À quoi sert et comment fonctionne la déconcentration de l’administration de l’Education nationale ? Alors qu’on promet aux enseignants « une gestion de proximité » et que le Pacte affirme le retour au local, Xavier Pons publie un important numéro (218) de la Revue française de pédagogie. Analysant des cas précis, il montre que la contractualisation en œuvre dans l’Éducation nationale ne permet pas un pilotage à distance des académies même si on n’arrive pas non plus à une gestion réellement déconcentrée. « Si les académies ne sauraient encore constituer des territoires de référence pour absolument tous les acteurs éducatifs locaux, elles sont le théâtre de problématisations académiques spécifiques des enjeux, de configurations territoriales particulières et d’agencements institutionnels contrastés qui font d’elles non plus de simples « environnements » mais bien des déterminants fondamentaux de la territorialisation des politiques d’éducation ». La déconcentration est bien en marche…
Un exemple historique
La gestion déconcentrée peut-elle avoir un fort impact sur la vie des académies ? Julien Cahon et Ismail Ferhat d’emblée dans ce numéro de la Revue française de pédagogie (n°218) à partir de l’exemple historique de l’académie d’Amiens. L’arrivée dans une nouvelle académie, dans les années 1960, d’un véritable « entrepreneur institutionnel » – le recteur Robert Mallet – se traduit par la mise en place d’une véritable politique locale d’éducation bien en amont de la déconcentration officielle. Les auteurs montrent comment ce recteur fabrique des compromis locaux pour imposer ses vues.
Les limites de la décentralisation…
Où en est-on aujourd’hui ? Xavier Pons, Hélène Buisson-Fenet, Claire Dupuy montrent toute la subtilité de la contractualisation entre l’Etat et les académies. Analysant trois académies (Créteil, Lyon et Versailles) , ils montrent que « dans les trois cas, le développement de la contractualisation ne constitue pas pour l’administration centrale un outil de réorientation forte des politiques rectorales mises en œuvre, notamment parce que cette contractualisation est découplée des procédures proprement budgétaires« . La contractualisation ne permet donc pas un pilotage à distance des académies puisque l’essentiel (le budget) lui échappe. C’est par le budget que l’administration centrale tient en main fermement ses académies.
Et ses réalités
Pour autant, la contractualisation produit des effets. « La contractualisation produit des effets proprement cognitifs, au sens où elle favorise les réflexions stratégiques des agents administratifs sur les fondements possibles d’une identité académique (par exemple l’« académie école », au sens d’académie formatrice, que constituerait l’académie de Créteil). En permettant cela, elle constitue l’un des vecteurs de construction d’une régulation de contrôle à l’échelle académique relativement autonome par rapport à la régulation centrale« . Voilà qui rééquilibre le point de vue en faveur de la déconcentration.
C’est ce que montrent les deux articles suivants sur la gestion des contractuels et la scolarisation des primo-arrivants. S’agissant de la très stratégique gestion des enseignants, X Pons, C Bertron , H Buisson-Fenet et X Dumay montrent que « derrière l’uniformité apparente des procédures, l’enquête révèle des pratiques de gestion différentes d’une académie à l’autre car elles sont encastrées dans des configurations académiques spécifiques… Le modèle de la « déconcentralisation » envisagé en introduction rend mal compte de la territorialisation de l’État enseignant en cours : la force contraignante des configurations académiques nous amène en effet à conclure à l’existence de régimes étatiques d’action territoriale spécifiques, plutôt qu’à un quelconque pilotage central à distance d’entités locales autonomes« .
Xavier Pons conclue en insistant sur trois facteurs des régulations académiques. L’existence d’un acteur fort, un entrepreneur institutionnel, agissant au niveau académique, la mise en place d’outils de régulation qui favorisent au final des politiques locales et la mise en place d’interdépendances entre acteurs académiques constituant autant de leviers pour des politiques locales.
Ce numéro est d’un grand intérêt pour comprendre ce qui se met en place actuellement. Le laboratoire de cette territorialisation de l’Education nationale semble être l’enseignement professionnel. C’est là que l’Etat pousse le plus loin à la création des synergies locales, bien au-delà de l’Education nationale, pour fabriquer des politiques éducatives locales. Mais, aussi bien avec le Pacte et le CNR qu’avec les cités éducatives, c’est l’action soutenue par le gouvernement. Restent la puissance de la « centrale », l’attachement des acteurs à la dimension nationale.
François Jarraud
Déconcentration et territorialisation de l’État en éducation : les nouveaux visages des académies, Revue française de pédagogie , n°218.