Par ailleurs, « l’École ne peut pas, ne doit pas « faire » toute seule, alors que ces situations trouvent souvent leur origine ou leur développement en dehors de ses murs », alerte le syndicat. « Ce plan n’aboutira qu’avec une implication de l’ensemble de la société. Le soutien de tous les acteurs sera primordial ».
À la FSU-SNUipp, on déplore un plan « élaboré dans l’urgence », c’est sur le temps long que l’on peut imaginer éradiquer le phénomène, estime Guislaine David, porte-parole du syndicat. Si certaines actions existent déjà dans certains établissements, la grande majorité des enseignants et enseignantes a besoin de formation, explique-t-elle. « Dans le premier degré, d’autant plus. Un professeur des écoles est seul dans sa classe, face à ses élèves. Il ne peut, à l’image de ce qui existe dans le second degré, partager ses préoccupations sur un élève avec une autre collègue, car celui-ci ne le connaitra pas aussi bien. L’école primaire manque d’équipes pluriprofessionnelles. On a perdu les RASED qui permettaient de croiser les regards. Jauger des situations de harcèlement lorsque l’on est isolé est compliqué. La solitude du professeur des écoles est terrible ».
Quant à la banalisation des deux heures pour la journée de lutte contre le harcèlement, la secrétaire générale craint que cela se résume à une journée de communication. Et sur les cours d’empathie qui seront assurés dès janvier dans une école par département, elle indique n’avoir « aucune précision sur la façon dont ils seront mis en place ». « Travailler les compétences sociales, la gestion des conflits, le regard à l’autre, c’est essentiel. Il faut qu’on le fasse, et souvent, on le fait déjà. Enseigner l’empathie, c’est compliqué. Ce n’est pas une discipline, ça se travaille. Alors quand le ministre nous dit qu’il saisit le conseil supérieur des programmes, je me demande ce qu’il va être en mesure de lui répondre », ajoute-t-elle.
Du côté des chefs d’établissements et des IEN – inspecteurs de l’éducation nationale du premier degré, Agnès Andersen, secrétaire générale de ID-FO, estime qu’il manque un point au plan ministériel qui se veut « 100% prévention, 100% détection-, 100% solution », c’est le « 100% moyens ». « Où sont les moyens ? » interroge-t-elle. « On parle là d’un plan interministériel d’envergure sans jamais en chiffrer les besoins financiers. Si comme le dit le ministre, le gouvernement souhaite un ‘’électrochoc’’, il faut une mesure budgétaire ». Quant à la référence appuyée à ce qui se passe au Danemark, la responsable politique tempère. « Ça peut sembler a priori une bonne idée, mais croire qu’il suffit d’importer une politique publique sans prendre en compte l’ensemble de la société est assez utopique. En France, il y a une forme de brutalité des rapports sociaux, on a des personnels maltraités. Ce n’est pas la situation de la société danoise ». Et si Agnès Andersen est si catégorique, c’est parce qu’elle connait bien le Danemark, elle y a vécu de nombreuses années et il y a encore des attaches. Elle estime que ce dont a besoin l’École, ce sont des professionnels formés, des psyEn, des équipes pluridisciplinaires… « Sans moyens, il s’agira juste d’un plan de communication à destination des familles… » avertit-elle.
Un plan qui reste flou pour les élus politiques
Du côté des personnalités politiques aussi, le plan fait réagir. À droite comme à gauche, l’insatisfaction l’emporte. Yannick Trigance, secrétaire national du PS chargé des questions d’éducation, estime qu’avec ce plan « nous changeons d’échelle sur un sujet important : il y a donc une obligation de moyens, pour une obligation de résultat ». « Il y a surtout besoin d’accompagner dans le temps les enseignants, les chefs d’établissement et les CPE qui vont devoir le mettre en œuvre sur le terrain », nous dit-il. Selon lui certains points restent flous : la formation des enseignants ou encore le financement qui n’apparaît pas dans le budget 2024. « Nous serons vigilants sur sa mise en œuvre, sur les moyens déployés et sur l’accompagnement proposé aux équipes éducatives ». « Ce plan sur le terrain doit être à la hauteur des promesses annoncées », alerte le conseiller régional.
Du côté LR aussi, ce plan ne satisfait pas vraiment. Alexandre Portier, député, estime qu’il présente des limites importantes. S’il estime que l’instauration d’une cellule dédiée au harcèlement dans chaque rectorat est « une bonne nouvelle », lui aussi considère floues les autres mesures, « pleines de bonnes intentions certes, mais floues ». Concernant la saisine automatique du procureur en cas de signalement de harcèlement, qui « part d’une bonne intention », il estime qu’il y aura très probablement « embolie ». « Quant à la confiscation du portable, il y a de quoi être dubitatif quand on connait les difficultés des enseignants pour les confisquer en classe. À peine confisqué, un nouveau moyen de communication sera acheté. Et comment limiter réellement l’accès aux réseaux sociaux, mais aussi les boucles d’échanges entre adolescents qui ne font qu’alimenter le triste jeu du harcèlement ? » ajoute l’élu.
« Ce plan semble avoir été imaginé à la hâte et peine à masquer la faillite institutionnelle de l’Éducation nationale sur ce sujet », déplore-t-il.
Lilia Ben Hamouda