Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques et directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre. Pour le Café pédagogique, elle revient sur un stéréotype qui a la vie dure : les garçons réussissent mieux que les filles en mathématiques. Et si les résultats des évaluations viennent confirmer cette affirmation, c’est justement à cause des stéréotypes explique la chercheuse.
En maths, les filles décrochent des garçons dès le janvier de leur CP. Les évaluations le valident elles ?
Les statistiques issues des résultats en mathématiques des élèves de CP et de CE1 aux évaluations nationales « Repères » témoignent effectivement d’un décrochage des filles à partir du temps 2 – mi-CP. De manière plus ou moins marquée, les résultats des garçons sont meilleurs que ceux des filles dans tous les domaines évalués, dès ce deuxième temps, avec des écarts plus marqués au troisième temps – entrée au CE1. Ces résultats sont d’autant plus étonnants qu’au premier temps – entrée au CP, les filles étaient plus performantes que les garçons dans 5 domaines mathématiques sur 7 (en 2022). On peut donc effectivement dire que statistiquement, à des moments précis de leur scolarité et à partir d’évaluations spécifiques, les filles ont de moins bons résultats en mathématiques que les garçons.
Comment expliquer de tels résultats, si tôt dans la scolarité. Une « inclinaison naturelle » ?
Interpréter ces résultats comme une « inclinaison naturelle » est une erreur, voire une faute grave de conséquences. Si on pense que les performances des élèves sont liées à des facteurs biologiques ou à des bosses imaginaires, on perpétue des croyances depuis longtemps réfutées par de nombreux travaux scientifiques comme ceux de Catherine Vidal, par exemple.
Par ailleurs, penser que les filles sont « naturellement » moins bonnes en mathématiques parce que les résultats à des évaluations le montrent, c’est entrer dans une logique bien discutable. En effet, si l’on croit que les garçons sont meilleurs en mathématiques que les filles et que les résultats à des évaluations standardisées vont dans ce sens, on est conforté dans cette croyance et on peut avoir tendance à penser que ce n’est finalement pas un stéréotype puisque qu’on en a une preuve. Or avant de considérer ces résultats comme une preuve, il faut étudier le contexte et le moment où ces évaluations sont passées, ainsi que la nature des exercices qui les composent.
Finalement les évaluations elles-mêmes influent sur ces résultats ?
Je pense effectivement que ces évaluations ne sont pas neutres dans les résultats qu’elles produisent. Plusieurs pistes explicatives peuvent être avancées pour justifier ces écarts de résultats aux trois temps des évaluations « Repères ». On peut supposer que, dès quelques mois d’école élémentaire, les filles sont plus sensibles à la pression évaluative que les garçons parce qu’elles ont plus rapidement intégré les codes scolaires de la « grande école », très normatifs en matière d’évaluation en France. On peut également imaginer que la passation de ces évaluations est différente au cours des trois temps. Lors de la première évaluation, les enseignants veilleraient davantage à préserver les élèves arrivant tout juste de l’école maternelle, en s’autorisant éventuellement à s’émanciper des consignes ou en créant un climat moins anxiogène que par la suite. Les filles ayant généralement moins confiance en elles en mathématiques et étant potentiellement sous la pression de la « menace du stéréotype », elles réussiraient donc moins bien dès le deuxième temps de ces évaluations. Une dernière hypothèse, confortée par les résultats de début de CP, se trouve dans la nature des exercices proposés. En 2022 en début de CP, les deux exercices où les filles sont moins performantes que les garçons sont deux exercices peu usuels, donc potentiellement plus anxiogènes pour elles. Dans l’exercice du domaine « comparaison des nombres », les élèves doivent comparer un grand nombre de couples de nombres – 40 – en un temps limité – une minute. Les enseignants utilisent souvent un chronomètre pour mesurer le temps et lors d’observation de passation d’évaluation que nous avons pu faire, beaucoup d’élèves ont manifesté leur inquiétude face à cette modalité. Le deuxième exercice le moins bien réussi par les filles est celui où il faut placer des nombres sur une droite non graduée. Ce type d’exercice est peu pratiqué dans les classes, ce qui a pu décontenancer davantage les filles que les garçons, généralement moins confiantes en elles.
Et la posture enseignante ?
La posture des enseignants est, en effet, également à interroger. Bien qu’indiscutablement les enseignants souhaitent tous avoir des pratiques égalitaires, leurs pratiques peuvent être empreintes de stéréotypes de sexe inconsciemment intégrés. Nicole Mosconi et Marie Duru-Bellat ont toutes deux montré que les différences de performance entre les filles et les garçons en mathématiques ne pouvaient s’expliquer sans prendre en compte ce qui se passait dans les classes, et notamment la façon dont les enseignants y faisaient vivre les mathématiques. Dans une étude réalisée en début d’année, au moment du deuxième temps d’évaluation, nous avons demandé à des enseignantes de CP comment elles expliquaient les écarts constatés. Dans plus de la moitié des réponses, on a trouvé des traces de stéréotypes de sexe comme par exemple « J’ai le sentiment que les garçons sont plus curieux, qu’ils se lancent des défis, des challenges. Plus que les filles » ou encore « Les garçons sont meilleurs en maths que les filles, mais les évaluations de début de CP ne permettent pas de le montrer, elles sont trop faciles. ». Ces réponses sont inquiétantes et problématiques.
Comment renverser cette tendance ?
Tout d’abord, il faut que les enseignants prennent conscience des stéréotypes dont ils
sont porteurs. C’est la première étape pour lutter contre. Il faut également les former pour développer des gestes professionnels égalitaires en mathématiques comme, par exemple, interroger les filles autant que les garçons, aussi bien quantitativement que qualitativement, et plus globalement à exercer une vigilance constante aux inégalités de sexe.
Il me semble également important de relativiser les résultats des évaluations standardisées, de ne pas les considérer comme des vérités absolues. Quand on ne cesse d’entendre, dans les médias ou à l’école, que « les garçons sont meilleurs que les filles en mathématiques », on finit par le croire et on entretient ainsi un stéréotype très préjudiciable à la réussite des filles en mathématiques. Ce constat est également valable pour les garçons en Français car penser l’égalité à l’école, c’est combattre toutes les inégalités.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Pour aller plus loin, lire l’article paru dans The Conversation