Comment, de septembre à juin, se construit ce lien étrange qui fait la richesse du métier d’enseignant.e ? Dans la bande dessinée « Le Lien », Mathilde Levesque, professeure de français au lycée Voillaume à Aulnay-sous-Bois, fait côtoyer humour et émotion pour le raconter, sous forme de fragments et anecdotes, à travers des strips d’une à deux pages illustrés par Ming Nguyen. De délicates bulles dessinées et colorées pour rappeler la fragilité de cette relation que tentent de créer au quotidien les professeur.es et leurs élèves, car enseigner, c’est bien mettre du lien et du liant, c’est nouer, dénouer, renouer, c’est relier les un.es aux autres.
On rit, beaucoup, des aléas du quotidien : de la photocopieuse en panne à la visite de l’inspecteur, de la remise des bulletins aux exercices d’incendie, des sorties scolaires aux multitâches permanentes. Mais on ne se moque de personne. Car ici personne n’est ridicule, même si chacun.e sait rire de lui ou d’elle-même, à commencer par la prof de français autrice qui ne s’épargne pas beaucoup.
Mais on ne fait pas que rire, car ce n’est pas si facile d’être prof, et ce n’est pas non plus si facile d’être élève, ni d’être adolescent.e…
On n’oubliera ni Théo, qui ne s’intéresse même pas à lui-même, ni Shaïna, dont les parents entendent pour la première fois dire du bien, ni Anis, qui rêve de revoir sa mère au paradis… Et on n’oubliera pas non plus Héléna qui ne cesse de chuter dans des cases noircies, croit ne rien comprendre, mais qui finira, un jour, par offrir à sa prof un vrai cadeau…
Et au passage aussi, on bouscule beaucoup d’idées reçues, sans avoir l’air d’y toucher.
Oui, les profs doutent, rament, (et parfois se perdent…). Mais non, iels n’ont pas pour autant renoncé à enseigner, à partager des savoirs, à apprendre à penser…
Oui, les élèves donnent souvent l’impression de parler une autre langue, d’être ailleurs, de ne pas avoir les codes ; mais non, iels ne sont pas nul.les, iels peuvent aussi s’extasier sur Goethe (« C’est la base en fait »), auraient bien aimé que Zola soit encore là pour parler des cités, font fuser les jeux de mots, détourner les figures de style, multiplient les trouvailles langagières et réinventent avec cocasserie un exemple de pléonasme, un synonyme de « macho », ou une nouvelle dérivation étymologique d’autocongratulation …
Alors, quand on arrive à la dernière page, et qu’il faut sortir de la bulle, on regretterait presque que l’année soit finie…
Claire Berest
Le Lien de Mathilde Levesque, illustrations Minh Nguyen aux éditions Payot Graphic